L’attirance des entreprises privées pour le milieu carcéral est loin d’être innocente et désintéressée. Elles ont vu là une manne financière pour fourguer leurs produits de merde et leur esclavage moderne. Ainsi, lorsque Martine Vialet (directrice de l’Administration pénitentiaire) déclare que la gestion mixte « a introduit la concurrence à l’intérieur du système pénitentiaire et qui dit concurrence, dit facteur de progrès, d’innovation et d’émulation », une relecture s’impose : qui dit « concurrence », dit « facteur de rentabilité, de profits et d’exploitation ». Ainsi le parallèle entre le dedans et le dehors se vérifie d’autant plus. à l’extérieur, le contrôle social et policier se durcit et renforce l’isolement de chacun. à l’intérieur, la sacro-sainte loi du marché s’ajoute à la conception judéo-chrétienne de pénitence : le prisonnier doit non seulement payer pour sa faute mais aussi être une source de profits. La chanson Sois fainéant tombe alors en désuétude :« Si jamais tu voles un couillon qui t’envoie tout droit en prison, dis-toi qu’il est plus mal logé. Car pour te payer ta pitance, tandis que tu feras pénitence, lui qui est si fier de t’enfermer, faudra encore qu’il aille bosser. »
Quelles sont les différentes fonctions de ces sociétés au sein des établissements pénitentiaires ?
Tout d’abord la restauration, Sodexho détient déjà le quasi-monopole de la restauration collective (cantines d’entreprise, d’école, de lycée, etc.) et il n’y a qu’à voir la moue que font les gamins sur le chemin de la cantine pour comprendre la qualité des barquettes-repas. D’autant que la composition des plateaux individuels est confiée à une fine équipe d’experts diététiciens, apprentis chimistes plus soucieux de l’état du portefeuille que des plaisirs de la chair. On peut remarquer que la composition et la quantité des repas peuvent être modifiées à la demande du chef d’établissement, ce qui devient un outil supplémentaire de pression au sein d’une prison. La barquette de cosmonaute ayant remplacé l’écuelle, la maigre qualité des repas, elle, n’a pas changé et oblige bien souvent les prisonniers à cantiner.
Cette deuxième fonction est elle aussi assurée par ces mêmes entreprises. « Si la merde qu’on vous sert au repas ne vous suffit pas, vous pouvez toujours nous l’acheter ! » C’est un véritable racket que font ces sociétés en obligeant les prisonniers à acheter de la nourriture jusqu’à 4 à 5 fois plus cher que dans le commerce. Mais comment cantiner sans ressources financières ?
Heureusement que ces mêmes sociétés sont là pour fournir un travail dont le salaire est aussi frugal que leurs repas, d’autant qu’elles ont tout à y gagner : l’AP ne fait pas payer l’utilisation de ses locaux, les entreprises sont exonérées de charges sociales, les rémunération sont calculées au minimum et le droit du travail n’est pas appliqué. En 1999 par exemple, le taux horaire minimum en maison d’arrêt était de 17,34 francs, le SMIC horaire était lui de 40,22 francs. Il faut savoir que, sur cette base, l’Administration prélève 30 % pour frais d’entretien ; suite à cette première ponction, le revenu est réparti en trois parties : 10 % consacrés au pécule de libération, 10 % destinés à l’indemnisation des parties civiles et 80 % constituant enfin la part disponible du détenu pour cantiner soit, après calcul, les 17,34 francs horaire se transforment en 9,70 francs ! La main-d’œuvre carcérale devient si compétitive que les entreprises hésitent même à délocaliser dans le tiers monde. De plus, pour l’AP, le travail carcéral est un facteur supplémentaire de pression, de séparation entre prisonniers, et de chantage, c’est elle qui décide si tel ou tel travaillera. Qui ferme sa gueule, accepte la détention et sa peine, pourra être classé donc gagner quelques miettes et espérer quelques aménagements ; qui ouvre sa gueule, se rebelle et refuse le système carcéral sera déclassé et réduit au minimum. L’hypocrisie des entreprises va jusqu’à affirmer que le « travail en prison constitue un élément d’équilibre de la détention car il permet au détenu de ne pas rester inactif, d’organiser sa journée, de se responsabiliser et d’être mis dans une situation de production proche d’une situation habituelle de travail à l’extérieur ». Il est question de paix sociale et ils pourraient ainsi rajouter à l’entrée de chaque taule, sous le fameux triptyque de la République, que le travail rend libre, croyance absurde et nauséeuse qui ferait presque oublier que se trouvent à l’intérieur des murs des hommes et des femmes privés de liberté.
Les mêmes entreprises sont prestataires de formations professionnelles, assurant ainsi leur vivier de main-d’œuvre corvéable, parvenant à créer une « chaîne continue entre formation professionnelle, travail en détention et travail à la sortie ».
Les autres prestations concernent la maintenance (fourniture et entretien du mobilier), l’hôtellerie (fourniture en linge), le transport et le nettoyage (concernant l’hygiène dans les nouvelles prisons, voir l’article sur l’architecture).
On voit donc que ces entreprises prennent part à l’ensemble de la « vie » des prisonniers, fonctionnant en vase clos, réglant leur quotidien horrible selon l’équation simplissime :
(Je te nourris + je t’habille + je t’exploite) x (ils te surveillent) = tu me rapportes.
L’extension de la gestion mixte à toutes les futures prisons démontre non seulement la rapacité de ces sociétés avides de profits et de plus-values mais aussi la logique de l’état, qui permet ces nouvelles constructions. En effet, la meilleure façon de rendre possible l’existence matérielle de ces nouvelles taules et leur multiplication, c’est de les rendre rentables pour les entreprises et à moindre coût pour l’état. Ainsi, la justification économique sert d’atout supplémentaire pour faire intégrer petit à petit la nécessité d’augmenter les places de prison. Les prisonniers réduits à suer sang et eau (l’enfermement plus l’esclavage moderne) n’ont comme avenir que d’être les proies de ces PDG vampiresques à moins que…à moins que dedans comme dehors le refus de l’exploitation et l’idée de grève générale ne fassent leur chemin. Comme le dit Fathi : « Plus un euro qui entre ou qui sort de la taule, imaginez le coup de massue […] c’est notre argent qui fait tourner ces prisons, réfléchissez, pensez-y au lieu de vous différencier. »