A L'ATTENTION DE LA DIRECTION DE FRESNES
Le 15 mai 2002

Je viens, par la présente, vous informer – par voie écrite puisque je l’ai déjà fait à maintes reprises par voie orale, je respecte ainsi votre « protocole » – que depuis que j’ai été envoyée au mitard (samedi 11 mai vers 16 h), je refuse systématiquement chaque repas qui m’est si délicatement proposé !
Appelez cela comme vous voulez, « grève de la faim » est une expression peu appropriée à mes yeux mais bon… Laissez-moi vous expliquer pourquoi je ne mangerai pas durant mon séjour au QD comme vous aimez le désigner…

Avant tout parce que c’est bel et bien l’ultime moyen dont je dispose pour protester contre cette punition aussi absurde qu’injuste (pour obtenir des promenades d’une durée double en été et un lieu pour se retrouver quand il ne fait pas beau, bref pour plus de contacts entre détenues et aussi de respect !!! Comme je l’ai déjà expliqué).

En effet, Monsieur le Directeur, à la fois Juge et Procureur, croit tout savoir du haut de son prétoire, et tout avoir… de son côté, en particulier la loi, selon laquelle la sanction du mitard est la seule appropriée (en tout cas la seule qu’ils aient jugé bon d’appliquer) pour répondre à toute infraction mentionnée dans le fameux CPP et donc à ce « refus de réintégrer la cellule à l’issue de la promenade » dont je suis accusée (ainsi que mes deux potes, ayant écopé de deux jours ferme et treize jours de sursis au bout des 48 heures de « mitard-prévention »).
à votre loi je me permettrai juste d’opposer quelques principes moraux car il semble que c’est tout ce que j’ai de mon côté…

Certes ma morale n’est pas la vôtre (et vice versa), vous n’êtes donc pas en mesure de la prendre en considération me direz-vous, rassurez-vous, on ne vous en demande pas tant !
Si vous pouviez seulement lever un peu le nez de tous vos règlements et me lire jusqu’au bout, juste m’écouter en somme, sans en conclure une fois de plus que je fais preuve d’arrogance…

D’ailleurs conscients – vous et moi – du peu de poids accordé à mes paroles, les coucher sur papier, n’est-ce pas plutôt une forme de courage que d’arrogance ?
Alors voilà, ma morale à moi – et partagée par un bon nombre de personnes qui peut-être n’osent pas ou ne souhaitent pas l’écrire noir sur blanc pour diverses raisons… mais j’emploierai ici la première personne du singulier car selon vos dires (au prétoire) la pensée collective semble vous déplaire profondément donc je n’emploierai pas (trop) le « nous » que vous haïssez tant…
Ma morale réside dans la nécessité de s’entraider et de lutter contre toute oppression. Même lorsque celle-ci a été érigée en institution…
D’ailleurs qui pourrait contester cette valeur universelle du droit des peuples (ou communautés) opprimés de s’insurger ?

Certes, votre devoir à vous est de veiller au bon ordre et à la sécurité de l’établissement mais le mien est de lutter sans cesse pour préserver quelques espaces de liberté et de vie, de créer ou de renforcer les liens « sociaux » qui peuvent exister… Ce qui n’implique pas forcément de nuire au bon ordre carcéral, au contraire…
Tout mettre en œuvre pour que les détenues puissent survivre et se « conserver » en bonne santé mentale et physique (effet escompté par la mise en œuvre des principes que je défends) ne permet-il pas aussi de perpétuer la tradition de votre métier qui consiste à nous surveiller et/ou à nous « gérer », n’est-ce pas ? Mais vous me punissez pourtant !

Or ma méthode (de refus) demeure non-violente tandis que la vôtre est d’une violence inouïe puisqu’elle consiste à me priver de tout contact humain (hormis avocats et corps médical) et de tout ce qui fait la vie… Par ce refus de réintégrer nos cages aseptisées nous avons ainsi manifesté un besoin d’être écoutées et par là même, notre volonté de vivre, mais il semble que vous persistiez – par cette punition – à vouloir m’enterrer vivante dans cette antre de la mort, dans ces cages d’un autre âge…

C’est donc au nom de la solidarité que je proteste encore une fois car c’est la valeur supérieure à toute autre à mes yeux…
Pendant que j’y suis, j’en profite pour citer une partie du règlement intérieur et/ou du CPP (je ne sais ?!) que nous rejetons en détention et qui montre à quel point vous faites fi de nos valeurs : « Tout prêt, tout don, tout échange entre détenues est interdit. » Par là même, vous avez érigé l’égoïsme en valeur suprême, l’individualisme en modèle, cette punition de dix jours de QD que vous m’infligez le prouve également, et refuser de manger revient pour moi à refuser « concrètement » d’adhérer à ces valeurs qui me semblent bien néfastes pour l’avenir de l’Humanité… Car en me condamnant si injustement, c’est toute forme de solidarité que vous sanctionnez…