EXTRAIT…

« Avant tout, je tiens à adresser mes plus sincères condoléances à tous les membres de la famille de Farès Zachriff alias Kassar. Ce jeune homme de 24 ans a été trouvé mort, il y a quinze jours. Farès se trouvait au bâtiment F, dans la cellule 426. Les matons sont venus pour le conduire au quartier d’isolement. Il a refusé de s’y rendre. Il a donc été emmené de force au QD. Il a refusé de rentrer dans la cellule et y a été rentré de force. Le soir même, il a mis le feu à son matelas de mousse. Certainement alertés par le détecteur de fumée, les matons sont intervenus pour maîtriser l’incendie. Peu de temps après, Farès s’est adressé à son voisin de cellule, il lui a dit qu’il allait simuler un suicide par pendaison et lui a demandé de prévenir les matons. Il a prévenu les matons qui sont arrivés trop tard. J’ai beaucoup de mal à imaginer comment Farès a pu prétendument se suicider. J’ai songé à tous les scénarios possibles et aucun n’est réaliste. Le seul endroit où l’on est susceptible de se pendre, c’est en s’accrochant au grillage accolé à la grille du sas de sécurité et en se projetant du haut de l’évier des sanitaires. Mais cela semble difficile eu égard au gabarit de Farès (1,90 m et 100 kg).
Je suis au QI de Bois-d’Arcy. Dès mon arrivée, un détenu qui avait connu Farès m’a fait part de son bouleversement lorsqu’il a appris sa mort. Il était avec lui au bâtiment F. Il m’a dit que Farès était un jeune homme équilibré, qui n’avait pas de problèmes psychologiques particuliers, qu’il ne consommait pas de stupéfiants et qu’il supportait le placement en QI ou QD. Il m’a dit en outre que c’était un garçon qui tenait tête aux matons et qui réagissait à toute injustice commise à son encontre. Il a conclu, en me disant que sa mort était plus que suspecte. Sa famille est venue à la maison d’arrêt samedi dernier. J’ai confectionné une banderole sur laquelle j’ai écrit : « Nous exigeons de savoir la vérité sur la mort de Zachriff. » J’ai cassé un petit carreau de ma fenêtre grillagée à 80 % et j’ai suspendu le drap qui servait de banderole. J’ai appelé les détenus qui se trouvaient dans les cours de « promenade » des bâtiments C et D et je leur ai dit de faire des actions pour contraindre la direction à faire un communiqué officiel concernant les circonstances de la mort de Farès. A peine cinq minutes après, le chef d’étage est intervenu avec une demi-douzaine de matons pour me confisquer la banderole et me contraindre par la force à aller au QD, à titre préventif, avant mon passage en commission disciplinaire. J’ai protesté énergiquement contre cette tentative lâche de la direction de me bâillonner et de passer l’affaire sous silence. J’ai décidé d’entamer une grève de la faim en solidarité avec la famille de Farès, en mémoire de Farès et pour protester contre mon placement injuste au QD. Je suis actuellement dans une cellule semblable à celle où se trouvait Farès avant de mourir.
En fait, suite à mon exhortation à la fenêtre de ma cellule du QI de Bois-d’Arcy, il y a eu un blocage de la cour de promenade des bâtiments C et D par 35 prisonniers, de 16 heures à 21 heures. Les CRS sont intervenus. Le lendemain 18 prisonniers ont bloqué la cour de 9 heures à 19 heures. Ils ont exigé un communiqué officiel de la direction de Bois-d’Arcy concernant la mort de Farès Zachriff et également ma sortie du QD. Quelques heures après, nous avons été transférés (moi et six prisonniers ayant participé au mouvement). Je tiens à rendre hommage aux 35 prisonniers qui ont pris part à ce mouvement et je dédie ces humbles actions à Farès, mort dans des conditions obscures.
Actuellement, je suis de nouveau au QI de Fleury ainsi que Patrick, baluchonné en même temps que moi. Abdel est à la Santé, il a pris quinze jours de mitard. Moi, j’attends toujours que la direction de Fleury prenne la décision ou pas de me placer en QD où je risque de faire quarante-cinq jours pour incitation à un mouvement collectif de rébellion. J’en suis à ma sixième prison en près de dix mois de détention dite provisoire. […] » Khaled

Pascal