Dominique Fauchet est docteur
au QI de Fresnes, elle a écrit un mémoire sur les conditions
de détention que subissent les isolés. Elle explique les
différentes pathologies que provoque lisolement sur le plan
physique et mental. « Énoncer et discuter toutes les situations
où léthique médicale est mise à mal
en détention serait trop long pour le présent travail. En
effet, de lentrée à la sortie des personnes détenues,
chaque instant de leur séjour, chaque endroit de la prison sont
loccasion de faits contraires au respect de leur dignité,
de menace à leur intégrité physique et mentale, à
leur autonomie. Il est toutefois deux lieux où les contraintes
carcérales " bousculent " le plus notre pratique, notre
éthique : le quartier disciplinaire et le quartier disolement.
Jai choisi de centrer ma réflexion sur le suivi médical
des personnes détenues en quartier disolement. » Au
quartier disolement les discriminations sont souvent les mêmes
de la part des matons, du personnel soignant et des prisonniers entre
eux : « Rapidement, je réalisais que si je ne tendais pas
la main à cet homme au sens propre comme au sens figuré,
personne ne le ferait. Il était lobjet de maintes persécutions
: impolitesses, paroles rudes, injures, douche froide, refus de menus
services accordés à dautres et même erreurs
volontaires dans les traitements. » « Faut-il avoir subi tous
les crimes ou y être exposé dans sa vie personnelle pour
se prononcer sur un sujet de société, pour soigner les auteurs
de ses actes. Reproche-t-on aux médecins et infirmiers de soigner
alors quils nont pas souffert eux-mêmes de toutes les
maladies ? Le travail du médecin consiste non seulement à
soutenir ces hommes, objets dune réprobation unanime, mais
aussi à engager un dialogue avec leur entourage, codétenus,
surveillants et soignants. À tous, y compris aux auteurs, jexplique
que si les actes commis peuvent être qualifiés de monstrueux,
les responsables ne sont pas des monstres. »
« Ce quartier (le quartier disolement de Fresnes) comprend
dix-neuf cellules, un bureau pour les visiteurs, un bureau pour les surveillants
affectés au quartier, une salle de musculation, une salle de douche
et de petites cours de promenade.
Chacune des pièces mesure 9 mètres carrés (4 m sur
2,25 m). Laccès à une cellule se fait après
louverture par un surveillant dune lourde porte en bois, close
par une serrure le jour, plus deux verrous, la nuit cette porte est munie
dun illeton, qui permet à tout moment de surveiller
les faits et gestes de loccupant. Ensuite, un deuxième surveillant
ouvre la lourde grille métallique. À lentrée
se trouvent, dun côté, la cuvette des toilettes séparée
du reste de la cellule par un petit muret latéral, et de lautre
côté, une tringle et quelques étagères. Le
lit métallique est rivé au sol et garni dun matelas
mousse, dun oreiller et de deux épaisses couvertures. Une
table fixée et un tabouret complètent le mobilier. Les murs
sont badigeonnés de peintures délavées, craquelées,
aux tons verdâtres, ocres, jaunâtres. En hiver, les murs ruissellent
dhumidité, leau imprègne la literie. Lembrasure
de la porte est recouverte dune épaisse couche de poussière
grasse que personne ne nettoie, loccupant de la cellule ne peut
latteindre et les auxiliaires affectés à lentretien
des locaux ne lavent que les parties communes. »
« Le quartier disolement de Fresnes est un lieu sordide, situé
au rez-de-chaussée, entre deux constructions très proches.
Léclairage des cellules est faible. La lumière naturelle
pénètre à peine à travers lépaisse
grille à mailles serrées et les barreaux, distants denviron
cinq centimètres, qui obturent la fenêtre placée à
environ deux mètres de hauteur, au-dessus de quelques pavés
de verre, scellés dans le mur. Le ciel est peu ou pas visible du
fait des constructions à quelques mètres des fenêtres.
Les cellules exposées à louest reçoivent peut-être
un peu plus les rayons du soleil que les cellules plein est et il y fait
un peu moins froid en hiver. Au rez-de-chaussée, cest le
lieu idéal pour recevoir les déchets et seaux deau
balancés par la fenêtre par les pensionnaires des quatre
étages sus-jacents et observer les rats qui galopent dans les coursives
extérieures en fin de journée et la nuit. Déchets
et rats crevés dégagent une odeur pestilentielle, surtout
en été. En hiver, la température des cellules descend
en dessous de dix degrés. Le chauffage est assuré par deux
gros tuyaux de circulation deau chaude, au bas du mur du fond sous
la fenêtre. Les huisseries en bois des fenêtres laissent filtrer
des courants dair. Les fenêtres sont pourtant ouvertes même
en saison froide, pour aérer et peut-être pour ouvrir lespace.
En été, les cellules sont transformées en étuve
quand la température extérieure reste très élevée.
La salle de musculation est équipée dun banc et de
barres pour le lever de poids. Quelques affiches vieillottes décrivent
des exercices de musculation. Le QI de Fresnes semble le seul équipé
dune telle salle en région parisienne.
Dans les cours de promenade quelques mauvaises herbes parviennent à
sinsinuer le long des murs, signes de vie rares et précieux.
Les promenades ont lieu à lair libre, sous couvert de fils
barbelés
Dans les douches, les fenêtres ne sont pas étanches, voire,
le carreau reste cassé plusieurs jours en hiver. »
Les hommes qui se retrouvent en QI sont dans lensemble jeunes et
en bonne santé. Les pathologies apparaissent avec les mauvaises
conditions qui sont celles du QI. En hiver, les médecins constatent
un nombre anormalement élevé de cas dengelures ou
dacrosyndromes, le froid et lhumidité gonflant et endolorissant
les mains. « Les cours de promenade ont un sol irrégulier.
De la surface dune cellule, elles ne permettent de courir quau
risque davoir rapidement des tendinites aux genoux et aux chevilles.
» Les médecins se retrouvent à soigner sans pouvoir
attaquer les véritables causes du mal.
« Lisolement, cest aussi réaliser quil
est possible dêtre gravement malade et de rester dans les
mêmes conditions dincarcération. Inévitablement.
La survenue dun suicide finit par se savoir. Apprendre ce genre
de nouvelles dans la solitude dune cellule et ne pouvoir en parler
peut générer des angoisses. »
Le QI ressemble plus à une annexe de lhôpital psychiatrique.
Trop souvent, des hommes présentant de graves troubles psychiatriques
sont isolés. Parmi les délires observés, hallucinations
auditives et délires de persécution semblent renforcés
par lisolement.
Un grand nombre de troubles sont sans nul doute à attribuer au
QI.
« Les stimulations sensorielles sont réduites, tant lenvironnement
est monotone. Ils se plaignent souvent de gêne oculaire. Les anomalies
de la vision sont constantes en prison. Le champ de vision est limité
aux murs de la cellule, laccommodation au loin ne se fait plus *.
Au QI il ne voit plus jamais lhorizon. Les yeux habitués
à la pénombre souffrent de la luminosité extérieure.
Le port de lunettes de soleil est interdit. Certains éprouvent
des difficultés à soutenir le regard pendant un entretien.
Quatre-vingts pour cent de la communication passent par le langage non
verbal, leur capacité de communication est donc limitée
à vingt pour cent. »
Le goût se modifie, plusieurs prisonniers en QI ont signalé
quils perdaient la notion de saveur. « La nourriture servie
froide est au mieux insipide et présentée dans de grands
cercueils (cest le nom des grands plats de service) sans aucun effort
de présentation. »
« Laudition est en revanche excessivement stimulée.
Le bruit des verrous, des chasses deau, des chaînes hi-fi,
des télévisions, des barreaux sondés, des cris du
personnel (la communication des ordres entre les quatre étages
se fait en hurlant) et des autres prisonniers.
La notion de plaisir est bannie.
(
) La souffrance morale concerne toute personne détenue.
Cependant il semble quelle soit poussée à son paroxysme
à lisolement. » Cette souffrance a de multiples causes,
lexacerbation des contraintes carcérales, la monotonie, le
poids des autres, trop présents ou trop absents, le manque dintimité,
labsence de vie sociale, la perte de limage et de lestime
de soi, la perte dautonomie. « Ils ont à faire de nombreux
deuils, étant sans cesse en rupture : transferts, départs
du voisin avec qui ils commençaient à sympathiser, renoncements
divers. Lorsquun de leurs proches est malade, ils savent quen
cas daggravation et de décès, ils ne pourront même
pas laccompagner. Ils vivent cette situation comme une négation
de leur personne, et de leur dignité. Ils constatent peu à
peu les répercussions physiques et psychiatriques de lisolement,
ils les redoutent les ayant rencontrées chez dautres. Parfois
ils semblent avoir du mal à se supporter eux-mêmes. Ils mobilisent
leurs défenses pour garder leur intégrité.
(
) Les isolés se retrouvent dépossédés
de tout ce qui normalement donne un sens à la vie.
(
) La perte de leur identité commence par le fait que très
rares sont ceux qui sadressent à eux en disant monsieur ou
en usant de leur prénom.
(
) Être isolé, cest navoir personne à
regarder et personne qui vous regarde. Sur eux ne se posent que des regards
voyeurs, scrutateurs, réprobateurs, teintés de jugements.
Certains soignants comme le personnel pénitentiaire ne voient plus
lhomme qui est derrière les étiquettes.
Être isolé cest navoir plus personne à
toucher. Les seuls contacts sont les palpations à toute entrée
et sortie de cellule.
Être isolé cest navoir plus personne à
qui parler. Les relations affectives se rompent dès lincarcération
ou au fil du temps. Les parloirs sont de plus en plus rares. Certains
sinquiètent de parler à haute voix dans leur cellule,
dautres se renferment dans un mutisme complet. »
Les isolés perdent la notion du temps. Le temps ne leur appartient
plus, ils sont à la disposition des autres. Lexemple des
visites médicales est frappant. Elles se font nimporte quand
et le médecin peut arriver au moment de la sieste, du repas, le
prisonnier ne peut choisir ce moment et le refuse rarement. « Le
plus rapidement possible après leur arrivée en QI, je les
reçois en consultation. Je constate que les périodes disolement
ou de quartier disciplinaire napparaissent pas clairement dans le
dossier médical. Je leur propose de solliciter un entretien sans
hésiter sils en ressentent le besoin, la plupart me demandent
de les convoquer quand jai le temps. Ils expriment par là
une certaine résignation, ils renoncent à demander quoi
que ce soit. »
« (
) Être isolé cest perdre son autonomie,
encore plus que dans le reste de la détention. La perte dautonomie,
cest dans les gestes quotidiens, ne pas ouvrir soi-même la
lumière ou la douche, cest dépendre des autres dans
toutes les démarches pour acheter, pour suivre des études
Cest la perte de responsabilités, cest labsence
de décisions à prendre, tout étant organisé
par les autres, tout nécessitant lautorisation, le bon vouloir
des autres.
Linfantilisation est permanente. Les échanges ne se font
que sur le mode dadulte à enfant et non dadulte à
adulte. Les décisions sont prises sans toujours informer les intéressés.
(
) Certains tentent de personnaliser leur cellule. Tel homme reçoit
des remontrances car il expose les dessins de son enfant au-dessus de
son lit, tel autre se voit interdire dafficher un poster représentant
un christ. Ceux qui ont encore des liens affectifs dehors installent quelques
photos ou cartes postales, au-dessus de la table ou du lit, et voilà
ceux quils aiment, sous les regards de ceux quils naiment
pas, à la merci de leurs commentaires. Lors des fouilles de cellule
il arrive que les affaires soient mises sens dessus dessous, détériorées,
les photos déchirées
Pour la sécurité
? Au QI plus quailleurs, les fouilles sont fréquentes. Chaque
fouille de cellule et chaque retour de parloir saccompagnent dune
fouille à corps. Nue, la personne détenue se penche en avant,
tousse alors que les surveillants guettent son orifice anal.
Beaucoup renoncent à investir un espace qui, bien quhermétiquement
clos, ne peut même pas constituer une bulle protectrice, un "
chez soi ". Ils considèrent comme une faiblesses, laménagement
de leur cellule, signe dacceptation de leur situation. »
Tout ce plaidoyer contre le quartier disolement pose bien évidemment
le problème des isolés volontaires. « Sachant que
lisolement est néfaste, que faire lorsquune personne
réclame lisolement pour être au calme ? Cette aspiration
au calme est légitime. Accepter lisolement volontaire dune
personne et se battre pour faire reconnaître les risques de ce type
de détention pour les autres : une contradiction permanente et
difficile pour le médecin. »
Une autre contradiction se pose au médecin : « Soigner des
personnes détenues en isolement fait-il du médecin une caution
du système pénitentiaire et dun mode de détention
? »
* La position de repos pour lil commence à partir de
quinze mètres jusquà linfini.
Au quartier disolement, lil nest donc jamais au
repos.
Lintégralité du mémoire de Dominique Fauchet
est disponible sur le site de
Ban public : prison.eu.org
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