Il y a officiellement en Algérie (30 millions d'habitants) 145 établissements pénitentiaires, prévus pour 32 000 places mais occupés par 42 000 détenus, dont 28 000 prévenus et 800 femmes. Ces chiffres sont peu sûrs et ne tiennent pas compte, par exemple, des camps du Sahara, où pourrissent encore dans des conditions abominables on ne sait combien de prisonniers et où ont été enfermés, très souvent préventivement, plusieurs dizaines de milliers de présumés islamistes. Peu de nouvelles filtrent de ce qui se passe dans les prisons algériennes si ce n'est, de temps en temps, les chiffres hallucinants et donc difficilement dissimulables de massacres à grande échelle faisant suite à des mutineries ou à des évasions de masse le plus souvent provoquées à cet effet. Ainsi, entre autres exemples macabres, le 10 mars 1994, plus d’un millier de détenus islamistes, dont près de 300 condamnés à mort, s’évadent de la prison de Tazoult (ex-Lambeze), dans la région de Batna, lors d’un assaut mené par des groupes islamistes. Il s’avérera plus tard qu’il s’agissait d’une mise en scène : dans les jours qui suivirent, la majorité de ces évadés furent tués par l’armée, qui, ayant pris position dans la région autour de la prison, les attendait… Toujours en 1994, 200 détenus sont tués par balles lors de la répression de la mutinerie de la prison de Berrouaghia. Fin février 1995, dans la prison de Serkadji, située au centre d’Alger, les forces armées interviennent à la suite, selon la version officielle, d’une mutinerie de détenus islamistes. Il y aura 95 morts. Il s’avérera plus tard qu’il s’agissait d’une mise en scène destinée à liquider des prisonniers indésirables… En 1997, 27 détenus périssent asphyxiés dans un fourgon cellulaire lors de leur transfert d’Alger vers Relizane.
Quant aux conditions de survie quotidiennes à l'intérieur, elles sont à la mesure des conditions qui règnent à l'extérieur, c'est-à-dire terribles. La plupart des prisons datent de l’époque coloniale et sont surpeuplées et insalubres. Les épidémies y sont fréquentes : gale, tuberculose, méningite, etc. « La prison algérienne est restée pré-coloniale dans un pays qui a pompeusement déplacé la guillotine de [la prison de] Barberousse au musée du Moudjahid. » (El Kadi Ihsane, ex-prisonnier.)
Dans la soirée du 2 avril 2002, à la prison de Chelghoum Laïd (ville de l'est, située entre Sétif et Constantine), un incendie se déclare dans une cellule dortoir, suite semble-t-il à la tentative de suicide d'un détenu, qui a mis le feu à son matelas en mousse. Ce dortoir de 36 m2 est prévu pour 15 occupants. Pour respirer, il n'existe que deux bouches d'aération à 30 cm du plafond, situées à 3,50 m de haut. Il y a 24 morts et 22 blessés (oui, 46 personnes dans 36 m2 !), dont beaucoup dans un état critique. Les autorités parlent d'un problème de « sureffectifs pénitentiaires. » Plus cynique encore, le ministre de la Justice Ouyahia déclare : « Nous manquons de prisons par rapport à notre stock de détenus ».
L'entière vérité est que les gardiens ont tardé à ouvrir les portes malgré les appels à l'aide (« Le directeur du pénitencier n’était pas là pour nous en donner l’ordre. ») et que les pompiers sont arrivés très tardivement.
Dès le lendemain, familles et amis des détenus se regroupent autour de la prison puis attaquent le tribunal et le cordon de flics qui le protège aux cris de « Assassins, assassins ! » Ils se rassemblent ensuite devant la morgue pour récupérer les corps de leurs proches. On les fait attendre des heures, ne leur donnant aucune information et les traitant avec le plus grand mépris. La tension monte et la haine s'exprime violemment à l'égard de tout représentant de l'État : « Assassins, ils les ont laissés périr dans les flammes exprès. » « Pourquoi n'ont-ils pas ouvert la porte ? » « Tous ceux qui portent une tunique bleue sont kifkif. » « Assassins, nous devrons faire avec vous comme font les Kabyles. »
Et justement, que font les Kabyles ?
Ô oiseau à la tête bleue
Etends tes ailes dans les cieux
Et pose-toi au pénitencier
Tu salueras les prisonniers
Omar fils de Tifas
Mohand-Saïd des Aït-Kaci
Tu salueras les prisonniers
Exilés chaque jour
(Chant de guerre kabyle)
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