EDITO …

« La démocratie, c’est cause toujours ; la dictature, c’est ferme ta gueule. » Ce vieux slogan se trouve aujourd’hui quelque peu modifié.
La démocratie c’est aussi « ferme ta gueule », surtout lorsqu’elle s’est débrouillée pour que plus personne n’ait envie de l’ouvrir.

Les ministres en charge de la répression (Intérieur, Justice) se tirent la bourre pour obtenir la médaille de la loi la plus autoritaire :
Perben avait ouvert la compétition en juillet avec sa première refonte du Code pénal, Sarkozy le talonne avec son projet de loi sur la sécurité intérieure qui devrait être voté au Parlement dans les semaines à venir et qui prévoit une cinquantaine de transformations d’articles du même code. Ce texte contient entre autres le rétablissement des délits de mendicité, de racolage passif, de la prison ferme pour les stationnements dans les halls d’immeuble, comme pour les squatteurs et les gens du voyage.
Au moins, ceux qui souhaitaient plus de lois et plus d’Etat dans l’organisation sociale sont servis. Nous, nous nous demandons jusqu’où cette déraison pourra emmener l’ensemble de la société sans qu’il y ait de véritables réactions. Les quatorze ans de gauche plurielle auront fini de casser toutes les formes de communauté qui échappaient au contrôle du pouvoir, tentant de faire de l’Etat la seule communauté légale. Notre seule satisfaction est que nous voyons aujourd’hui tous ceux qui se partageaient les postes de responsabilité largement rétribués il y a à peine un an se décomposer littéralement sous des questions existentielles du type « suis-je de gauche ou de droite ? »

Le deal proposé depuis le milieu du xixe siècle aux ouvriers garantis consistait à leur proposer d’abandonner le terrain de la lutte des classes et de rejoindre le camp des propriétaires : c’est dans le développement de cette proposition qu’ont disparu les liens sociaux de quartier, de lieux de travail, d’associations… Cet échange risque de ne plus tenir très longtemps si l’on en croit les signes extérieurs d’une économie qui semble malade : le niveau de vie baisse, le passage à l’euro vide inexorablement les porte-monnaie, le chômage augmente en même temps que les allocations baissent, le service public se délite et se vend au privé qui a moins de scrupules à précariser une main-d’œuvre en surnombre, les usines ferment et se délocalisent laissant en plan ceux qui ne veulent pas se plier aux lois intransigeantes du marché du travail, et ce quand il y a de l’embauche, une guerre se prépare, les investissements boursiers sont en crise ; bref tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et là, on comprend mieux l’hystérie sécuritaire du pouvoir : il a raison de s’inquiéter des réactions d’une jeunesse que non seulement on laisse en plan, mais à qui on se met à interdire tous les moyens de survie pourtant vitaux.
C’est avant la prison qu’il est préférable de se battre contre l’enfermement : la bataille contre le tout-sécuritaire concerne bon nombre de personnes qui se sont laissé endormir par une idéologie droit-de-l’hommiste qui pose le Droit, la Justice comme des valeurs transcendantales quand elles ne sont que l’expression d’une classe dominante. Les enseignants, les éducateurs sont appelés à devenir des agents de la répression, à eux de réagir et de refuser concrètement dans leurs lieux de travail de devenir à leur tour des auxiliaires de police. Le temps n’est plus aux colloques ronronnants, aux débats sans lendemain, aux bonnes intentions sans suite ; il est aux rencontres capables de fabriquer des critiques, il est aux associations soucieuses de bloquer la machine, il est à l’imagination de nouvelles formes d’organisation, il est à la diffusion de notre conception des rapports sociaux.