L'ALGERIE, UNE VASTE PRISON ( 5ème partie)

Dimanche 5 mai :
incendie à la nouvelle prison Boussouf de Constantine (« fierté de l’Administration pénitentiaire et judiciaire », elle n’était pas encore inaugurée et certains de ses détenus avaient été transférés des taules ayant pris feu les jours et semaines précédents), suite, selon la version officielle, à une mutinerie où des détenus auraient mis le feu à des matelas. Il y a 48 blessés. Les mutins protestaient contre l’emprisonnement systématique, la lenteur des procédures et les conditions carcérales. Trois détenus se seraient évadés à la faveur de ces événements. Par ailleurs il faut noter que, contrairement à toutes les autres, cette prison n’était occupée qu’au tiers de sa capacité, démentant s’il en était besoin la surpopulation comme motif unique de la révolte.
Ce même jour et toujours à Constantine, mutinerie à la prison d’El-Khroub. Tapage d’enfer, puis grève de la gamelle, les mutins protestent contre les conditions carcérales et l’arbitraire de leur détention. (Parmi eux, et de même dans toutes les prisons s’étant mutinées, se trouvaient nombre de gens arrêtés lors des émeutes, à l’extérieur…) Familles et proches entourent la maison d’arrêt. Peu d’informations filtreront mais on peut s’inquiéter : devant un fonctionnaire assurant qu’il ne se passait rien, un riverain de la prison enrageait : « Et les tirs que nous avons entendus, c’était la télévision ? »

Ce même jour, mutinerie à la maison d’arrêt d’Aïn M’lila (région d’Oum El-Bouaghi). Encore une fois, les proches se rassemblent autour de la prison pour faire écho aux exigences des mutins. Ceux-ci ont élaboré une plate-forme de revendications dénonçant les raisons et la durée de leurs peines et menacent, s’ils ne sont pas écoutés, de mettre le feu à la prison. (la majorité d’entre eux sont en détention préventive depuis plus de trois ans, certains pour soutien aux groupes armés islamistes.) Lundi 6 mai :
mutinerie dans la toute nouvelle prison El-Allalick, à El-Bouni (région d’Annaba). Près de 200 détenus montent sur les toits aux cris de « Ouyahia assassin », « Nous voulons être graciés » et d’autres slogans contre la hogra. Là encore, leurs proches, rassemblés au dehors, relaient à la foule et à la presse leurs revendications, auxquelles se mêlent souvent les leurs. La dureté des peines revient souvent dans les conversations. (Entre mille exemples piochés dans les comptes rendus quotidiens des tribunaux : un an ferme pour le vol d’une chaise sur une terrasse de café, six mois ferme pour un gramme de chichon, etc.)


Mardi 7 mai :
incendie et tumulte à la prison de Béchar. Il y a trois blessés. Mouvement de protestation à la prison de Khemis-Miliana (wilaya d’Aïn-Tefla).

Mercredi 8 mai :
incendie à la nouvelle prison (surnommée « Sheraton ») de Sidi Bel Abbès, suite, selon la version officielle, à une tentative de suicide. Il y a 1 mort et 3 blessés. Comme c’est jour de visite, des centaines de familles sont présentes et encore une fois relaient les slogans hostiles à l’État, et à la Justice en particulier, que clament les mutins. Cent quarante d’entre eux occupent les toits, brandissant des banderoles sur lesquelles on peut lire : « Libérez-nous », « Non à l’injustice », « Transmettez nos doléances » et demandent la présence de journalistes. Selon les autorités, plus de 70 des mutins ont été condamnés, certains à la peine capitale, pour des affaires liées au terrorisme… Et le discours dominant, jusque là relativement bienveillant quant à la nécessité de réformer une certaine « horreur carcérale », commence à ramener la question de l’enfermement dans le champ du terrorisme et du sécuritaire, huis clos dont il aurait voulu qu’elle ne sorte jamais.

Ce même jour, sous prétexte que les « prisonniers étaient à deux doigts de se retrouver dehors », les forces de l’ordre interviennent à la prison d’El Bouni. Il y a au moins 7 blessés, mais au su des pratiques de l’armée et de la police algériennes, a fortiori derrière les murs des prisons, ce genre de chiffres est à prendre avec circonspection.

Jeudi 9 mai :
encore une mutinerie à la prison de Béchar. Dans la soirée, un incendie fera 50 blessés. Selon la version officielle, des détenus ont mis le feu à des matelas, saccagé une grande partie des bâtiments et sont montés sur les toits. Les proches des prisonniers et les habitants du quartier Djihani sont très vite accourus en masse, pour soutenir les mutins. Mouvement de protestation à la prison de Belacel (Relizane). Les détenus rédigent une plate-forme revendicative et nomment des délégués pour la communiquer aux autorités. Ils exigent la révision de la loi carcérale, la réduction des peines, le rapprochement de leur région d’origine et dénoncent la surpopulation.
Interdiction d’une marche appelée par le MSP (un des partis islamistes légaux), qui devait se diriger vers la prison de Jijel. Il s’agit, à la veille des législatives, d’une banale tentative de récupération partisane de la protestation des détenus, sachant qu’un grand nombre d’entre eux sont effectivement enfermés pour des motifs liés à l’islamisme armé. Cependant, s’il est vrai que certaines mutineries ont pu être menées par des islamistes (faisant eux aussi partie du jeu politique algérien, à l’approche des législatives, ils se mettent à manœuvrer), on aurait tort d’en conclure que ce large mouvement en provenance des prisons est à caractère islamiste. Une partie du pouvoir voudrait le faire accroire, aux fins évidentes de dénaturer ce qui reste essentiellement un mouvement participant de la révolte de ceux d’en bas, qu’ils soient dehors ou dedans. Un processus de diabolisation rodé depuis des années en Algérie mais qui, tout au moins là-bas, fait de moins en moins illusion. Ouyahia a en tout cas immédiatement saisi cette aubaine, récurrente en Algérie, qu’est la « main islamiste » pour se décharger sur elle de toute responsabilité, affirmant même le contraire de ce qu’il déclarait quelques jours avant : « Les prisons ne connaissent pas de sureffectifs ! »

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