PAROLES D'UN DETENU LONGUES PEINES
DE LA CENTRALE DE RENNES

« Ici il y a trois termes à bannir:réinsertion, logique,humanité… »

A louer:
Pour les vacances / Durée indéterminée / Pension complète dans une grande villa en centre-ville / Vues au choix : vue panoramique sur la cité animée / Vue sur l’esplanade fleurie / Vue sur le verger / Calme, propice à l’évasion / Restauration express / Repas équilibrés et copieux / Servis expressément au pas de votre porte / Plus de fatigue ! / Sécurité optimale / Gardiennage assuré jour et nuit / Facilité d’accès / La villa « Cité des femmes pénitentes » est accessible par… / Pour tout renseignement : gendarmerie ou police nationale / Attention : liste d’ attente abondante !
Côté médical…

Alors là c’est l’apothéose, et je sais de quoi je parle, je suis infimière. Le médecin fait acte de présence deux demi-journées par semaine, et nous ne sommes jamais moins de deux cents donc voyez vous-même !
Faut pas être malade, sinon c’est le déclin. La dignité ; eux ne connaissent pas ! Cela ne fait pas partie de leur vocabulaire. Savent-ils ce que cela veut dire ?… Là est la question !
Tiens, si vous ne vous sentez pas bien, il y a un service CMPR psychologue-psychiatre, infirmier psy.
Moralité : vous voulez être aidée, pour faire un travail sur vous-même, c’est le but de chacun, quand il s’agit d une démarche personelle…

Devant qui êtes-vous, c’est à se demander : « Bonjour, comment ça va ? » Question stupide : si on y va, c’est que cela ne va pas, on ne demande pas forcément un traitement, Dieu merci, mais une « écoute »… Parlons-en : parler au mur ou à votre armoire, cela a la même efficacité. Ou alors vous avez le rituel : « Alors que veux-tu comme traitement ? » Là, j’ai l’impression d’être devant un dealer, c’est grave mais c’est gratuit et on ose appeler « prison-réinsertion »…

Abolition de ces méandres. Quand vous rentrez on vous appelle Pierre, André, Brigitte. En sortant vous êtes Nikita, merci la justice française, nous vous devons beaucoup, en sortant on sera capable de tuer. C’est devenu comme braquer, voler, escroquer, c’est la meilleure école qui donne des résultats de récidive haut niveau, même l’ENA n’a pas tant de réussite. Vive la France.
Mais ne l’oubliez pas, on a besoin de vous.

Côté travail…
On dit que l’Asie est sous-payée, je l’affirme ; c’est faux, ils sont riches. Ici on travaille à la pièce; un fax avec 26 pièces à mettre. Travail méticuleux : 0,20 centimes d’euro brut; no comment. Imaginez le rendement qu’il faut pour avoir à peu près 350 à 400 F cantinables ; moins 10 % partie libérable, moins 10 %, moins 300 F de frais d’entretien en échange de 4 rouleaux de papier wc, une éponge, un dentifrice (de merde), un gel douche a utiliser de préférence pour les chiottes, sinon boutons assurés, 25 cl de Javel, tout ça pour entretenir notre loft de 7 m 2 contenant une armoire, un chevet, un lavabo, un wc, une table, une chaise, un lit, une fenêtre et des grilles… Voilà le studio pas mal ; mais je préfère ne pas renouveller le bail. Le régisseur est un escroc, même pas de concierge, vous paumez votre clé : 170 F pour avoir droit au double…
Ah oui, j’avais oublié le plus important pour être en prison, il faut de l’argent : tout s’achète, même le droit de respirer, quelle piètre constatation, heureusement j’ai de la Ventoline…

Fouilles à corps
Désagréable pour nous, jouissif et bandant pour eux. Je pense que lorsqu’ ils choisissent cette profession, ils doivent tous avoir un côté refoulé de voyeur ! Et c’est rien de le dire, il faut y passer pour y croire. Sondage des grilles chaque soir, ne rigolez pas, des fois qu’on les ronge avec les dents, il faut éviter tout danger. Protection. Parce que s’il y en a une qui se barre, là ils sont mal, très mal…
Les unités de vie du centre pénitentiaire

Des femmes paient leur dette à la société et attendent que le temps passe. Un temps sans plaisir, ni espoir, ni joie ; c est à visiter. Cela ferait réléchir certains. Nous sommes les oubliées du monde, ce n’est ni horrible ni violent, c’est un mouroir, c’est accablant, dégradant, affligeant. Un chef dit que dans les prisons pour hommes la tension est constante, la cavale aussi, ça pète. Chez les femmes ce qu’on ressent surtout, c’est la déprime profonde, le désespoir, le néant, les méandres !

Tout ici, chaises, tables, étagères, est decalé. Ici les femmes circulent comme elles veulent dans 1a journée, pourvu qu’on sache où elles sont, ce qui n’est pas difficile, on patauge dans le quart-monde, on se croirait chez les demeurés. En revanche, nous avons une médiathèque ; le top. Dommage que 70 % soient analphabètes, bouches édentées, regards brisés, fatiguées, bourrées de violence rentrée, de vacheries, d’aigreur, de fascisme.
Tout est lissé, petit, médiocre, vil, infantilisant, c’est l’onde de choc. A 200 mètres de là un TGV secoue la nouvelle gare, 260 km/h. Surtout ne pas perdre de temps.

Il faut savoir qu’une fois détenue, on s’occupe de toi, on pense pour toi, on agit pour toi et on décide pour toi, c’est infantilisant. A n’importe quel moment de la journée on peut t’appeler et tu dois t’exécuter sur-le-champ. La période pendant laquelle la détenue peut se dire « je vais pouvoir enfin être tranquille » est la fermeture le soir de l9 heures 30 à 7 heures et, là encore, il faut avoir la chance d’avoir un bon sommeil, car les rondes avec la lumière en pleine poire c’est génial, et surtout que ta voisine ne soit pas bruyante, poste à haut volume, lessive à minuit en faisant couler le robinet et tout ça résonne à un point indescriptible et invivable.

Pourquoi ne pas rétablir la peine de mort car quinze, vingt, trente ans et perpète sont une mort lente, je le dis tout haut et là j’ai la rage, pas celle des dents, celle de dedans. Qui vous donne le droit, vous la Justice, de tuer à petit feu des innocents ? Qui au nom de qui ? J’aimerais savoir, j’aimerais comprendre, car cela n’a aucun sens. C’est démesuré, pitoyable, ridicule, c’est une honte pour le gouvernement !