K. MARX versus H. BOSS

Depuis mon dernier courrier, nous sommes rentrés en campagne électorale. Le Grand Guignol électoral cette année tourne autour du thème de la sécurité. La droite, qui a toujours chevauché la vieille carne sécuritaire (rappelez-vous Peyrefitte et sa loi « sécurité et liberté », ou le duo Pasqua-Pandraud), fait mine en réactivant ce thème de se préoccuper des conditions de vie quotidienne des citoyens, ces « vrais gens » dont on est si loin en dehors des périodes électorales. Quant à la gauche « poubelle », en ce domaine comme en d’autres, elle poursuit sa politique de trahison de ses promesses, elle fait siennes les analyses des pires réactionnaires sacrifiés au culte des statistiques truquées du chômage. Et de promettre plus de police, de prisons, de maisons de correction new-look, pour y enfermer les « sauvageons », le tout à l’heure où la tolérance zéro n’est plus seulement le projet d’une politique nationale, mais devient une stratégie internationale (la guerre menée par les Etats-Unis contre le « terrorisme » partout où ils croient l’avoir débusqué).
Le résultat, nous le voyons tous les jours en détention : entre septembre 2001 et février 2002, le nombre de prévenus incarcérés a augmenté de 18,6 %. La population pénale est revenue au nombre de plus de 50 000 détenus. Les mineurs sont particulièrement concernés, puisque le nombre de prévenus de moins de 18 ans a augmenté de 44 % pour la même période. Quant aux mandats de dépôt, ils suivent la même hausse, 41 %. Les maisons d’arrêt se remplissent, le directeur des services pénitentiaires déclare avoir « de plus en plus recours à un triplement des cellules ». « On fait du stockage », raconte un surveillant du CJD de Fleury.

Les Baumettes a vu sa population remonter à 1 400 détenus ce dernier mois, alors qu’ici à Salon les arrivants ne restent plus qu’une semaine au lieu de deux, en zone d’observation, avant de monter en division. Ici aussi nous frôlons la jauge maximum. Pendant ce temps, les peines de détention s’allongent. Deux camarades primaires passant pour des bracos ont pris respectivement 16 et 14 ans de zonzon. Quant aux sorties, elles se font au compte-gouttes. Ma demande de conditionnelle a vu sa réponse ajournée au 25 juin, soit dans trois mois. Les délais s’allongent. Alors, la sécurité ? Parlons-en, ou plutôt de la violence, non pas celle mise en avant dans le discours ou les médias. Aucune violence n’est gratuite, accidentelle ou sauvage. Elle est toujours, quelles que soient ses formes, une réponse à d’autres violences mais celles-ci, éventuellement discrètes, normalisées, légitimées.
Ce qui peut étonner, ce n’est pas l’« augmentation de la violence » mais que des gens qui vivent dans des conditions insupportables n’aient pas encore décidé de s’organiser pour attaquer les camions qui livrent les grandes surfaces commerciales, que ne soient pas saccagés depuis longtemps ces « centres-villes » où l’on ne passe que devant des banques et des magasins de chaussures. Que cet univers de marques et de hiérarchisme où Hugo Boss vaut mieux que Karl Marx soit toujours préservé, comme s’il s’agissait de notre patrimoine.
Regardons donc cette violence et sa gamme infinie, qui pousse des millions de personnes dans les retranchements de la survie, violences liées à la précarisation du travail salarié, au dénuement, à la solitude, au mépris dans lequel sont tenus ceux qui n’en peuvent plus de lutter au quotidien pour tenir encore debout. Violences infligées, toujours plus gravement par la force militaire ou par l’emprise économique des grands groupes industriels et financiers, aux peuples du monde coincés entre martyre et martyrs ! Les tenants du système « démocratique » et de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, brandissent aujourd’hui la sécurité comme étant un droit fondamental de nos sociétés, comme la liberté et la propriété. Pour la propriété, guère d’inquiétude, celle des plus puissants est préservée et s’étend chaque jour par tous les moyens imaginables. La liberté, elle, se réduit à celle des entreprises, à la circulation des marchandises et à la comédie des démocraties de marché. Avec le temps, ils ont eu tendance à oublier de plus en plus un passage de cette Déclaration des droits de l’homme du 26 août 1789, un passage qui concernait un droit inaliénable lui aussi et que les gens redécouvrent et mettent en pratique aujourd’hui : la résistance à l’oppression.
Résistance à l’intérieur comme à l’extérieur, ici et ailleurs. C’est ainsi que le mouvement lancé en Espagne par les détenus à l’isolement, membres du Mouvement des prisonniers en lutte, a débouché sur une grève de la faim d’une semaine du 12 au 17 mars. Rappelons que ce mouvement se bat pour la libération immédiate des détenus malades victimes de pathologies incurables (sida, cancer, etc.), l’abolition du régime FIES et de celui de l’isolement, pour la fin de la dispersion géographique et la libération des détenus ayant atteint vingt ans de détention. Cette grève de la faim est un bond en avant dans la mobilisation des prisonniers en lutte, à un moment de dégradation des conditions de vie carcérale, motivée entre autres par la coupure des aides et des protections sociales, la hausse de la population carcérale (environ 50 000) et une hausse du contrôle et de la répression à l’intérieur comme à l’extérieur des murs, sous le prétexte là encore de la hausse de la délinquance. En plus de la semaine de lutte, de nombreux-euses prisonniers-ières continuent des jeûnes à chaque fin de semaine de chaque mois, des actions qui s’unissent à d’autres pour appuyer les revendications spécifiques de chaque centre. Par exemple, la majorité des personnes incarcérées dans le module MR1 de Quatre-Camins (Barcelone) ont réalisé une grève des cantines pour le passage à l’euro, qui a débouché sur une hausse de prix de plus de 35 % sur certains produits. Selon diverses sources proches du Mouvement des prisonniers en lutte (le journal Molotov, www.sindominio.net/upa-molotov, www.nodo50.org/UPA-molotov), la grève de la faim et de promenades lancée depuis la région d’isolement de Puerto I a été suivie par des prisonniers d’au moins 38 centres pénitentiaires, quelques-uns d’entre eux ayant décidé de la prolonger de manière indéfinie. Cette grève unitaire a été suivie de manière très inégale d’une prison à l’autre mais massivement dans la quasi-totalité des modules d’isolement et dans beaucoup de ceux de premier grade. Si dans certaines prisons, le mouvement n’a été suivi que par un seul prisonnier, dans d’autres, comme à El Acebache (Almeria), plus d’une centaine de détenus y ont participé, plus de cinquante à Huelva ainsi qu’à Puerto I. Au final, dans la majorité des centres, le nombre de grévistes a été plus élevé que prévu. Pour finir, un groupe de prisonniers du Ponent a lancé la proposition de répéter la grève de la faim unitaire en juin. Voilà pour les infos et mon sentiment sur cette période.