CAPTIF DE LA REPUBLIQUE ( 2ème partie)

Suite à ce mouvement de rébellion organisé on m’a rajouté quinze jours de mitard à défaut de mieux. Renchérissement des traitements dégradants à notre encontre et particulièrement contre moi et le poteau basque. Douche froide, gamelle à géométrie variable, promenade en T-shirt en plein hiver à cinq degrés, partie de football improvisée la nuit par les matons, surprises-parties entre rats et rattes d’égout. Bref, silence, ici c’est notre mitard et personne ne peut vous entendre. Étant donné la médiatisation de mon affaire, ils ne m’ont pas « suicidé » mais ils l’auraient fait sans scrupule si cela ne tenait qu’à eux. Au quarante-troisième jour de mitard, après une énième provocation, je fais une remontrance à un maton (qui a raté sa vocation d’agent de sécurité du FN ou du MNR). Il colle son front sur le mien et me dit de venir me battre. Croyant avoir affaire à un détenu bêta comme on en trouve beaucoup en détention normale, il est surpris par mon coup de boule et le fait que je l’entraîne dans ma cellule pour en découdre avec ce facho en puissance. Je l’attrape et le roue de coups ; intervention de ses frères cerbères, qui me plaquent au sol (trois sur moi, un mètre quatre-vingt-neuf, soixante-dix-neuf kilo à l’époque, régime alimentaire oblige), je réussis malgré tout à isoler ce chien galeux au-dessus des WC à la turque et le roue de coups dans les testicules. Celui-ci réussit à se dégager et me donne une série de coups de pied (avec des chaussures coquées) dans les côtes, la tempe et les tibias. Je réussis à lui arracher son pull pour lui couvrir le visage et lui arrache ses galons. Il part se réfugier hors de la cellule. Je me précipite, après m’être dégagé de ses collègues pour en découdre avec lui. Là un de ses comparses m’assène un violent coup de poing sur le bout du menton. Je riposte en lui en collant un.
Finalement, ils se dégagent et contactent la direction.

Le directeur régional arrive et décide d’un transfert disciplinaire immédiat : direction la Santé. Une enquête est diligentée et je passe au prétoire à la S
anté et reprend quinze jours de mitard ferme et dix avec sursis. Les matons de Fresnes ont déformé les faits et ont porté plainte pour agression alors que c’étaient eux les agresseurs et ils en ont profité pour déclarer que je les avais qualifiés de catholiques de merde alors que je n’ai jamais insulté qui que ce soit et encore moins en ces termes.

Comble de perversité : lorsque le QD de la Santé était rempli, on m’a remis dans ma cellule du QI en prenant soin de tout me retirer. A la Santé, les choses se sont quand même mieux passées mais à Fresnes, hormis toutes mes petites misères, j’ai appris en l’espace de deux mois le suicide de deux personnes et témoigné (à titre de témoin auditif) à au moins trois tabassages en règle. Le sang de l’une des victimes n’avait même pas été nettoyé lorsque j’ai occupé sa cellule au QD. L’un des détenus du QI a vu sa cellule saccagée avec plusieurs milliers de francs de dégâts, son Coran profané et déchiré en morceaux et des pressions quotidiennes en vue de nuire à sa santé (il est cardiaque et a plusieurs autres ennuis de santé). Fresnes et particulièrement le QI sont des lieux de non-droit et de lynchage fasciste organisés par des pervers polymorphes, xénophobes et racistes sans aucun scrupule et qui n’hésitent pas à couronner leurs forfaits par des plaintes où ils demandent des « primes à la ratonnade ».

Aujourd’hui je suis au QI de Fleury (je n’ai connu que le QI depuis le début de ma captivité), mêmes vices, mêmes perversités avec en plus la complicité des vétérinaires de l’UCSA, des assistantes sociales qui sont coupables de non-assistance à personnes en danger chaque jour. Les visites médicales se font suivant les desiderata des vétérinaires, souvent en promenade, avec un manque de confidentialité évident. Les repas sont servis une fois que tous les collabos et protégés ont été servis avec du rab. Nos rations sont souvent homéopathiques. Les cantines, lorsqu’on a la possibilité d’en avoir, sont bloquées et lorsqu’on les réclame fermement et qu’on les obtient (tandis que les autres détenus ne font rien pour défendre leurs droits), alors ce sont les mandats qui sont bloqués pour nous pourrir notre quotidien à tout prix. Les familles sont découragées aux parloirs et tout est fait pour les dégoûter (retardement volontaire de une à deux heures, mensonges aux familles, standard téléphonique qui sonne occupé pendant que les matons tapent la « discute »… Bref des les mesquineries vicieuses auxquelles Machiavel n’aurait même pas songé. Malgré cela il y a une cohésion parfaite entre nous. Profil des isolés totaux (comme on nous appelle) : deux condamnés à perpétuité dont l’un qui a déjà effectué dix-huit ans de prison, ils n’ont aucun contact avec l’extérieur si ce n’est quelques rares courriers, deux détenus qui ont pris douze ans et qui sont en fin de peine, un condamné à seize ans (à mi-peine), un prévenu qui risque la perpétuité, un autre, au moins vingt ans et moi qui risque dix ans.

Je puis vous assurer que ce qui dégoûte le plus les matons c’est de nous voir main dans la main envers et contre tout.
Comme dirait Nerval : « Le geôlier est une autre sorte de captif, le geôlier est-il jaloux des rêves de son prisonnier. »
A ce propos, l’un des poteaux (le « guerrier de la lumière », vétéran de la déportation de Saint-« Mort ») risque d’aller au QD dès mardi pour avoir tenté de fomenter une rébellion du bâtiment D1 à partir de la promenade du QI, de laquelle il est quasiment impossible de l’entendre.

Retour sur les faits : le guerrier de la lumière, qui est privé de parloir depuis près de deux mois (sa famille habite à 500 kilomètres de Paris) sort tranquillement en promenade. Il demande au brigadier s’il a transmis le courrier qu’il avait adressé au détenu situé dans la cellule au-dessous de la sienne. Celui-ci lui a répondu qu’il était certainement au QD. Arrivé à l’escalier qui mène aux promenades aériennes du QI, le guerrier de la lumière dit au brigadier que c’est certainement à cause du prof de sport qui lui cherchait des poux. Ce dernier se trouvait justement à l’étage du dessous et l’a entendu, il l’a interpellé et le guerrier de la lumière l’a remis à sa place ; le prof de sport a perdu son sang-froid et l’a suivi alors qu’il n’a rien à faire au QI, a jeté ses chaussures de sport et a dit : « Connard viens te battre. » Le Guerrier de la lumière lui a répondu : « Enlève ton survêt, mets ton uniforme avec tes deux galons d’or et convoque-moi en audience. » ; l’autre s’est énervé de plus belle. Le brigadier (qui est à six mois de la retraite) a tenté de calmer les choses et a refusé malgré l’insistance du prof de sport de dresser un PV. Le Guerrier de la lumière a interpellé les détenus qui faisaient du sport avec ce même prof pour leur dire : « Vous n’avez pas honte de faire du sport avec un maton ? » Le prof de sport ne pouvait pas entendre ces propos sachant que nos promenades sont au quatrième étage du bâtiment D1, que les détenus du D1 font du sport en contrebas et que les promenades sont des cages de douze mètres sur cinq avec comme seule ouverture un dôme grillagé situé à trois ou quatre mètres du sol.
Donc, à défaut d’avoir obtenu gain de cause, le maton déguisé en prof de sport a accusé le Guerrier de la lumière d’avoir tenté de fomenter une rébellion des détenus du D1 (QI exclu) contre lui.

Le Guerrier de la lumière avait déjà quinze jours de sursis donc là, dès mardi, il risque de prendre jusqu’à trente jours, gratuitement, pour avoir remis en place un sale con complexé qui a perdu la face devant ses collègues et surtout devant les détenus du D1. Et des provocations de ce genre sont quasi quotidiennes ici.
Petit florilège des répliques du personnel du QI :
Le médecin de l’UCSA à un détenu malade et qui attend une opération depuis quatre ans : « On vous envoie à Fresnes, mais attention, il faut rester tranquille sinon on annule tout. »

Le chef de détention (M. Suplisse, c’est son vrai nom) répond à un courrier où ils lui ont rappelé qu’il n’a toujours pas donné suite à des demandes de régime végétarien hypercalorique depuis plus d’un mois : « Je n’aime pas les menaces ni les sous-entendus. Je connais parfaitement mon travail et je n’ai pas à rendre compte de celui-ci. En revanche, je rappelle que lorsqu’on est en prison, ces exigences s’apparentent à des caprices. »

Un brigadier à l’un des détenus auquel on a ouvert un courrier avocat : « On l’a ouvert par erreur, on croyait que c’était un courrier normal. »
L’assistante sociale à l’un des détenus : « Mes collègues font des grosses pressions sur moi pour que je ne vienne pas vous voir. »
Voilà un petit témoignage en direct de notre Loft au QI de Fleury.
Nous apprécions votre émission et nous vous félicitons de vos efforts pour apporter un soutien appréciable, et particulièrement aux isolés. J’ai remarqué que les critiques gratuites émanaient souvent de moutons qui ont un comportement infantile et sont très souvent timorés. Ces gens-là sont les premiers à défoncer les portes lorsqu’il y a un but pour le PSG et à fermer leur grande gueule lorsqu’un maton les menace de leur retirer l’un de leurs droits.

Nous, ici au QI, on se fait respecter et les matons ne réussissent à nous avoir que par des coups de vice bien orchestrés. Nous sommes les seuls à avoir nos cantines le jour dit et on a réussi à sortir en promenade par binômes après un bras de fer acharné avec l’AP. Huit sur 3 500 détenus, ça fait peu mais c’est la triste vérité. De toutes les façons, comme dirait C. Maurras (même si c’est un pseudo facho notoire) : « La volonté, la décision, l’entreprise sortent du petit nombre ; l’assentiment, l’acceptation, de la majorité. C’est aux minorités qu’appartiennent la vertu, l’audace, la puissance et la conception. »

Pour finir je vous citerai ces deux réflexions de A. Maurois : « Dans toute bataille, dans toute affaire, il existe une occasion, parfois très fugitive, d’être vainqueur. »
« Les amours et les haines des peuples sont fondées, non sur des jugements, mais sur des souvenirs, des craintes et des fantômes. »