LE PAYS DES PRISONS, LE ZERO ET LES CHOSES ( 2ème partie)

Ici, au pays pénitentiaire, depuis belle lurette, le patriotisme des donneurs de coups de trique a déjà banni du tricolore le rouge. Pas seulement la couleur de la libération, la couleur de certains prisonniers révolutionnaires, mais le rouge jusqu’au sang lui-même. S’il coule, malgré tout, c’est en cachette. Dans cette contrée, la mort est lente. Banale. Le crime doit se draper de naturel comme si l’assassinat était dans l’ordre des choses, qu’il se prescrivait sous ordonnance judiciaire comme un médicament frelaté.

lls ont également banni le blanc. Pour eux, personne n’est innocent. Tout prisonnier est justement châtié. C’est le droit canon de la punition. Et les coléoptères fonctionnaires entrent en guerre civile. Ils se mobilisent et se protègent dans l’inflation des mesures sécuritaires. Des caméras, des portes blindées, des sas, des fils barbelés à foison, ils sont même prêts à faire feu pour un oui ou pour un non. Et impossible de brandir le drapeau blanc. Impossible de dire stop. Savez-vous que, dans ce pays pénitentiaire, un surveillant peut tuer quelqu’un d’une balle dans le dos sans que jamais un juge n’ose lever le petit doigt. Ça s’est produit à Cayenne, il y a quelques mois de cela. Qui s’en souvient encore ?
Pour être plus clair et comme notre temps est compté, prenons un fait révélateur, un seul exemple de l’époque qui s’ouvre.

La vague bleu marine nous apporte un sous-ministre des Prisons. Un ministre au rabais en quelque sorte ! Le secrétaire d’Etat aux Programmes immobiliers de la justice. Que la sémantique est précieuse pour ne pas appeler un chat un chat, et un ministre des Prisons un ministre des Prisons.

Mais, derrière le nom se cache à peine l’intention et la philosophie de sa mission.
Qu’importe finalement que, dans les cités de Mantes-la-Pourrie, le sieur Bédier ait concurrencé les lepénistes par une surenchère sécuritaire. La cause est entendue, pour les « bleu marine » tout repose sur l’immobilier, c’est-à-dire les murs, les miradors, les grilles... Et, par défaut, nous, les prisonniers, nous apparaissons comme étant le mobilier, nous, au même titre que les chaises et les tables quand elles peuvent encore bouger. Les lits sont scellés ! Et, par les temps qui courent, tous les mobiliers ont tendance à se clouer sur place. D’un côté, les peines augmentent et, de l’autre, ils referment les portes, réduisent les activités, les heures de socialité. Dans notre 9 mètres carrés, nous circulons seulement de la fenêtre à la porte… Hier, nous étions des numéros, nous voici renvoyés à l’état d’objets.
Il n’y a eu qu’un prédécesseur à la fonction de ministre des Prisons.

En 1975, après un été multicolore d’incendies et de révoltes, Giscard désigna en hâte une secrétaire à la Condition pénitentiaire. Et toute la différence est dans son titre. La condition marque malgré tout l’humanité du prisonnier. Aujourd’hui, l’immobilier sanctifie la chosification ultime, la soumission des objets. Fini le temps des beaux projets, des lois pénitentiaires, de la citoyenneté des détenus et des rapports parlementaires sur « l’humiliation de la République », le sens donné à la réforme est bien celui de l’emballage réactionnaire. Et voici le ministre du
Rangement et des Clapiers ! Le secrétaire aux Choses prisonnières.
Et, dans ce monde de choses, I’humanité s’évanouit. Le meilleur des mondes tend à nous réduire à ce rien, à moins que rien, au zéro du néant. Le néant, selon Platon, est inexprimable, voilà pourquoi la condition prisonnière est devenue indicible.

Le néant des choses prisonnières répond en écho à la tolérance zéro et au zéro défaut de votre pays prétendument et autoproclamé berceau des droits de l’homme, mais qu’importe pour les bonnes âmes puisque nous ne sommes plus de chez vous mais d’ailleurs, du pays des prisons…