ADEPTES DES LOIS ET DE LA SECURITE, BONJOUR… ( 1ère partie)

Dans la droite lignée de la refonte du Code pénal de 1994, dans la continuité de la loi sur la sécurité quotidienne, avec l’aval de 80 % des électeurs, le gouvernement Raffarin entérine la prétendue volonté du peuple français de voir la sécurité revenir au premier plan. En période estivale, à la fin du mois de juillet, Perben a présenté et fait voter une série de lois qui, d’une part, en terminent avec les quelques avancées timides de la loi sur la présomption d’innocence (délais d’instruction, apparition des juges de la liberté et de la détention, présence des avocats pendant la garde à vue…) et, d’autre part, préparent le terrain juridique et policier pour prévenir, le plus efficacement possible les probables secousses à venir, le contrôle et la répression s’exerçant aux dépens des plus jeunes. Les réactions face à l’adoption de cette loi ont été faibles, c’est le moins que l’on puisse dire : peut-être que l’aspect démocratique d’un texte adopté à la majorité au Parlement fait oublier l’aspect régressif d’une loi qui révèle toujours plus le visage de l’Etat en en faisant la branche armée d’une économie au service des plus riches.

Un des points essentiels de la loi est la modification de quelques alinéas de l’ordonnance de 1945 qui concerne le traitement judiciaire des mineurs. Le volet répressif, déjà largement présent dans le texte initial, accentué par les quelques refontes précédentes, se trouve désormais au centre du texte : « La vérité, mesdames et messieurs les députés, c’est que nous ne savons pas aujourd’hui lutter contre cette délinquance très précoce. Nous manquons de moyens pour y faire face. Ceux qui crient au tout-répressif refusent tout simplement de voir la réalité de notre société en face » (Perben).

Ainsi l’article 122-8 du Code pénal, qui fixe les causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité des mineurs, considérait dans l’ancien texte que le mineur coupable d’infraction devait faire l’objet de mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation. Depuis août 2002, « les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes , délits ou contraventions ». Cette loi détermine également les sanctions éducatives, qui peuvent être prononcées à l’encontre des mineurs à partir de 10 ans, et les peines pour les plus de 13 ans.

Pour les 10-13 ans
Les sanctions éducatives (sic) prévues sont « la confiscation de l’objet ayant servi à la commission de l’infraction, l’interdiction de paraître en certains lieux, notamment celui de l’infraction, l’interdiction d’entrer en rapport avec la victime, l’accomplissement d’un stage de formation civique, une mesure d’aide ou de réparation ». Même s’il n’est pas encore possible d’enfermer des enfants de 10 ans, ils sont déjà fichés et pris en charge par le système judiciaire qui les enserre dès le plus jeune âge dans ses filets coercitifs institutionnels. Enfin, la garde à vue, prévue pour les 10-13 ans dans l’ordonnance de 1945, se durcit en facilitant son application et en allongeant sa durée qui passe de dix à douze heures.

Dans son vaste programme de mise au pas des plus jeunes, l’Etat a prévu d’y associer, de force ou de gré, ceux qui, normalement, accompagnent l’éducation, les enseignants et les parents. Dans les écoles, des mesures ministérielles imposent déjà à des enfants à partir de 6 ans donc ne sachant ni lire, ni écrire, de signer et de respecter des règlements intérieurs sous peine de sanctions . Ce qui devrait s’apprendre, se discuter, même dans leur logique réglementariste, s’impose à coups d’interdits, voire d’exclusion. L’école ressemble de plus en plus à ce qu’elle est, un outil de reproduction du système ; à savoir des écoles souvent privées pour les riches et des écoles pour pauvres dans lesquelles on apprend dès 6 ans la peur de l’autorité, à obéir et à se taire, dans lesquelles l’éducation est l’apprentissage de la paix sociale, de la soumission à la loi incontestable. La fonction de transmission du savoir d’éducateur, de pédagogue qui semblait être, surtout dans les années 70, la vocation première du corps enseignant continue de s’estomper pour laisser place à un rôle de police chargée de surveiller, de repérer, de dénoncer, de ficher tous les contrevenants ou ceux susceptibles de le devenir. Les nouveaux liens entre répression et enseignement, même s’ils paraissaient inconciliables il y a peu, ont plutôt l’air de rencontrer assez peu de réticences.
De là même manière que les flics peuvent rentrer dans l’enceinte d’un établissement scolaire et venir interpeller un élève jusque dans sa classe, les enseignants sont protégés, au même titre que les représentants de l’ordre, par la nouvelle loi, qui stipule : « Lorsqu’il est adressé à une personne chargée d’une mission de service public et que les faits ont été commis à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif, ou à l’occasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords d’un tel établissement, l’outrage est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. » Les parents, après des années de propagande les désignant comme responsables du comportement de leurs enfants dans la société, sont désormais assujettis à la loi qui les oblige pénalement à être des agents de contrôle social prévenant tout écart de conduite de leur bambin, sans quoi ils en deviennent les complices. Ainsi, les allocations, pourtant vitales pour les familles concernées, peuvent être supprimées et deviennent ainsi un outil de chantage pour les parents qui voient leurs enfants placés dans les mains de la justice. Les parents qui ne se rendront pas aux convocations du juge auront une amende civile et ils pourront être punis de deux ans d’emprisonnement et d’une amende s’ils se soustraient à leurs obligations légales au point de compromettre gravement la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de leur enfant mineur. Cet article existait déjà dans le Code pénal, sans être, selon Perben, effectivement appliqué, ce qui sera fait dorénavant.
Le principal effet de cette loi est de déplacer la majorité pénale de 16 à 13 ans. Même si, comme le dit Perben : « On a beaucoup glosé sur mon intention de mettre en prison les mineurs de 13 à 16 ans […] lorsque j’ai pris mes fonctions, il y avait 110 mineurs en prison. Pourquoi ? Notamment, sachez-le, parce qu’au stade de la condamnation la prison est déjà possible.
Alors, je dis à tous ceux qui feignent de l’ignorer, je vous en prie, assez d’hypocrisie. » En continuant dans ce sens, il y a fort à craindre que de réforme en refonte, la majorité pénale se rapproche de plus en plus du berceau.
Effectivement, les mineurs, dès 13 ans, pourront désormais, être incarcérés pour les raisons suivantes : s’ils encourent une peine criminelle ou s’ils se sont volontairement soustraits aux obligations d’un contrôle judiciaire. Ce contrôle judiciaire peut s’appliquer aussi bien dans le cadre d’une instruction que suite à une condamnation, il consiste à se soumettre à une ou plusieurs des obligations suivantes : mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation confiées à un service de la PJJ ou respecter les conditions d’un placement dans des centres éducatifs, dont la nouveauté est qu’ils seront fermés.

Pour les 13-16 ans
Si ces obligations ne sont pas respectées, le jeune ira en prison. De fait, les centres fermés où s’exercera la sanction éducative sont l’antichambre des prisons où les surveillants s’appellent éducateurs, où l’enfant devra apprendre, dans un élan citoyen, qu’il est en face d’un choix simple, se soumettre ou « mûrir en prison ». La mise en détention dans ce cas ne dépend pas de l’acte commis mais du comportement, de la personnalité de l’enfant. Pour que ces mesures soient efficientes, il est prévu de construire un centre fermé par département et des prisons pour répondre aux probables afflux de mineurs incarcérables.

Pour les plus de 16 ans, le traitement judiciaire est quasiment identique à celui des adultes.
L’Etat se fait aussi l’arbitre obligé de plus en plus de différends qui peuvent surgir dans la vie quotidienne. Des litiges qui se réglaient auparavant entre voisins, villageois, habitants d’un même quartier, seront maintenant du ressort de 3 300 juges de proximité. Perben, s’exprimant devant les députés, affirme ainsi la nécessité de la création d’une nouvelle fonction destinée à désengorger les tribunaux administratifs et de police qui ne parviennent pas à statuer sur toutes les affaires qu’ils ont en charge : aujourd’hui, il n’existe pas de réponse adaptée au traitement des petits litiges de la vie quotidienne. Au civil, bon nombre de petits conflits : factures impayées, livraisons d’un bien non assurées, troubles du voisinage, ne sont pas toujours portés à la connaissance des juridictions. Au pénal, les infractions aux règles élémentaires de la vie en société commises par certains jeunes ne sont pas systématiquement poursuivies.