L'ALGERIE, UNE VASTE PRISON ( 6ème partie)

Dimanche 19 mai :
des détenus blessés le 5 mai, lors de la mutinerie de la prison de Boussouf, et traités au service des grands brûlés du CHU de Constantine « ont pris le personnel médical en otage à l’aide d’un couteau, d’un tesson de bouteille et d’un… briquet ». « Ils demandaient à être graciés, sinon, ils achèveraient un médecin interne au service et mettraient par la suite le feu à l’hôpital. » Ils finissent par être neutralisés.


Mardi 21 mai :
à l’occasion de la fête religieuse du Mawlid el Nabaoui Echarif (à la veille des législatives, il s’agit évidemment d’un appel du pied en direction des islamistes), Bouteflika décrète une grâce présidentielle pour les droit commun. Cinq mille cent détenus sont libérés. Les condamnés pour terrorisme et les auteurs de crimes ou délits commis à l’intérieur des prisons (les mutins, donc) sont exclus de cette mesure. Les émeutiers, qu’ils soient de Kabylie ou d’ailleurs, sont également « oubliés ».


Dans cette même période, mais sans que la presse n’en livre aucun détail, des « drames » (sic) se sont aussi produits dans les prisons de Sidi-Ghilès, Oran, Mostaganem, Arzew. Des incendies à Ras el-Oued (à Bordj Bou Arréridj), Sétif, M’sila. Et un « début d’anarchie » à la prison de Tizi Ouzou… La multiplication de ces incendies et la pression qu’ils entraînent sur le ministre de la Justice Ouyahia (il est également secrétaire général du RND – l’un des partis au pouvoir, qui est en fait une espèce de reliftage du vieux FLN – et va donc à ce titre partir en campagne pour les prochaines législatives) fait dire à certains qu’il pourrait s’agir de tentatives de déstabilisation contre lui. Cette hypothèse, possible en Algérie, ne change en rien la donne concernant les détenus et leurs conditions carcérales, et n’amoindrit d’aucune façon leur révolte. Au contraire : s’il s’avérait que les clans au pouvoir ont utilisé la chair carcérale de leur « stock de détenus » dans leurs basses manœuvres et stratégies électorales, un tel cynisme ne rendrait que plus logique la révolte des prisonniers et nécessaire notre soutien à celle-ci.

El Kadi Ihsane, journaliste au Quotidien d’Oran, ayant déjà séjourné en prison en 1981 et 1998, remet les pendules à l’heure à ce sujet, dans un « Plaidoyer pour les mutins », paru le 9 mai dans son journal. [Pour obtenir le texte entier, adressez-vous à L’Envolée, qui transmettra.] « Les esprits fins qui, ces derniers jours, ont cherché dans les colonnes de la presse nationale une subtile corrélation entre l’imminence des élections législatives et le soulèvement national dans les détentions n’imaginent pas combien ils ont insulté la souffrance qui tente de nous parler de derrière ces remparts. […] Comme si le malheur de la détention en Algérie à lui seul ne suffisait pas pour motiver des centaines d’intifadas. Les détenus n’en peuvent plus. Ils sont prêts à aller jusqu’à la mort pour que cela cesse. […] En prison, seuls l’argent – comme dans le cas des gros privés qui tombent –, l’entregent – comme dans le cas des cadres d’entreprise – ou l’esprit de groupe – comme dans le cas des militants islamistes – protègent quelque peu des seuils ultimes du régime dégradant en vigueur. […] Les cadres du secteur public et les militants politiques – sauf les islamistes durant les années de guerre – ont toujours été traités avec quelques faveurs durant leur détention. De sorte que jamais vraiment ils n’ont pu se rendre tout à fait témoins et solidaires du terrible sort des “droit commun”. »

Post-scriptum bis : un ancien officier de détention dénonçant le comportement généralement ignoble des matons algériens (brutalité, racket, chantage, harcèlement, viol, etc.), tout en en faisant porter la responsabilité à la misère de leur formation et de leur existence, s’adressait à Ouyahia dans le journal Le Matin du 9 mai, pour lui rappeler « la mutinerie du 1er novembre 1996 à l’École de formation d’officiers de rééducation de K’sar Chellala pour conditions de stage inhumaines. La faim, la saleté et des conditions d’hébergement lamentables avaient fait des matons des mutins. »