C’EST ARRIVE PRES DE CHEZ VOUS …

Samedi 24 août 2002, un homme se rend à vélo chez un ami, dîner. Il est 8 heures. Dans le hall d’immeuble où il entre, quatre hommes l’attendent. Ils ont vite fait de se saisir de lui et de l’embarquer dans leur voiture banalisée. Cinq heures plus tard, on les retrouve sous le tunnel du Mont-Blanc, livrant leur homme à la police italienne. Le lendemain, sur toutes les ondes, ce vulgaire kidnapping s’appelle extradition, et le jeune professeur de faculté qui en a fait l’objet devient un terroriste. Hier encore, Paolo Persichetti faisait partie de ces dizaines d’Italiens poursuivis dans leur pays en vertu des « lois d’exception » et que l’Etat français refusait de donner. Et en effet, chacun peut apprécier tout l’ubuesque de la décision qui frappe Paolo : condamné en appel à une peine «exemplaire» de vingt-deux ans sur la base des déclarations d’un repenti dont le témoignage fluctuant n’avait pas même été retenu en première instance, et ce pour simple « complicité morale » avec le communisme combattant des années 80.

Il y a trente ans, en Italie, un ordre social vermoulu rencontrait à tous ses échelons le refus d’obéir, de payer et de travailler — le refus de se laisser exploiter. Dix ans durant, toute autorité se trouva minée par l’expérimentation sauvage de rapports inédits entre les êtres et la disposition insurrectionnelle à en découdre. La seule voie que trouva le pouvoir italien pour se survivre, ce fut la «lutte antiterroriste», les «lois d’exception» et la prime à la délation, sur fond de massacres d’Etat. Vingt mille procès furent lançés et cinq mille camarades emprisonnés, non pour ce qu’ils avaient fait, mais pour ce qu’ils étaient — des rebelles. Reconnaissant confusément cette situation, l’Etat français avait à l’époque accordé une sorte d’asile politique aux réfugiés italiens.

Mais entre-temps, l’implosion des sociétés capitalistes ayant suivi son cours, c’est plutôt elles qui ont fini par s’aligner sur l’état d’urgence italien. Des «lois antiterroristes» sont à leur tour passées à l’échelle européenne qui permettent de détenir quiconque sur un simple soupçon, couvrent tous les crimes et délits possibles mais en triplant au passage les peines encourues. On prépare pour 2004 l’introduction du mandat d’arrêt européen dont la principale vertu est tout de même d’être rétroactif. Sous la démocratie espagnole, on interdit légalement des partis politiques. Ici, on adopte des lois comme la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) dont même les parlementaires qui l’ont votée doivent reconnaître qu’elle est anticonstitutionnelle, mais bon « le 11 septembre », etc. Qu’un gouvernement d’escrocs notoires fasse à un autre régime d’escrocs plus notoires encore la grâce de rouvrir le dossier d’une insurrection que l’on croyait close dit assez comme il se sent vulnérable au moindre tumulte. Nous n’affirmons pas que l’extradition de Paolo Persichetti concerne chacun en vertu d’une simple solidarité sentimentale, mais parce que c’est par ce genre d’arrogance qu’un gouvernement teste le niveau de résistance de sa population. Parce qu’il est dans les mœurs de tout régime de terreur de déclarer «terroriste» ce qui est résolu à le combattre. Parce qu’un ordre qui n’a plus d’autre justification que les flash-balls qui le protègent conjure par la seule intimidation la nécessité pour tous de sortir du rang.
Et parce qu’il n’y a rien d’intolérable avant que l’un ou l’autre ait décidé de ne plus laisser faire.

Paolo nous écrit de Rome qu’« il s’agit de briser toute velléité de mettre en marche une machine à extrader ». Un tel résultat dépend à présent de la construction d’une vaste offensive contre un ordre à la fois périmé et triomphant. Liberté pour Paolo Persichetti Refus de toutes les extraditions Amnistia !