SAINT-MAUR : CHRONIQUE D'UNE EMEUTE

En 1981, sous Mitterrand, les QHS sont abolis, la peine de mort idem. Pour les prisonniers condamnés à de longues peines, l’espoir de voir leur peine diminuer se fait sentir. A ce moment-là, chaque examen réussi signifie une grâce de trois mois. Les prisonniers constituent alors des dossiers pour faire des demandes de remises de peines spéciales.

Saint-Maur est concue comme le modèle des nouvelles centrales, elle se veut une « prison dorée », mais sert en fait de laboratoire à l’AP. Dans cette prison, il y a plus de 400 prisonniers dont une centaine condamnés à perpétuité.

Les plans de carrière de la direction de Saint-Maur sont remis en cause par l’arrivée de la gauche, quelque peu dépassée par les évènements, elle laisse les prisonniers gérer une partie des activités. Un groupe de taulards profite de l’occase pour mettre en place le socio. Ils organisent des cours pour permettre de passer des exams, ils s’occupent des programmes TV de la semaine, ils montent un journal, Le Grouillot, et organisent des concerts et des conférences où les prisonniers déterminent qui intervient.
Sous les yeux de la direction, ils arrivent à cogérer cet espace et entament un « grapillage » au sein de la détention, une « érosion de la peine » comme le dit l’un d’entre eux. Ils organisent un système de tricherie aux exams permettant au maximum de prisonniers d’obtenir les trois mois de remise de peine.
L’ouverture permanente du socio permet de briser le rythme intérieur de la prison, à toute heure les prisonniers peuvent se rendre au socio. Ouvert à tous, il casse aussi les clans qui se constituent de plus en plus à l’intérieur.

Il est finalement considéré, par la direction, comme subversif et le groupe qui s’en occuppe est accusé de venir en aide aux prisonniers qui passe des exams. Peu à peu les conférences sont supprimées, le journal est stoppé et finalement, début 1987, la petite équipe qui gère le socio est virée et remplacée par une autre qui se contente d’envoyer les programmes TV, les cours sont désormais assurés par des personnes extérieures choisies par l’administration.

Le 12 janvier 1987, une trentaine de prisonniers refusent de regagner leur cellule, l’un d’entre eux écrivait : « Avant l’arrivée de ce triste sire (M. Toulouze, nouveau directeur), aucun incident majeur ne s’était déroulé mais depuis, ceux-ci se sont multipliés. Le ras-le-bol est général […], je disais donc que, depuis l’arrivée de ce petit despote, la bouffe qui nous est distribuée est sur le point de nous faire entrer en conflit avec la gente porcine. Les fouilles corporelles et par palpation se sont multipliées. Au quotidien, les tracasseries intérieures n’ont de cesse. Les acquis, tel que la salle d’activités, nous sont supprimés, prétendument en raison d’une note ministérielle qui veut gagner des places en cellule dans chaque centrale. »
L’espoir de voir sa peine diminuer n’aura duré qu’un temps et Saint-Maur apparaît comme ce à quoi l’Administration pénitentiaire l’a destinée : une « centrale de haute sécurité » ; la gauche montre son vrai visage, d’un côté, elle a rendu la prison plus « tolérable » (parloirs libres, journaux, télé…), de l’autre, elle a enlevé toute possibilité d’en sortir. De fait, la longueur des peines ne cesse d’augmenter

Daniel Koehl déclarera sur cette période : « J’y suis arrivé (à Saintt-Maur) au début 82 avec un transfert de Fresnes où avaient été regroupés les sortants de QHS, QSR, QPGS. Beaucoup de détenus de Saint-Maur y avaient passé des mois pour certains, des années pour d’autres. On était arrivé au mouroir et, après les quartiers, je découvre la longévité des peines. Plus tu avances dans ta peine, plus les échéances d’un quelconque espoir de sortie reculent, la longévité des peines étant la solution miracle trouvée par quelques “politico-criminolo-démagogues” face à l’échec d’une réelle politique en ce qui concerne les prisons, face au baromètre électoral d’une opinion publique sous-informée, intoxiquée, manipulée à des fins politiques ou pour l’élaboration d’une loi ou pour tel projet sécuritaire. On abolit, d’un côté on enlève un mal et on le remplace par un autre mal qu’est la longévité des peines, peine de mort déguisée. »
C’est aussi en 1987 que passe le décret sur les remises de peine : avoir un exam ne signifie plus systématiquement trois mois de remise de peine, ça dépend désormais du bon vouloir de la direction. Cette année-là, certains prisonniers qui pouvaient espérer jusqu’à neuf mois se retrouvent avec deux semaines…
150 lettres sont envoyées à Albin chalandon, alors garde des Sceaux, pour demander des transferts dans une autre centrale où les remises de peine existent encore.

On ne sort plus de Sainte-Morte et pourtant… toujours en 1987, trois prisonniers s’évadent. Sur les trois, un a même prévenu Toulouze, le nouveau directeur de la centrale, un autre venait d’arriver dix jours plus tôt. Ils ont réalisée la cavale impossible : juste après une fouille générale dans la centrale organisée par les matons de Fresnes. En plein jour, ils sont passés sous deux miradors, il leur a fallu un quart d’heure pour sortir de leur cellule, de l’unité, pour traverser le terrain de sport, couper le grillage et monter dans le camion-poubelle qui les sortira de la taule.

Cette évasion rend le climat dans la centrale de plus en plus lourd, « on ne s’arrache de Sainte-Morte qu’en sautant le mur ».
Un communiqué est envoyé à la direction de la centrale, signé d’un collectif de Saint-Maur, pour exiger l’application des remises de peine, des conditionnelles et des permissions de sortie, @l’abolition du mitard, il se termine par « plutôt que de nous résigner à crever à petit feu, nous préférons, tant qu’à faire, crever dans un embrasement général ».

Les révoltes individuelles sont de plus en plus nombreuses.

Un mec monte sur les toits pour protester contre la lourdeur de sa peine.
Un autre casse tous les carreaux du batiment C, les matons n’arrivant pas à le stopper font rentrer les flics dans la centrale, mais ni les lacrymos, ni le camion à eau ne l’arrêteront. Flics et matons devront attendre qu’il se rende.

Et puis, un prisonnier monte dans l’arbre (le seul de Saint-Maur), « il dit tout ce qu’il a sur le cœur, nous, on applaudit. Il est dans la cour, entre les deux bâtiments, alors ça fuse. Les autres en rajoutent, même ceux qui d’habitude ne bronchent pas », la direction ne trouve rien de mieux, pour le faire descendre, que de tronçonner l’arbre. « L’arbre s’explose par terre. Alors les matons traînent Emile par terre, ils le tirent de partout. Je te dis pas le scandale ! Tout le monde jette des œufs à travers les fenêtres, les plateaux. C’est le bordel à l’étage, on tape dans les portes. »1

Ce même jour, Toulouze passe devant la salle de sport, des prisonniers l’interpellent sur les remises de peine qui ont disparu, il leur lance un : « Vous avez joué, vous avez perdu. »Les prisonniers l’attrappent : « Aujourd’hui, c’est toi qui a perdu ! »