« Dans la classification
des espèces, je pense avoir été inséré
dans la catégorie dinosaures et tortues. Je pense que, plutôt
quun comité de libération, cest le WWF qui devrait
sintéresser à moi : section espèces en voie
de disparition
», ironisait Horst Fantazzini quelques mois
avant sa semi-libération en mai 2001, après avoir passé
32 ans dans les geôles italiennes.
Le
19 décembre dernier il est interpellé avec un ami aux abords
dune banque à Bologne, avec laccusation de tentative
dattaque à main armée alors quils étaient
à bicyclette et prétendument en possession de cutters, de
gants en latex et dune paire de collants
Ils sont tous deux
incarcérés à la prison Dozza de Bologne. Dans la
soirée du 24 décembre Horst Fantazzini y meurt dune
rupture danévrisme à 62 ans. Lautopsie pratiquée
en présence dun médecin mandaté par ses deux
fils et le témoignage de quelques prisonniers ont chassé
les rumeurs de mauvais traitements : sa mort savère être
naturelle. Mais il ne fait naturellement aucun doute que Horst Fantazzini
a été assassiné par le système carcéral.
Fils et petit-fils de militants anarchistes qui avaient versé dans
la lutte contre le fascisme, cest en toute logique quà
la sortie de la guerre, après avoir trimé dès lâge
de 16 ans dans une usine de motos, Horst se décide à mettre
en pratique la réappropriation directe. Comme il « est évident
que les banques sont lexpression du pouvoir capitaliste »,
cest à elles quil va sattaquer. « Je me
définis comme anarchiste individualiste, un rebelle conscient qui
a souvent agit inconsciemment. »
Il braque un bureau de poste en 1960, seul et avec un pistolet en plastique,
sans aucun problème. Malheureusement, il se fait arrêter
sur un simple contrôle routier alors quil circulait à
bord dune voiture volée et ce, avec largent de son
premier braquage en poche. Il a 21 ans et il est condamné à
cinq ans de prison.
À sa sortie, sûr de ses choix, il se spécialise définitivement
dans le hold-up en solitaire, toujours avec calme et sans violence. «
Je ne hurlais pas. Je madressais aux employés fermement mais
avec gentillesse et souvent en plaisantant pour dédramatiser. Sil
y avait du monde jattendais patiemment mon tour (
) jusquà
ce que la salle se vide. Alors je mapprochais du guichet (
)
et sortais mon pistolet. Tranquillement je disais : Reste calme,
donne-moi largent et il ne tarrivera rien. Souvent,
les autres employés ne se rendaient même pas compte quun
braquage était en cours. » À une caissière
qui sétait évanouie pendant un hold-up, Fantazzini
fait parvenir un bouquet de roses dès le lendemain. Cest
à partir de là et à cause de sa manière dopérer
quon lui donne le surnom de braqueur gentilhomme dans les chroniques
judiciaires.
Les années passent et les vols à main armée dun
pistolet en plastique se succèdent. Horst va exercer son talent
jusquen Allemagne et en France où sa carrière est
mise en pause en juillet 1968 après quun gendarme lui eut
fait un croche-pied à la sortie dune banque de Saint-Tropez.
Après 4 années passées dans une prison française,
il est extradé vers lItalie où les juges bolognais
lattendent : ils lassomment dun jugement cumulé
de 11 ans au lieu de confondre les peines. Horst réussit à
sévader (nous navons malheureusement aucun détail
sur cet épisode) et commet plusieurs braquages dans sa cavale avant
dêtre capturé et incarcéré à la
prison de Fossano.
Fantazzini y prépare tout de suite son évasion en se procurant
un Mauser, qui pour la première fois, nest pas en plastique.
Le 23 juillet 1973, seul et sous la menace de son arme, il tente de se
faire ouvrir la porte dentrée de la prison. Mais sous les
refus, il fait feu à deux reprises, blessant grièvement
le portier et un gradé. Lalarme est déclenchée.
Horst se retranche dans les bureaux administratifs en ayant pris deux
matons en otage. Après une journée de tractations il est
conclu quon doit lui remettre une Alfa Roméo Giulia 2000
et une forte somme dargent en échange de la vie des deux
gardiens. À peine a-t-il franchi la porte, en se servant des deux
sbires comme bouclier, quun berger allemand lui saute à la
gorge et des tirs fusent de toute part. Lordre a été
donné de labattre. Le chien est tué sur le coup. Fantazzini
est criblé de balles et laissé pour mort. Pourtant il survit
à ses blessures après un long séjour à lhôpital
et il trimbalera des balles logées dans le thorax pendant des années.
Cela motivera même une de ses nombreuses tentatives dévasion
: aller se faire soigner, car bien sûr on lui refusait ce droit
en détention
Il écope de 22 ans de prison en plus des peines précédentes
et se retrouve classé parmi les détenus dangereux. Commence
pour lui un long calvaire dans les prisons spéciales dItalie,
nouvellement créées à linstar des autres pays
dEurope pour mater les mouvements politiques et la grande criminalité.
« Il y en avait une dizaine : Cuneo, Novara, Fossombrone, Trani,
Termini Imerese, Favignana, Pianosa, lAsinara, Nuoro, et Voghera
pour les femmes. Et puis il y avait des quartiers spéciaux dans
quasiment toutes les autres prisons. Pendant une dizaine dannées,
nous, les détenus différenciés, nous navons
plus eu de rapports avec les autres détenus. (
). Je pense
que nous avons été utilisés comme des cobayes dont
ils étudiaient les comportements et les réactions suivant
le niveau du traitement. »
Pourtant létat italien a bien du mal à contenir les
monstres sociaux enfermés dans ces prisons-bunkers qui nont
de cesse de déclencher des mouvements de contestation auxquels
Fantazzini participe activement. « Un traitement dur cimente le
groupe et dilate la solidarité. Nous étions tous unis contre
EUX et nous inventions des moyens de communication incroyables pour rompre
lisolement physique. (
) Il faudrait faire un livre pour décrire
les astuces que nous avions inventées pour surpasser lisolement
que lon nous infligeait. » Des comités de prisonniers
se forment « pour préparer les luttes et déventuelles
évasions » et la situation éclate à la fin
des années 70. Horst est alors enfermé à lîle-prison
de lAsinara en Sardaigne. « La première lutte, qui
a consisté à détruire les interphones dans les parloirs
et à refuser de remonter en cellule, sest conclue par le
massacre dune soixantaine dentre nous. Jai fini dans
le coma et jai été emmené en hélicoptère
à lhôpital. Mon hospitalisation a été
tenue secrète et après deux jours on ma ramené
à lAsinara. Ma compagne de lépoque a réussi
à le savoir et à divulguer linformation, qui a été
relayée par beaucoup de médias. (
) Une enquête
fut ouverte et la direction de la prison a rencontré quelques difficultés.
Une semaine plus tard nous avons détruit les deux quartiers spéciaux
sans que les matons osent intervenir. Ces quartiers rendus inhabitables,
nous avons été logés dans les bâtiments normaux
en attendant notre transfert. »
Fantazzini est dabord transféré à Palmi, où
il participe à des affrontements contre la police, venue mater
un mouvement de contestation, puis à Nuoro en Sardaigne. Il y est
enfermé dans laile de haute sécurité de Badue
Carros avec des membres des Brigades rouges. Bien quil lutte en
leur compagnie, il sopposera aux dérives sectaires et autoritaires
de certains dentre eux au sein des comités de prisonniers.
Le 27 octobre 1980, une mutinerie éclate pour larrêt
du régime disolement et pour que les prisonniers politiques
soient séparés des mafiosi. Les quartiers spéciaux
sont saccagés, plusieurs matons sont blessés et deux détenus
sont tués. « Mais de toute façon nous en étions
déjà à lépilogue : laffaiblissement
de lagitation sociale à lextérieur sest
répercuté à lintérieur des prisons.
Commence alors la saison des repentirs et des dissociations en masse.
Les intellectuels qui avaient fini de jouer à la guerre sen
sont retournés dans leur pénates élitistes. Il faut
toujours se méfier des intellectuels professionnels ! Ils tissent
des toiles daraignée pesantes comme des chaînes sur
les rêves des hommes libres. (
) La fin des années 60
et toutes les années 70 ont été une saison de luttes
qui ne se répéteront certainement pas : celle des prisons
détruites et des tunnels vers la liberté. (
) Et toutes
ces luttes mont valu un bonus de 20 ans sur ma peine. »
Pourtant « en 1989 jobtiens ma première permission.
À ce moment, ma fin de peine se situait vers 2010 : javais
déjà fait à peu près 21 ans et il men
restait 21 à faire. (
) Mais durant une permission jai
retrouvé des camarades avec qui javais lutté en taule.
(
) Alors que moi jétais libre en permission, eux, étaient
en semi-liberté et travaillaient la journée pour aller dormir
la nuit en prison. Et cela ma fait une drôle dimpression
car nous qui avions passé notre vie à chercher à
détruire la prison et à sen évader, aujourdhui
nous sonnions à la porte pour aller y dormir
Jai eu
une espèce de crise et jai décidé de ne pas
y retourner. »
Horst se retrouve en cavale et ne perd pas ses vieilles habitudes
Lorsquil est repris en 1991, les magistrats laccusent de faire
partie du groupe Azione rivoluzionaria qui aurait commis des braquages
et des enlèvements pour sautofinancer. Toujours est-il que
la peine salourdit encore plus et Fantazzini ne peut espérer
sortir quen 2022, à 83 ans
Ces 10 dernières
années en détention, il les effectue, transfert après
transfert, dans les quartiers spéciaux. En plus des restrictions
habituelles liées à lisolement, il lui est interdit
dêtre photographié. Si bien quun simple croquis
a été longtemps son unique portrait.
« Après tant dannées passées en prison,
jai acquis une tendance à menfermer sur moi-même.
Il nest pas facile de survivre entre opportunisme et résignation.
(
) Je hais larrogance et lhypocrisie, mais dès
que jai à faire à des personnes vivantes et loyales
je mouvre complètement. Si je suis resté intègre,
cest parce que jai eu la chance de vivre des rapports intenses
avec des personnes qui, du dehors, ne mont jamais fait manquer de
leur amitié et de leur amour. (
)Aujourdhui la prison
est pacifiée et lair qui sy respire est dune
pesante résignation. Sa population a considérablement changé
», faisait-il remarquer en 1999. Et lui-même sétait
résolu à accepter le régime de semi-liberté
en mai dernier, histoire de voir comment ça sétait
résigné dehors
Les jours suivant son décès, plusieurs initiatives ont eu
lieu en Italie telles que des graffitis ou des mini- sabotages et des
cassages de banques ainsi quun rassemblement devant la prison de
Bologne le jour de son enterrement.
Son complice, Carlo Tesseri, est encore incarcéré et sa
demande de parloir lui a été refusée sous prétexte
que la mort de son ami nétait pas un motif suffisamment grave
Vous pouvez lui écrire :
Carlo Tesseri
casa circondariale Dozza
Via del Gomito 2
40136 Bologna
Italie
|