L'AFFAIRE DES MUTINS DE SAINT MAUR


Trois ans après, du 23 au 25 avril 1990, le procès des mutins de Saint-Maur a lieu sous la pression des syndicats de matons, malgré l’engagement, publié dans la presse, des autorités présentes le soir de l’émeute de ne se livrer à aucune poursuite judiciaire.

En inculpant quatorze personnes, l’Etat tente de faire croire que l’émeute est à l’initiative de quelques meneurs isolés et manipulateurs, niant ainsi l’aspect collectif de la mutinerie (il y avait 400 mutins à Saint-Maur ce soir-là) et les raisons de cette révolte. Un texte envoyé par les prisonniers de la centrale de Moulin au procureur de la République de Châteauroux dénoncera cette hypocrisie : « […] La mutinerie de 87 fut le soulèvement spontané de l’ensemble de la population pénale de la centrale de Saint-Maur. Des hommes, acculés au désespoir, qui ont voulu reconquérir l’espoir à travers leur révolte. […] Aujourd’hui, vous allez vous acharner contre nos camarades, mais sachez que d’autres volontés sont déjà là, prêtes à reconquérir le flambeau et que la répression, au lieu de déstabiliser les ardeurs, donne du fond, fait des émules, enracine, fertilise et fait croître notre détermination dans la lutte. […] »

Le procureur a une double casquette : il est à la fois témoin – puisqu’il était présent aux négociations le soir de l’émeute – et requière pour la République. Il tentera pendant tout le procès de dissocier les Corses, présentés comme les « protecteurs des matons » et les droit-commun, comme les « casseurs, les agresseurs ». Cependant, tout le monde restera solidaire et c’est un étrange procès qui commence : la plaidoirie de la défense se transforme en acte d’accusation contre la Pénitentiaire. La politique carcérale des longues peines, des conditions de détention, la répression interne (tabassages, prétoir, mitard, isolement) sont dénoncées par les inculpés et dans les plaidoiries, les témoignages.

Christophe Caillaud, dans sa déclaration faite lors de l’ouverture des débats : « […] Notre réalité, c’est l’enfermement, la difficulté à exprimer nos idées, tout simplement parce que les idées, en prison, font trop souvent l’objet d’une censure ou, pire, pour les avoir exprimés, nous sommes réprimés, jetés dans les QI, dans les cachots, ces endroits où l’air ne s'infiltre pas, où le soleil n’est qu’à la portée de l’esprit, d’où submerge la figurante illusion d’exister.

Pour juger, vous le savez, il est nécessaire de comprendre. Et vous comprendrez que nos poignets sont liés dans le dos, que nous sommes face à un tir tendu. […] » Une avocate déclare : «La politique était mauvaise dans cet établissement, mais légitimée par son caractère de “prison dorée”. Ce n’était pas la politique d’un seul homme. Pourquoi s’étonner que les détenus cassent ce “confort”. Mieux vaut la liberté qu’un frigidaire. »
Un autre avocat présente le tabassage de Daniel Koehl, après la mutinerie, et l’absence totale de soin, deux ans après, comme dans le quotidien des prisonniers. La plupart des déclarations des matons qui se trouvaient à l’intérieur de la centrale durant l’émeute témoigneront en faveur des accusés et dénonceront l’incompétence de leur direction.

Cette cohésion des inculpés qui pratiquèrent une défense collective, les multiples actes de soutien à l’intérieur et à l’extérieur permirent de limiter un tant soi peu la casse : cinq personnes furent relaxées, deux condamnées à huit mois, quatre à dix mois et un à quinze mois, plus, évidemment, les conditionnelles qui sautent, l’isolement, le mitard…

En effet, tout un mouvement de solidarité s’était développé à l’intérieur comme à l’extérieur autour du procès des mutins et plus largement avec tous les prisonniers en lutte. Des lettres de soutien écrites collectivement parviennent de la centrale de Moulin, de Fresnes, de la Talaudière où un « comité d’action de prisonnier(e)s » s’est organisé, de Fleury, de Saint-Maur (Collectif des prisonniers en lutte, CPL, composé en partie par les inculpés). Le CPL écrira une plate-forme de combat juste avant le procès où il dénonce les multiples violations du droit en prison et le système répressif dans son ensemble. « Il est certain qu’en ce qui nous concerne, il ne s’agit pas de légitimer l’enfermement sous quelque forme que ce soit, il est avant tout un échec de la société, et ce n’est certes pas avec la multiplications des prisons, leur “confort programmé” à vie, que les pouvoirs publics contribueront à résorber les problèmes politiques de ce pays ; tout au plus, ils ne feront qu’augmenter la capacité d’accueil de l’univers carcéral auquel une partie de plus en plus importante de la société est vouée au bénéfice de certains. »

Ces lettres reprennent à leur compte la révolte et les revendications des mutins, et appellent à des actions durant les trois jours de procès, comme des refus de plateaux, blocage ou inertie maximums des ateliers, envoi massif de lettres à l’AP, au procureur…

Des groupes de différentes prisons se coordonnent pour soutenir et impulser des luttes contre la Pénitentaire en discutant collectivement des moyens d’actions. A l’extérieur, divers collectifs, associations, radios s’organisent pour relayer les informations dans des réunions publiques, pour soutenir les prisonniers en lutte qui seraient en difficultés et isolés, en trouvant notamment des avocats et de l’argent. Durant les trois jours du procès, trois cents personnes manifesteront à Châteauroux, des banderoles seront accrochées au-dessus d’autoroutes et des trains seront tagués en solidarité avec les mutins de Saint-Maur.


Un des émeutier dira que ce fut le plus beau jour de ses vingt-sept ans de prison. Durant la mutinerie, en plus des ateliers, 250 cellules furent détruites. D’après ce mutin, cela implique un grand nombre de personnes sorties, comme lui, en conditionnelle. L’Administration pénitentiaire s’est effectivement retrouvée coincée entre la nécessité de transférer massivement les mutins, par manque de place et pour les disperser, et le risque de propager la révolte – d’autant plus facilement avec la surpopulation. Après Saint-Maur, par exemple, un petit groupe fut transféré à la prison de Besançon dans le quartier de sécurité. Il y trouvent des complicités et le mouvement prend de l’ampleur ; ils finiront par brûler le quartier de sécurité. De là, ils sont transférés à Einsisheim et participent à nouveau à une autre mutinerie…
Sources : dossier du Collectif de soutien aux mutins de Saint-Maur.1990, Rebelles n° 8 et n° 9 et une interview audio de trois anciens prisonniers présents lors de la mutinerie.