MUTINERIE

Dans l’après-midi, des petits groupes d’action se montent dans chaque bâtiment de détention. A 17 heures, à l’ouverture des grilles, le petit groupe du bâtiment C s’arme de barres de fer et chaque maton croisé est délesté de son trousseau de clés. Les grilles des couloirs, des cellules sont ouvertes. “Oh, le maton ferme tout, dans la cabine.” Et là, il fait le marlou, il fait le caïd, parce qu’il y a tous les boutons pour ouvrir les grilles. Raymond arrive avec une barre d’haltères, il met deux coups de barre, et la vitre tombe net ! Alors là, il ne fait plus le mariole : la vitre est peut-être costaud, mais les montants ne tenaient pas ! Bouhhh, toute la vitre s’étale. »

La mutinerie s’étend à tout les bâtiments même si certains groupes affinitaires ou politiques se regroupent et s’isolent. C’est l’euphorie générale. Daniel Koehl en ouvrant les cellules : « Mais il y a des mecs que je n’ai jamais vus, dans cette centrale ! Tu vois, ça faisait sept ou huit ans qu’il était là, mais il ne sortait plus de sa cellule. Tu lui ouvrais la porte, t’aurais dit que tu lui avais redonné la vie : “On peut casser ?”, il demandait. “Ouais, ouais, pète tout !” Tout volait, les téléphones… Les trois bâtiments sont pris. C’est chaud ! Tu as l’adrénaline… » 1

Certains s’acharnent sur les ateliers qui deviennent de véritables brasiers : les toits sont éventrés par des bouteilles de gaz transformées en fusées, des bombinettes fabriquées sur place finissent le travail. Les cuisines sont pillées, des banquets arrosés s’improvisent un peu partout.

Un « bureau » est installé par un petit nombre. Ils demandent, en vain, la venue d’un journaliste pour qu’il retransmette une plate-forme de revendications sur leurs conditions de détention. Un pasteur tentera de faire le lien avec l’extérieur, mais il sera arrosé de lacrymos.

Un désaccord apparaît sur le sort réservé aux matons. Certains voudraient leur faire payer leurs crapuleries, d’autres pensent que cela provoquerait un assaut meurtrier. Finalement, ils seront regroupés dans un même étage avec un groupe de protection.

De petits groupes envisagent de se faire la belle, mais trop tard, la prison est totalement encerclée. vers 23 heures, un grand nombre de personnes montent sur le toit du bâtiment C et constatent l’étendue de l’arsenal déployé dehors, et tout le monde pense à une attaque pour l’aube.

Les autorités présentes ce soir-là sont Baffer, le procureur de Châteauroux, Legorjus, chef du GIGN et Pandraud, ministre de l’Intérieur. Ces deux derniers ne cessent de s’engueuler, l’un étant de la défense et de gauche, l’autre de l’intérieur et de droite. Pandraud fait une fausse déclaration en prétendant que trois matons ont été tués afin de provoquer l’assaut qui ferait, selon les estimations, une centaine de morts. Il n’y a plus d’électricité dans la centrale, tout le matériel de la salle de sport est monté sur les toits… Legorjus, pour ne pas se mouiller, refuse de donner l’assaut tant qu’il n’a pas reçu un ordre écrit de l’Elysée ; un ordre qui n’arrivera jamais.
A l’intérieur, un groupe d’une centaine de personnes parvient à se réunir pour discuter de l’issue de la mutinerie. Deux solutions se présentent : soit c’est fort Chabrol et ils résistent jusqu’au bout, soit ils négocient une reddition : un otage sort accompagné de quarante mutins, avec l’exigence qu’il n’y ait pas de poursuites pénales. Cette dernière solution sera votée majoritairement par cette assemblée.

La reddition se fera le matin, en deux heures, sans qu’il y ait de blessés ; mis à part Daniel Koehl, évacué dans la nuit car il s’était amoché, qui fut tabassé sur le brancard.
1- Daniel Koehl, Révolte à perpétuité.
Ed. La Découverte.