ESPACE JUDICIAIRE EUROPEEN …ET MANDATS D'ARRET

l’extradition de Paolo Persichetti et les menaces qui planent sur les autres réfugiés politiques italiens ne sont que les premières mesures qui accompagnent la mise en place de l’espace judiciaire européen. La construction de l’Europe en tant qu’entité politique devant concurencer l’« impérialisme américain » en est actuellement – après les phases économique (Maastricht), monétaire (l’euro) et policière (Europol) – à la mise en place progressive de l’harmonisation judiciaire. Le rêve d’une puissance militaro-économique pouvant concurencer les Etats-Unis est porté principalement par le go uvernement français… il n’est donc pas étonnant de retrouver celui-ci en première ligne dans l’élaboration et la mise en place d’un arsenal judiciaire unifié (toujours plus répressif) en Europe. Les premières étapes de cette « harmonisation » ont déjà été établies lors des réunions des ministres de l’Intérieur européens, auquels se joignent dorénavant les ministres de la Justice, ces réunions se tiennent lors des sommets européens à peu près tout les trois mois. Le processus s’est notablement accéléré à travers la mise en place d’Europol (système de collaboration et de coordination des polices européennes), d’une politique commune face à l’immigration clandestine (et la constitution d’un corps européen de gardes-frontières), d’un projet de définition commun du « crime de terrorisme » et, maintenant, de la mise en œuvre du « mandat d’arrêt européen » pour le 1er janvier 2004. Toutes ces mesures nécessitent, aux dires mêmes de leurs promoteurs, une rapide « harmonisation » des différents codes pénaux nationaux devant mener à l’élaboration d’un code pénal européen.

Les premières mesures prises donnent déjà une idée de ce que nos chers gouvernants nous concoctent.
Le mandat d’arrêt européen [cf. l’encart ci-dessous] remplacera la procédure d’extradition et aura même une portée rétroactive puisqu’elle s’appliquera aux délits commis avant une date fixée arbitrairement par chaque gouvernement « qui ne peut être postérieure à la date d’entrée en vigueur de la décision-cadre » (c’est-à-dire au 21 octobre 2001). Il obligera les parquets des différents pays de l’Union à remettre tout individu recherché ou condamné par un magistrat d’un autre pays de l’Union et cela uniquement après un « contrôle minimal sur l’identité de la personne et la régularité formelle de la demande ». Il suprime[au paragraphe 4 du texte reproduit ci-dessous] le principe de la « double incrimination » (c’est-à-dire de l’obligation, en cas d’extradition, que la qualification juridique et les éléments constitutifs des infractions soient identiques dans les deux Etats), ce qui signifie qu’un procureur ou un juge pourra réclamer un individu (y compris ressortissant du pays à qui est faite la demande) pour une incrimination n’existant pas exactement dans les même termes dans le pays (par exemple : association subversive en Italie) et selon des éléments de preuve (théorème judiciaire ou déclaration de repenti en Italie, aveux extorqués sous la torture en Espagne, dénonciation anonyme bientôt en France, etc.) qui ne seraient pas suffisants dans le pays sollicité. Seuls seront exclus du champ d’application les délits punis de moins de quatre mois et ceux punissables de moins d’un an (c’est-à-dire pratiquement aucun), et ceux qui n’existent pas dans le pays (avortement, homosexualité…).

En ce qui concerne « la lutte contre le terrorisme », il s’agit de « prévoir une définition commune des infractions terroristes, y compris de la tentative et de la complicité ; de prévoir, pour ces infractions, une très large harmonisation des sanctions pénales au sein de l’Union européenne avec des seuils effectifs et proportionnés ». En clair, obliger les Etats membres de l’Union (et les Etats candidats) à se doter de lois d’exeption anti-terroristes et leur imposer des quantums de peine allant jusqu’à vingt ans (y compris pour des pays où le seuil maximum de la peine est bien en deçà).

Il leur a fallu aussi remplacer l’ancienne définition des actes de terrorisme, qui apparaissait dans l’article 2, 1 b de la Convention internationale sur le financement du terrorisme, à savoir : « Tout […] acte destiné à causer la mort ou des dommages corporels graves à toute personne civile, ou à toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte est destiné à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. » Ce qui désignait un peu trop clairement l’ensemble des Etats de la planète qui ont eu recours au long du xxe siècle à l’usage des armes, toutes les guerres récentes ayant été conduites principalement contre les populations civiles. Dorénavant, la nouvelle formulation, celle proposée au Conseil de l’Europe, définit comme terroriste tout acte commis « par un individu ou un groupe contre un ou plusieurs pays, leurs institutions ou leur population, et visant à les menacer ou à porter gravement atteinte ou à détruire les structures politiques, économiques ou sociales d’un pays » selon des actes et des modalités dont la définition est plus que large, puisqu’il contiennent « les dommages corporels ; le vol simple ou qualifié ; la provocation d’incendies, d’inondations ou d’explosions, la mise en danger de personnes, de biens, d’animaux ou de l’environnement ; la capture illicite d’installations étatiques ou gouvernementales, de moyens de transports publics, d’infrastructures, de lieux publics et de biens ou les dommages qui leur sont causés ; la perturbation ou l’interruption de l’approvisionnement en eau, en électricité ou toute autre ressource fondamentale ; la commission d’attentats en perturbant un système d’information ; la menace de commettre l’une des infractions précédemment mentionnées ; l’encouragement ou le soutien d’un groupe terroriste… » Bref, pourront être soumis aux lois d’exeption antiterroristes aussi bien la simple occupation d’une gare qu’une grève à EDF, un piratage informatique, ou simplement la solidarité avec l’un de ces actes. De plus chaque Etat est invité « à prévoir une aggravation des peines encourues […] lorsque l’infraction terroriste est commise contre […] des juges, des magistrats ou des fonctionnaires judiciaires ou pénitentiaires et des forces de police ».

Tous ces dispositifs ultrarépressifs dignes d’un climat de guerre civile contre tous les pauvres et les rebelles sont déjà signés et en voie d’application. Les quelques réticences formulées par certains gouvernements et des associations de défense des droits de l’homme se heurtent à la volonté de fer du noyau dur des européistes pour qui cette étape est nécessaire vers la construction d’une réelle puissance européenne. Perdre du temps sur la mise en place de l’espace judiciaire commun, c’est repousser la constitution de l’Europe comme entité militaro-politique.

La gauche bien pensante, d’Attac au Syndicat de la magistrature, malgré leurs jérémiades contre ces « lois liberticides », ne propose que d’accélérer le processus (« les pouvoirs de la police en Europe vont être étendus sans que soient mis en place les contre-pouvoirs nécessaires à tout fonctionnement démocratique des sociétés : par exemple, un parquet européen pour la diriger, un juge des libertés européen pour la contrôler ou un corpus pénal d’incriminations communes » ), il n’y a vraiment plus qu’eux pour penser que le pouvoir judiciaire a pour fonction de garantir les libertés et de contrôler l’exécutif. Quiconque a déjà mis les pieds dans un tribunal a pu clairement constater que police et justice sont deux instruments complémentaires de la guerre aux pauvres et de l’écrasement de toute rébellion envers l’ordre établi. A croire que la condamnation de leur ami José Bové ne leur a pas suffi et qu’ils réclament d’autres coups de bâton…