Camping au bord du Rhin
Du samedi 18 au dimanche 27 juillet, environ deux mille personnes se sont réunies à Strasbourg pour s’opposer, en paroles et en actes, à divers aspects de la politique policière et répressive menée par les Etats européens.
Le campement était lancé à l’initiative du réseau No Border, qui s’est constitué autour du mot d’ordre « pas de frontières, pas de nations, pas d’expulsions » ; et qui coordonne depuis 1998 les initiatives de divers groupes européens contre les centres de rétention et les expulsions de sans-papiers. Parce qu’il s’est centré autour de la question du contrôle social, le campement de Strasbourg a permi un élargissement des thématiques constitutives de No Border : de fait, nombre de ceux qui se sont déplacés ne participaient pas à ce réseau.
Le choix de Strasbourg s’explique par la présence dans sa banlieue des bâtiments qui abritent les ordinateurs du SIS, le Système d’information Schengen. Ce système informatique sert non seulement à centraliser des informations sur les clandestins à expulser, mais aussi à recenser les individus jugés potentiellement subversifs. Ce fichier, clé de voûte de la coordination des polices européennes et face cachée de la « liberté de circulation » dans un espace Schengen sécurisé, doit permettre l’application du mandat d’arrêt européen et autres innovations répressives du même genre.
Le camp a pris place à proximité immédiate de la frontière allemande. Ce site était le seul disponible avec l’accord plus ou moins tacite de la mairie. « Ces gens-là ne sont pas nos invités », avait précisé le maire Keller. D’ailleurs, nous n’avions jamais souhaité être invités par ce triste sire. Le site était loin de tout, sauf de l’hôtel Mercure réquisitionné par la préfecture pour y loger la compagnie de CRS qu’elle avait obtenue en renfort.
La diversité des participants au camp permettait de ne pas se limiter dans le choix des sujets à aborder : c’est pourquoi, au fil des discutions, débats et projections qui eurent lieu à toute heure du jour et de la nuit dans les quatre coins du camp, il fut également question de prisons, de luttes sociales, d’anticapitalisme, d’antipsychiatrie, etc. Aucune position commune, comme on peut s’en douter, ne se dégageait jamais sur aucun de ces sujets, l’objectif n’ayant jamais été d’en rechercher une. La cohérence se cherchait en revanche plutôt dans la forme du fonctionnement collectif, avec un souci poussé d’autoorganisation et de non-spécialisation des tâches. De ce point de vue, le camp de Strasbourg a représenté une tentative plus ou moins aboutie pour rompre avec le style d’organisation que l’on trouve dans les manifestations internationales habituelles, comme les contre-sommets ». Ainsi, par exemple, les problèmes juridiques étaient pris en charge par les participants au camp et non par une équipe d’avocats.
Tout au long de la semaine, la presse s’est obstinée à présenter le réseau No Border comme un « mouvement anti-mondialisation », alors même que cette question a été à peine abordée durant le camp. Il est vrai que ; pour les médias, il ne saurait exister d’autres opposants radicaux, et même d’autres opposants tout court, que les « antimondialistes ». Cette confusion a conduit un obscur bureaucrate de la section strasbourgeoise d’Attac à rédiger un communiqué dans lequel il accusait No Border d’usurper le terme « antimondialisation », affirmant ainsi ses droits de copyright sur ce mot que pourtant nous n’avions pas cherché à lui disputer.
Actions et réactions
La diversité des participants au camp permettait une diversité des thèmes abordés, mais aussi des modes d’action. Autour des manifestations les plus massives, qui étaient quotidiennes, des actions ponctuelles n’ont pas cessé, au moins pendant les cinq premiers jours du camp. Tous les matins, par exemple, un petit déjeuner fut organisé devant la maison d’arrêt d’Elsau afin de discuter avec les familles et les proches de prisonniers se rendant aux parloirs. Plusieurs halls d’hôtels appartenant au groupe Accor furent simultanément saccagés : il s’agissait de rappeler à la direction du groupe hôtelier que son engagement au côté du ministère de l’Intérieur pour fournir des locaux aux expulseurs peut lui attirer quelques désagréments, mais aussi de soutenir une grève des femmes de ménage d’Arcade, employées en sous-traitance par Accor.
Pourtant, assez rapidement, ce furent les manifestations du centre-ville qui occupèrent la plus grande part de l’éngie des participants au camp. Dès le lundi 22, trois personnes sont interpellées à la fin de la manifestation et passeront en procès pour « vol et dégradation d’un symbole national », à savoir un drapeau français. Le mercredi 24 juillet, la manifestation pour la liberté de circulation et d’installation prenait pour cible des bâtiments liés à la répression contre les sans-papiers, comme le tribunal administratif, les agences du groupe Accor et le palais de justice. L’objectif initialement prévu était le centre de rétention, mais la préfecture s’est sentie contrainte de le vider en prévision du campement : ainsi pas un étranger n’a été arrêté durant les dix jours du campement et les quelques jours le précédant.
Comme la manifestation tentait de revenir vers la gare, diverses charges des flics avec gaz lacrymogène et tirs de flash-balls conduisaient les manifestants, après un dédale de ruelles, à se regrouper devant la cathédrale sous les yeux médusés des touristes. La plupart des manifestants qui se trouvaient isolés du corps principal de la manif étaient interpellés : il y eu plus d’une vingtaine de gardes à vue ce soir-là. La manifestation décida de retourner à pied jusqu’au camp, suivie à quelques mètres par les cordons de BAC et de CRS.
C’est alors que les flics rentrèrent en force au milieu du cortège pour procéder à une arrestation ciblée et violente. Les manifestants n’eurent pas le réflexe de serrer alors d’avantage les rangs, ce qui aurait peut-être permis d’empêcher l’intrusion des policiers. Après, il était trop tard et les flics se dégagèrent avec les gazeuses, les tonfas et les flash-balls. Deux tirs tendus eurent lieu à ce moment-là. L’un d’eux toucha un manifestant à une distance de deux mètres : le point d’impact était en haut de la cuisse et, selon les médecins du Samu qui durent intervenir, un tir 20 cm plus haut était potentiellement mortel.