Comment expliquer que la construction en cours d’au moins trente nouvelles prisons ne suscite quasiment aucun débat, aucune réflexion, aucune critique, sinon refus, de la part d’organisations, d’associations concernées ? Dans les conférences, colloques, rencontres autour du thème carcéral sont abordées au travers de longues conversations ronronnantes les grandes interrogations philosophiques comme le « sens de la peine » et les réponses préfabriquées sont les inévitables tartes à la crème comme les alternatives à l’incarcération. Mais pendant ce temps, jamais le problème bien concret de l’avancée des chantiers, de l’ouverture imminente des premières constructions n’est posé. Un peu comme si tout le monde faisait mine d’oublier que le dispositif sécuritaire planifie la mise au ban d’un nombre croissant de la population qui déroge aux règles de l’économie capitaliste comme de ceux qui en sont déjà exclus.
Pourtant le fait que pour la première fois un secrétaire d’état délégué au développement immobilier du parc pénitentiaire a été nommé devrait au moins révéler l’importance du projet des 8 000 nouvelles places : où sont les 5 millions de manifestants du 1er mai qui refusaient soi-disant le fascisme et qui en acceptent tous les relents : violence policière, contrôle renforcé et exploitation accrue ? Lors du dernier programme, celui des 13 000, quelques associations pourtant assez timorées comme la Farapej s’étaient positionnées clairement contre le projet de construction : il restait évident que même si l’on en restait aux débats sur la réinsertion ou sur les améliorations des conditions de détention, chaque nouvelle place de détention signifiait un échec.
Il est vrai que jusque-là le gouvernement n’a pas fait beaucoup de publicité, très peu d’articles de presse sont parus sur le sujet et ils ont généralement décrit les options architecturales des futures taules, faisant mine de les adapter aux idées citoyennes des Droits de l’homme. Soit il cherche à éviter une opposition, soit il pense que ce débat déjà enteriné n’a pas besoin d’être posé à nouveau. Il n’en demeure pas moins que ce silence généralisé, de l’intérieur comme de l’extérieur, est inquiétant : l’idée avancée dans ce projet est clairement énoncée par le pouvoir : le but pour les années à venir est bien d’enfermer de plus en plus de monde pour de plus en plus longtemps. Au moins l’implantation d’une centrale nucléaire a-t-elle toujours provoqué des refus, ne serait-ce que parce que cette énergie est perçue comme dangereuse pour l’environnement. Le fait que la construction de plus en plus de lieux d’enfermement n’éveille pas plus de résistance est révélateur du niveau de soumission ambiant, qui rend incapable de comprendre qu’une société carcérale est une société mortifère ; et c’est bien cette soumission à un monde de plus en plus fliqué, militarisé, bétonné, rentabilisé, qui laisse la voie ouverte à la solution de l’emprisonnement comme réponse aux problèmes sociaux et économiques.
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