DEMANDE D'EMPLOI : CHERCHE PATRON PHILANTHROPE... …

« Détenu de la centrale d’Arles, entrant dans les critères d’une libération conditionnelle fin juillet 2002, cherche patron philanthrope pour contrat de travail à durée indéterminée. CDI exigé impérativement. Toutes régions de France, sauf vingt-trois départements pour cause d’interdiction de séjour et en particulier le département où réside famille et amis. Tout emploi fera l’affaire.

Conditions :
– accepter une enquête de gendarmerie sur votre personne et votre entreprise ;
– patienter un mois minimum avant premier contact avec le futur employé ;
– téléphoner trente fois au service social de la centrale pour confirmation de la réception de chaque document envoyé ;
– signer en blanc le contrat de travail sans la présence effective de l’intéressé ;
– espérer plusieurs mois sa présence au travail ;
– recommencer toute la procédure depuis le début si la commission refuse la libération conditionnelle en la remettant à plus tard.

En conclusion :
Evadez-vous du train-train quotidien. Oubliez la main-d’oeuvre qui se présente tous les jours à vos bureaux d’embauche et jouez avec nous au jeu de piste et de saut d’obstacles concocté joyeusement par l’application des peines dans ce pays. Survivor, Ko-Lanta et autres aventures vous paraîtrons bien fades. »
Vous ne lirez jamais cette annonce. Jamais. Bien qu’elle soit la réalité vécue par plusieurs milliers de prisonniers attendant en vain un contrat de travail. De toute manière, il manque toujours une pièce au puzzle qu’est un dossier de conditionnelle.
Pendant dix, douze, vingt ans, tout a été fait pour que le prisonnier ait le moins de contacts possible avec le dehors. Tout est compté, savamment dosé, les permis de visite, les heures de parloir, les coups de téléphone... Et avec le temps, on perd pied.
Le fil qui nous lie au dehors se défait. On ne s’en aperçoit pas tout de suite, puis on laisse faire, on oublie... On ne distingue plus votre monde que dans le phantasme et dans l’amputation d’une partie de vous-même.
Et puis, un jour, on y est, on touche enfin du doigt cette date rêvée depuis des années. La peine incompressible est terminée, on est libérable. La prison n’est plus la même. Tout est devenu plus long, plus court aussi. On est plein d’impatience et de désespérance au fur et à mesure que les difficultés s’ajoutent aux désillusions. Le contact avec la réalité de votre monde est une déchirure, nous sortons de l’enfer pour les limbes incertaines du purgatoire. Il faut monter un dossier, trouver ce fameux contrat de travail, dégotter un hébergement…
Comment y parvenir après tant et tant d’années ?
Alors que, bien souvent, le tribunal a prononcé contre vous une interdiction de séjour, dans cette ville où justement il vous reste quelques attaches, quelques connaissances. Bien sûr, vous pouvez toujours trouver une formation, mais ça n’est pas bien solide. On vous en fera le reproche. D’ailleurs votre dossier est noir Le juge a été clair, trop de tentatives d’évasion, trop de rapports d’incident. « C’est pourquoi vous finissez dans une centrale de sécurité », dit-il comme une évidence. « Vous avez déjà eu deux peines supplémentaires, je vais demander à un psychiatre. » A Arles, on le connaît bien l’expert-psychiatre. L’entretien commence invariablement par : « Vous vous faites enculer ? Paraît que, dans cette centrale, vous êtes tous des pédés… » Ne pas réagir, ne rien dire, baisser la tête. Combien ils profitent de notre merci ! Les éducateurs, les juges, la direction... nous font tourner en rond avec un anneau au museau. Vous pouvez sortir dans trois mois mais si ça se passe mal ils vous condamnent à quatre ou cinq ans ou plus encore…
Finalement, il y a toujours une bonne raison. « Le prisonnier a un niveau trop élevé pour le métier de plâtrier et en général pour tout autre métier manuel. » « L’enquête sur l’entreprise est mauvaise, la société risque de déposer son bilan sous peu. » « Votre employeur est sarde et vous savez bien que les Sardes sont tous des bandits de près ou de loin. » Et le dossier est ajourné. Il ne sera examiné que dans une année jour pour jour. Et, bien souvent, ce n’est pas de votre faute, le service social n’a pas fait son boulot, ou mal, tout simplement. Et puis avec le temps, on toume la page, un an, une autre page, une autre année
. On finit par se rendre compte que tout ça n’est que du cinoche. IIs nous font patienter en nous berçant d’une rengaine inventée mais ils ne nous sortiront pas, ou alors, quand il nous restera six ou huit mois avant la date de libération définitive.
Alors, on ne cherche plus. Le dossier de conditionnelle se couvre de poussière sur le placard. On ira au bout.

Sans révolution, pas de hic
Nous crèverons rue Copernic