Lisolement est plus quune mesure disciplinaire : lisolement
est une technique programmée avec une méthode quasi scientifique
appliquée, modifiée et perfectionnée avec le temps,
qui sert au pouvoir pour détruire lindividu, pour briser
toute volonté de résistance.
Lorsque pendant les années 50 les premiers prisonniers américains
reviennent de la guerre de Corée. Ces soldats ont raconté
comment ils avaient fini par collaborer entièrement durant leurs
interrogatoires, reconnaissant des délits quils avaient ou
navaient pas commis. Ils ont raconté aussi que, pendant leur
détention, ils navaient pas été maltraités
dans le sens traditionnel, cest-à-dire en termes de tortures
physiques, ni navaient été privés de nourriture
ou de sommeil ; ils avaient été simplement enfermés
dans des cellules semi-éclairées, abandonnés à
eux-mêmes pendant des jours, des semaines, des mois, jusquà
ce que les prisonniers eux-mêmes demandent à avoir des contacts
avec ceux qui devaient les interroger et ils signèrent tout ce
qui leur était demandé. LÉtat américain
commença alors, sur ces bases, des recherches scientifiques dans
le centre spatial de la Nasa en reconstruisant les conditions dans lesquelles
sétaient retrouvés les prisonniers en Corée
et ils ont eu la confirmation que, à travers lisolement total
dun être humain, on pouvait obtenir ou sa complète
adhésion et son adaptation
ou alors un homme brisé,
détruit, sans aucune intervention violente extérieure.
À la fin des années 60, le projet détude est
transféré en République fédérale allemande,
plus exactement à la clinique universitaire de Hambourg-Eppendorf
où lon expérimentera pour la première fois
la chambre « silencieuse ». Il sagit dune chambre
de la dimension dune cellule. Les murs sont dune seule couleur
monotone (de préférence blanc), il ny a pas de lumière
naturelle, mais la chambre est parfaitement isolée. Entre cette
chambre silencieuse et lextérieur existe seulement un contact,
un haut-parleur qui, de temps en temps, sadresse au cobaye qui de
son côté ne dispose que dun bouton de panique quil
peut utiliser dans le cas où il nest plus en état
de continuer lexpérience. Des rapports, il résulte
quaucun volontaire na pu rester plus de deux jours et une
nuit.
Mais cest sur la base de ces diverses expériences que lon
a construit aux États-Unis, sous J. F. Kennedy, les nouvelles prisons
qui isolent à la perfection les détenus entre eux et où
le seul rapport avec une autre personne se limite aux gardes et aux psychiatres.
À partir des années 68-69, des projets de constructions
sur le modèle américain sont déjà prêts
en Allemagne : Ulrike Meinhof et Astrid Proll étaient les premières
détenues à inaugurer la section spéciale de la prison
de Cologne avec une section de traitement psychiatrique, isolée
du reste de la prison et complètement restructurée : petites
cellules blanches, une fenêtre opaque, lumière au néon
jour et nuit, isolées de tout bruit extérieur, en solitude
totale. La promenade est solitaire, en menottes, dans une petite cour
dans un bunker en béton armé. (Lire à ce sujet le
témoignage de Gérard Hof, lObligation sensorielle,
paru aux Inéditions Barbares en 1978.) Dans la même période
les autres pays européens se mirent à pratiquer lisolement
: Italie, Suisse, Hollande
En France, cest surtout à partir de 1955 que lÉtat
a développé des quartiers disolement conçu
comme des unités soumises à une sécurité très
serrée : cest alors le début de la guerre dAlgérie
et les prisons métropolitaines se remplissent de détenus
algériens que les prisons algériennes ne peuvent plus accueillir
(1 600 détenus de droit commun). Ladministration les décrit
comme « susceptibles, revendicateurs et, en tout cas, très
sensibles à la propagande antifrançaise comme à laction
de ses meneurs ». Cest à ce moment-là, quand
lÉtat français engageait une guerre pour préserver
ses colonies et quil entassait dans ses prisons les opposants algériens,
quapparut dans lAdministration pénitentiaire la notion
de « haute sécurité », même si lisolement
existait déjà depuis longtemps sous dautres appellations.
Cette notion de haute sécurité sest concrétisée
par louverture à Beaune dun QHS de 31 places installé
dans une maison cellulaire désaffectée. Cette maison sera
fermée en 1968 pour des raisons dhygiène et remplacée
par un quartier de 46 cellules dans la prison de Mende. À Mende,
comme à Beaune, les prisonniers étaient isolés de
jour comme de nuit. Puis, en 1967, est institué au niveau national
le fichier des détenus particulièrement signalés
(les DPS)
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