L’idée du journal L’Envolée est née de la constatation des manques inhérents à une diffusion trop limitée de l’émission de radio du vendredi sur Fréquence Paris Plurielle (106.3 FM de 19 heures à 20 h 30). L’Envolée, radio comme journal, se veut un porte-voix au service des muets sociaux : les prisonniers à qui l’on a ôté toute possibilité d’expression, leurs familles et proches souvent emmurés dans la culpabilité, l’impuissance et les difficultés tant pécuniaires qu’affectives. Bref, ce journal est d’abord celui de ceux qui sont rendus muets par une logique de l’exclusion poussée à l’extrême ; l’ensemble des numéros sont largement constitués de textes, de dessins, de courriers venant de l’intérieur et abordant aussi bien les thèmes de la longueur des peines, l’isolement carcéral, les projets de nouvelles constructions que la logique sécuritaire, le travail, les relations avec l’extérieur…
L’Envolée n’est l’enfant d’aucune idéologie, d’aucune organisation

L’Envolée n’est pas plus subventionnée par le ministère de l’Intérieur que par des groupes islamistes.
L’Envolée s’inscrit dans un mouvement historique initié par le CAP (Comité d’action de prisonniers) en 1970, puis poursuivi par différentes expériences tant intérieures qu’extérieures, à savoir tous ceux et celles qui ont contribué à rendre le monde carcéral plus visible et qui ont questionné les causes et la pertinence de son existence.
Le fait de n’être l’émanation d’aucun parti ne signifie pas, bien au contraire, que nous n’ayons pas de point de vue politique : nous ne souhaitons pas être un énième observatoire des conditions de détention ou une diatribe de plus ajoutée au concert insipide des sociologues et autres penseurs employés par et pour l’Etat. Nous savons que la prison n’est pas un au-delà du monde du dehors, du monde soi-disant libre : encore une fois la prison c’est le mitard de la société, l’enfermement est l’un des pans de l’ordre social et économique. Tout acte de résistance ramène systématiquement à la prison et doit donc contenir sa critique radicale ; inversement, on ne peut envisager une critique de la prison sans remettre en question la globalité du monde qui y conduit.
Voilà qui nous sommes. Voilà ce qui semble être inacceptable aux yeux du ministère de la Justice et de ses subalternes.
& Si le numéro 1 de L’Envolée est parvenu quasiment à tous ses abonnés, c’est qu’il semble avoir profité de l’effet de surprise, car dès le numéro 2 sa distribution a été assujettie à un arbitraire pénitentiaire qui décidait de qui pouvait ou non le recevoir. De plus, deux numéros ont fait l’objet d’une note interne émanant du garde des Sceaux à l’attention des chefs d’établissement pénitentiaire leur demandant de retenir la distribution du journal.
& Le numéro 2.
Début octobre 2001, alerté par de nombreux prisonniers abonnés de la non-réception du journal, le directeur de publication a, à maintes reprises, cherché auprès de différents services du ministère de la Justice à connaître les motifs de cette censure. En effet, preuve supplémentaire s’il en était besoin de la toute-puissance de l’AP à l’intérieur des murs, le directeur de publication n’a jamais été informé de quoi que ce soit, pas plus d’une plainte que d’une retenue concernant L’Envolée. Le ministère nous a renvoyés vers le directeur de l’Administration pénitentiaire, comme par hasard toujours indisponible et qui nous renvoyait au ministère : ces administrations se renvoyaient la balle pour éviter de donner des explications. C’est finalement par hasard que nous avons su qu’il existait une note interne provenant du ministère ; malgré la disparité des motifs évoqués par quelques chefs d’établissement, la pierre angulaire de leur argumentation était que le journal n’avait pas de dépôt légal. Argumentation parfaitement fallacieuse puisque, dès sa création, chaque exemplaire est déposé au TGI de Paris. Nous avons fait parvenir à tous les abonnés une copie du dépôt légal et nous l’avons publié dans le numéro 3 de L’Envolée.
Plusieurs prisonniers ont déposé des recours auprès du tribunal administratif, ainsi que le directeur de publication de L’Envolée : le ministère a été mis dans l’obligation de formuler ses motivations suite au premier recours posé par M. Michel Ghellam, actuellement détenu à la centrale de Saint-Maur. La réponse du ministère a été donnée le 14 août 2002, soit un an après le dépôt du recours… Sans reprendre l’intégralité de l’argumentation, nous livrons ici quelques morceaux choisis particulièrement éloquents :
« Plusieurs directions régionales ont été saisies de tentatives d’introduction dans les détentions d’un mot d’ordre de lutte pour le 9 octobre 2001, adressé aux détenus condamnés à de longues peines, pour commémorer l’abolition de la peine de mort. Cet appel à divers modes d’action (grève des plateaux-repas, grève des ateliers, blocages…) a également été diffusé par la voie de la publication L’Envolée dans le numéro d’octobre-novembre 2001."
« La lecture de L’Envolée révèle une attitude de contestation systématique de l’Administration pénitentiaire, présentant ses actions et ses projets comme des manœuvres et des moyens de coercition supplémentaires envers les détenus. Cette revue se caractérise en outre par l’apologie de détenus dangereux et connus, les érigeant en victimes innocentes d’un système étatique et judiciaire décrit comme totalitaire. »
« Par ailleurs, les auteurs n’hésitent pas à procéder à des attaques et à des calomnies violentes contre des directeurs d’établissement, des magistrats, des médecins, des personnels de surveillance et socio-éducatifs, parfois visés de manière nominative. »