Si tous les groupes participants au campement No Border ont affirmé leur soutien « de principe » aux inculpés du campement et pour beaucoup ont participé aux différentes actions en Europe, un collectif s’est trés rapidement monté à Strasbourg même. Entre le suivi au jour le jour de ce qui concerne Ahmed (les diverses audiences, les autorisations de parloir, ses conditions de détention…) et le travail à commencer avec les avocats sur place pour les autres inculpés, on peut dire que ce collectif n’a pas chômé… Les conditions de détention d’Ahmed étaient particulièrement préoccupantes puisqu’il a fait l’objet d’un acharnement inhabituel aussi bien de la part du parquet que de l’Administration pénitentiaire (mise à l’isolement dès son arrivée à la prison, refus de tout permis de visite). On espérait en vain une amélioration de sa libération. Inquiets du fait que ce jeune militant se retrouve depuis presque un mois sans autres contacts que les membres de l’AP et son avocat, le collectif de soutien a décidé de passer à l’action pour faire connaître cette situation et obtenir au plus vite un droit de visite.
Nous avons donc occupé le 23 août l’annexe locale du ministère de la Justice, bien que spécialisé dans la construction de beaux tribunaux sécurisés, cette annexe dépend des mêmes supérieurs hiérarchiques que le parquet, décisionnaire en matière de parloirs tant que le jugement n’est pas définitif. Nous avons choisi l’occupation comme mode d’action pour obtenir immédiatement satisfaction. Nous sommes rentrés tranquillement dans les lieux. (« Ça m’apprendra à ne pas demander qui sonne avant d’ouvrir », avons-nous entendu en entrant) et avons informé les trois employés présents, comme c’est d’usage dans ce genre d’action de ce que nous voulions (la sortie d’isolement d’Ahmed et un droit de parloir) et du fait que nous allions rester jusqu’à l’obtention de ces deux revendications précises. Nous les avons aussi prévenus que nous allions avoir à bloquer les portes et qu’ils pouvaient tout à fait sortir. Ils ont préféré rester et l’occupation s’est passée de façon tout à fait paisible, les employés affirmant plusieurs fois par la fenêtre aux journalistes présents à l’extérieur qu’ils avaient décidé de rester là eux-mêmes et que tout se passait correctement. Nous étions en négociation avec quelqu’un qui disait à travers la porte être le procureur quand une des employées a reçu l’ordre de sortir. Alors que nous discutions avec elle du moyen de le faire, l’intervention policière a commencé, signant ainsi la fin de non-recevoir de notre demande. A partir de là, nous avons eu droit à un cinéma bien désagréable : intervention en cagoule et fusils à pompe du GIPN, qui nous a remis tranquillement dans les mains des BAC qui, après avoir choisi trois occupants qu’ils ont copieusement tabassés dans les chiottes, nous ont jetés à plat ventre dans le hall, les uns sur les autres en distribuant coups divers et injures multiples. Nous avons pris notre mal en patience, persuadés que l’aventure ne pouvait déboucher que sur quatre heures de contrôle d’identité.
C’était sous-estimer le parquet local : garde à vue des dix-sept occupants, puis prolongement pour vingt-quatre heures supplémentaires, inculpation de séquestration et violation de domicile. Le dimanche, nous avons été déférés au parquet puis passage devant le juge dit « de la détention et des libertés » qui, ce jour-là, avait choisi plutôt sa première casquette. Il a expliqué à chacun de nous, avant qu’on dise quoi que ce soit, que de toutes façons c’était décidé d’avance, il ne pouvait rien faire, nous étions tous mis sous écrou à la maison d’arrêt d’Elsau. L’aventure commençait à devenir singulièrement déplaisante. Heureusement, nous avons été accueillis très chaleureusement par les prisonniers qui avaient, pour beaucoup, pu voir les ballons avec banderoles que nous leur avions par deux fois adressés au-dessus des murs de la prison et qui nous ont félicités de l’occupation du ministère de la Justice qu’ils avaient apprise par la radio et la télé.
L’AP a d’ailleurs tout fait pour que nous soyons le moins possible en contact avec eux (en empêchant les filles de descendre en promenade par exemple)…
Notre séjour a été de courte durée puisque nous sommes passés en comparution immédiate le lendemain. La décision du procureur de nous inculper à dix (pour que la répression soit plus spectaculaire sans doute) a permis des scènes rares et étonnantes : les transports divers dans les couloirs à dix-sept plus les flics d’escorte avaient quasiment l’air de manifs et l’audience de correctionnelle a eu lieu dans une salle d’assises.
Nous avons acceptés la comparution immédiate, malgré les problèmes liés à l’impossibilité, dans l’urgence, d’organiser une défense correcte, parce que nous avions le sentiment fort que nous serions maintenus en détention jusqu’au procès. Le but était aussi de ne pas se voir séparés en fonction des garanties de représentation des uns et des autres. Il a été clair du début à la fin de l’audience, que ce soit pendant le témoinages des « séquestrés », ou lors du requisitoire du procureur, que ce montage grossier ne pouvait pas tenir la route. Les témoins à charge ont plaidé quasiment en notre faveur. Le procureur a clairement affirmé sa volonté de faire cesser cette agitation à Strasbourg : l’intention était aussi manifestement d’empêcher cette pratique qu’est l’occupation.
Or la séquestration sans relâchement volontaire est passible des assises. Le tribunal a profité de cette opportunité, soulevée par la défense, pour se décharger d’une affaire embarrassante, et s’est déclaré incompétent. Le parquet à fait appel de cette incompétence.Les dix-sept ont été libérés le soir même. La date de l’appel n’est pas encore fixée.
Salut chaleureux à tous les prisonniers et prisonnières d’Elsau, à qui nous avons rendu une très courte visite. D’un côté ou de l’autre des murs, on reviendra sûrement.