LES ELIMINATORIUMS DE LA REPUBLIQUE

Benoît a été libéré lundi de Pentecôte au matin.
Avant de nous quitter, il fit le traditionnel périple d’adieu. Il passa aux cellules du rez-de-chaussée puis, chez nous, au premier. Un encouragement pour ceux qui restent. Un salut pour celui qui part. L’exceptionnel d’une libération
un jour férié avait sauté aux yeux de certains d’entre nous. C’était bizarre. I1s auraient pu le libérer le samedi précédent ou le lendemain, mardi. En prison, si on ne sait pas, « Eux » savent et ils ne font rien au hasard. Benoît n’avait pas fait trois pas dehors que la mort le rattrapa. Le dimanche suivant, il était déjà trépassé. Les médecins avaient-ils prévenu que ce n’était plus qu’une affaire d’heures ? L’Administration avait-elle peur qu’il meure en cellule avec tous les risques que cela représente pour la tranquillité de la prison ?
Voilà pourquoi on pouvait percevoir dans cette libération le malaise d’une précipitation. De la panique même après des mois d’attente inutile. En effet, nous le savions malade. Très malade depuis longtemps. À l’annonce de sa rechute, l’année dernière, et de l’inéluctable pronostic, nous nous étions mobilisés. Durant plusieurs heures, nous avions bloqué tous les mouvement de la prison en occupant le rond-point central. Nous avions exigé la libération immédiate des détenus malades et celle de Benoît en particulier. Les officiels étaient venus, le procureur, les flics, les directeurs… Bien sûr, ils nous firent quelques promesses pour apaiser l’incendie. Mais ce n’était que des engagements de tartuffes.Pis, car il firent payer à Benoît le prix de cette mobilisation. Lors de l’examen de sa demande de libération conditionnelle, dans les attendus du refus, il lui fut reproché d’être l’un des meneurs du mouvement.
Par la suite, l’Administration et le JAP n’ont eu de cesse de lui asséner le chantage : sa demande serait réexaminée en échange de son silence sur sa situation médicale. Les mois ont passé et le chantage a parfaitement fonctionné. Il s’est conclu par la libération de Benoît cinq jours avant sa mort.
Depuis janvier 2002, dans cet établissement de deux cents prisonniers seulement, trois détenus sont morts de longue maladie. Il faut souligner que deux d’entre eux entraient dans les critères pour une libération conditionnelle et cela depuis des mois, voire des années. Mais le juge et le procureur de l’application des peines du tribunal de Tarascon en ont décidé autrement, ils ont préféré les laisser crever derrière les barreaux, jusqu’au bout de la peine, jusqu’aux dernières heures.
Benoît ne sortait pratiquement plus de cellule sauf pour les deux séances hebdomadaires de chimiothérapie. Il ne pouvait plus travailler. D’ailleurs ceci lui valut cette réflexion d’une JAP : « Enfin, M. B., vous ne profiteriez pas de votre état de santé ? »
Désormais, le nom de Benoît s’ajoute à la longue liste des détenus morts à la centrale d’Arles depuis son ouverture. Les centrales de sécurité sont de véritables éliminatoriums, et si elles sont très administrativement dénommées « établissements à effectif limité », il faudrait adjoindre « et de mort à foison »
. Un maton éducateur rappelait fort justement qu’on meurt en prison et que, à l’extérieur, on meurt aussi, mais ce que nous dénonçons c’est l’acharnement d’une application des peines qui tend à enfermer les malades jusqu’à la dernière limite. Jusqu’au dernier souffle de vie.
Pour Eddie, sidéen, ils ont attendu qu’il soit impotent pour le traîner sur un fauteuil jusqu’à l’ambulance. Il est décédé quelques heures plus tard.
Pour Yvon, victime d’une crise cardiaque, ils ont attendu qu’il perde connaissance pour le transporter aux soins intensifs.
Benoît, Eddie et Yvon avaient-il été condamnés à 1a prison jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Non !
Alors pourquoi cet acharnement ?
Les juges, le procureur et l’Administration semblent enrager de devoir les libérer comme si, mourants, ces malheureux les narguaient en leur échappant… Sous le couvert des règlements et des jurisprudences, ces sinistres personnages s’arrogent droit de vie et de mort sur une partie de la population abandonnée et emprisonnée.
L’un des scandales de cette situation en est sa banalisation et le silence complice qui lui permet de se perpétuer.
Quels que soient les crimes pour lesquels nous, prisonniers, sommes enfermés ici, si nous considérons le traitement qu’ils font subir aux mourants et, au-delà, aux malades incurables, nous prenons conscience que les véritables criminels sont le système et ses infâmes zélateurs. Les pires des criminels !
Mais qui aujourd’hui se préoccupe des conditions de vie et de mort de quelques misérables ?

« Sans révolution, pas de hic
Nous crèverons Rue Copernic. »
Arles, le 4 juin 2001