EXTRAIT
(Saint-Maur)

Je vois déjà Le Parisien titrer en une : « Un détenu s’évade du QD de Fleury et, à l’aide de son slip, se jette de la tripale du D3 et réussit à passer les murs. » De la folie quoi ! Condamné à régresser ! Les surveillants veulent s’affirmer devant des hommes et des femmes enfermés dans une cage, refouler leur mépris d’être ce qu’ils sont en dehors des murs : des prisonniers virtuels avec des vies de taulard et, ouais, leur été aussi, ils le passeront à Fleury. Ils le savent, alors ces messieurs se vengent en abusant de leur pouvoir ! En 1996, à la MA de Villefranche-sur-Saône, j’ai été passé à tabac par une équipe de surveillants du QD, suite à une émeute. Durant deux jours, je suis resté nu dans mon sang et dans les gaz lacrymo, sans draps ni même couverture, en plein hiver. Je suis passé en jugement, mais, là, pas de comparution immédiate, sinon je me serais fait un plaisir de montrer à la cour mon visage noir de bleus et les hématomes gros comme des assiettes que j’avais sur le corps. Après mes 45 jours de cachot, je suis passé en jugement et c’est moi qui ai été condamné à six mois ferme : la cour a été sourde à mon discours, c’était moi l’agresseur et eux les victimes ! Comme tous ces meurtres passés à la trappe, classés sans suite. Dur combat qui nous attend les ami(e)s, mais on peut y arriver, les faire plier, arrêtons de nous laisser enfermer sans… broncher, dans le respect de leurs règles, qui nous détruisent. Ma plus grosse douleur, c’est la conscience de savoir que nous, détenus, pouvons avoir un pouvoir immense mais que nous ne pourrons pas le mettre en application tant que nous ne nous tiendrons pas la main, ça, ça fait mal ! Camus disait : « Le fondement de toute révolte c’est la solidarité. »
Nous perdons déjà beaucoup de temps dans ces murs, arrêtons de le gaspiller à nous différencier car, pour le maton ou le policier, pas de différence quand ils sèment leur souffrance. Ils se foutent de quelle cité, de quelle ville ou origine tu es, le maton te fait porter la croix, la balle du policier ne fait que passer pour nous assassiner en toute légalité.

Dans ces machines à tuer que sont les prisons françaises et autres, ces « marmites du diable », nous sommes tous liés par la même adversité : faut pas le nier. Comme nous l’a fait remarquer une rescapée de ces antres de la mort, il est temps pour nous de nous allier, pour pouvoir résister, lutter, se révolter, afin d’être respecté en tant qu’être humain à part entière, n’est-ce pas là un sain devoir ? à vous de voir… Quant à ceux qui sont attachés à leur « confort », sachez qu’il est ce que la carotte est à l’âne, donc libre à vous de vous faire mener par le bout du nez, mais n’oubliez pas, vous autres, que, si vous regardez vos « camisoles cathodiques » en sirotant votre thé, c’est grâce à des hommes, des femmes de l’ancienne génération carcérale, qui parfois ont donné leur vie sur les toits des prisons, sont morts dans les cachots et les QHS, que nous avons tout ça ! Ne l’oubliez pas ! Par respect pour les anciens, nous devrions boycotter ce confort. Là, le boycott est utile. […]

De la détermination, voilà de quoi nous devons nous armer, par crainte d’être déportés où isolés : ça n’a jamais atténué, ni même tué l’âme d’un forcené, regardez, je suis toujours là ! Six ans d’enfermement, déporté de ma région depuis trois ans, parfois isolé, mais la « gueule » toujours ouverte, la langue toujours bien pendue malgré tous les moyens mobilisés pour me la… casser ! Je fais pas trois mètres mais un petit mètre soixante-quinze, pas cent kilos, mais seulement soixante, et je ne sors pas non plus des boules de feu de mon cul face à mon ennemi ! Je suis juste un homme de vingt-six ans avec la mort aux dents ! Condamné à une privation de liberté, pas à être déshumanisé ! Si on voulait, on pourrait déstabiliser leur économie, ou plutôt leur exploitation, arrêtons d’en parler, faut appliquer. Jetons la télé, arrêtons de cantiner, voilà des atouts que nous avons en main, qu’attendons-nous ?! Faut se parler, échanger nos idées, ces actions ne pourraient nous traîner en justice, et encore moins en commission disciplinaire, ils seraient obligés de nous écouter : plus un euro qui entre ou qui sort de la taule, imaginez le coup de massue.
Là on ne serait plus traités comme même pas… rien ! C’est notre argent qui fait tourner ces prisons, réfléchissez, pensez au lieu de vous différencier ! Trois suicides ou meurtres par jour. Ce qui fait le plus flipper c’est que ces âmes, quand elles partent, elles le font en silence ! Le silence qui tue ! Un gars est mort ici, dans l’étage en dessous la semaine dernière, rien, même pas une porte qui a sauté ! ça me donne envie de chialer ! ça tape pour le foot, ou le Loft, mais un mec tué, ou poussé à se tuer, n’engendre même pas un blocage, ça, c’est flippant !

Fathi