« Ce qui rend le
pouvoir visible à chaque instant est ce qui en même temps
le masque et le projette dans une hyperabstraction. »
(in Dialogue entre une lascarde et un étudiant moribond, Cyber
Trash Critic, éd. CTC, 1997)
LADN est présent dans chaque cellule du
corps et dans toutes les sécrétions (sueur, salive, sperme
),
cest donc ce que lon fait de mieux pour les cadors de la PJ
; ils en trouvent quasiment à chaque fois et le résultat
est, paraît-il, des plus fiable (pas comme les empreintes qui sont
souvent partielles, donc inutilisables). Pour effectuer la comparaison,
il est nécessaire que le suspect délivre son ADN ; pour
le cas où il accepte de se soumettre au prélèvement,
celui-ci peut être fait par nimporte quel officier de police
ou gendarme à laide dun kit spécial pour frottis
buccaux. Ce prélèvement peut être effectué
sur nimporte qui, dans le cadre de nimporte quelle enquête,
mais tout le monde a le droit de refuser de se soumettre à lexamen.
Cependant, sil sagit dun condamné pour une infraction
visée par larticle 706-55 du CPP, il est passible dune
amende de 7 500 à 30 000 « et de 6 à 24 mois de prison
(art. 706-56 du CPP). Pour contourner cette disposition, la police peut récupérer
« un échantillon qui se serait naturellement détaché
du corps humain », sur un mégot ou sur un peigne
(éventuellement
lors dune perquisition !). Après analyse de ces échantillons,
les résultats sont disponibles au Fnaeg :
Fichier national automatisé des empreintes génétiques,
sous-direction de la police technique et scientifique
service central des laboratoires
131, avenue Franklin-Roosevelt
69134 Ecully Cedex
Les
tests ADN sont pratiqués depuis plus de dix ans, mais ce nest
quen 1994 quils entrent dans le cadre juridique. Lidée
dun fichier ADN est soumise plusieurs fois à discussion mais
la Commission nationale de linformatique et des libertés
(la Cnil) sy oppose pour des raisons déthique et de
liberté. Peut-on ficher une personne en ayant accès à
tout ce qui la caractérise au niveau biologique ? Quel pourrait
être le résultat en cas de changement de pouvoir ? La science
navait pas encore décodé le génome humain,
mais aujourdhui on peut savoir à quoi sert chaque micron
carré de chromosome. En 1997 le Conseil de lUnion européenne
« incite directement les États membres à se doter
de bases nationales de données susceptibles, dans le cadre de la
lutte contre la traite des êtres humains et lexploitation
sexuelle des enfants, de faire lobjet déchanges et
de rapprochements internationaux ». Un fichier ADN, oui, mais pour
une grande cause. On est en plein boum de la pédophilie, le monstre
est tout trouvé. Lintroduction dun article disant que
« les analyses destinées à lidentification génétique
portent sur sept segments non codants * de sept chromosomes différents
et sur le gène de lamélogénine** » (art.
A.38) permet à la Cnil de donner son accord de principe. Le
Fnaeg voit le jour par promulgation de la loi du 17 juin 1998.
La loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité
quotidienne élargi le Fnaeg à dautres catégories,
il centralise (pour une durée de 40 ans ou jusquau quatre-vingtième
anniversaire de lintéressé) désormais :
A - les empreintes génétiques et les données concernant
toutes les personnes définitivement condamnées pour une
infraction visée par larticle 706-55 du Code de procédure
pénale :
* infractions sexuelles et recel. art. 222-23 à 222-32, 227-22
à 227-27 du code pénal.
* crimes datteinte volontaire à la vie de la personne, de
torture et actes de barbarie et de violences volontaires. art. 221-1 à
221-5, 222-1 à 222-8, 222-10, 222-14 (1°, 2°) CP.
* crimes de vols, dextorsions et de destructions, dégradations
et détériorations dangereuses pour les personnes. art. 311-7
à 311-11, 312-3 à 312-7, 322-7 à 322-10 CP.
* crimes constituant des actes de terrorisme. art. 421-1 à 421-4
CP.
Ces catégories confondues représentent plus de 40 % des
condamnés.
B - les traces génétiques non identifiées prélevées
sur les lieux dun crime (voire dun délit).
Elles sont systématiquement comparées avec lADN de
tous les condamnés au fichier.
Sur simple demande du juge dinstruction ou du procureur, lADN
dune personne connue, impliquée dans une procédure
concernant une des infractions ci-dessus, peut être comparé
avec toutes les traces contenues au fichier.
Le prélèvement à fin danalyses peut être
ordonné par un OPJ au cours dune enquête de flagrance,
mais attention ! la loi veille à faire respecter le droit au refus
: « Les principes généraux de notre droit garantissant
linviolabilité du corps humain ne permettent pas quun
prélèvement soit effectué de force sur la personne
»
Et de se contredire à la ligne suivante : «
Sil est interdit de procéder à un prélèvement
par la contrainte, lexigence du consentement de lintéressé
ne constitue toutefois pas une formalité nécessitant une
autorisation écrite et signée de ce dernier. » Même
si lempreinte dun suspect non mis en examen ne peut pas en
principe être comparée avec tout le fichier mais uniquement
avec les traces provenant de la procédure, la loi fait comprendre
que lon peut facilement contourner cette disposition.
Ce fichier est géré par les services de la PJ, et contrôlé
par un comité qui est chargé de veiller à ce quaucun
abus ne soit commis. Jusquen juin 2004 ont été nommés
pour cette noble mission :
François Semur, premier substitut du procureur de la République
près le tribunal de grande instance de Paris ;
Stanislas Lyonnet, professeur des universités, praticien hospitalier
;
Louis Rechaussat, ingénieur de recherche, directeur du système
de formation de lInserm.
Une fois les analyses faites, il reste les échantillons dADN
recueillis comme des scellés. Ceux-ci sont stockés au Service
central de préservation des prélèvements biologiques
(SCPPB), géré par lInstitut de recherche criminelle
de la gendarmerie nationale, à Rosny-sous-Bois. Ils sont conservés
sans limite de temps. Ces échantillons contiennent lentièreté
du code génétique, cest-à-dire des informations
extrêmement personnelles, confidentielles. Mais « dune
manière générale, linterdiction de toute interconnexion
du Fnaeg avec dautres traitements est expressément prévue
(art. R. 53-19). Toutefois, afin de faciliter les recherches et dassurer
la compatibilité des systèmes automatisés de gestion
des données figurant, dune part, au Fnaeg et, dautre
part, au SCPPB, ces deux traitements peuvent avoir un numéro dordre
commun ». Jolie pirouette. « Ce numéro commun permet
de rechercher léchantillon correspondant à une fiche
sélectionnée par le Fnaeg comme étant identique à
une trace ou empreinte de comparaison, en vue dune expertise plus
complète didentification ». Tout cela sur demande du
magistrat en charge de lenquête ou de linformation judiciaire.
En seulement trois ans et demi dexistence, la loi régissant
le fichier a déjà été élargie de façon
considérable. Cétait le projet dès sa conception
: « Dune façon générale, dans la mesure
où, dune part, lextension du Fnaeg à des infractions
non sexuelles, envisagée à plusieurs reprises, nest
pas à exclure dans un proche avenir
» Il suffisait
den avoir lidée et de sen donner les moyens techniques
Du violeur sanguinaire au revendeur de vidéos porno en passant
par lexhibitionniste, tous les condamnés pour murs
; les meurtriers, les voleurs à main armée ou en bande organisée,
les auteurs de destructions de biens ayant entraîné une ITT
ou commise en bande organisée, etc., tous passent dans la catégorie
des personnes particulièrement dangereuses. Trois jeunes volent
une voiture ; sils sont condamnés, ils seront fichés.
Cette extension intervient après le 11 septembre ; sous prétexte
dintensifier la lutte contre le terrorisme, on justifie des lois
exceptionnelles renforçant le contrôle social et la répression.
Dores et déjà 40 % des condamnés sont fichés
et plusieurs dizaines de milliers déchantillons ADN sont
stockés au Fnaeg. On passe dun fichier pour ce que lopinion
publique appelle les « monstres » à un fichier
social regroupant essentiellement la grosse et la petite délinquance
ainsi que les militants basques, bretons, corses, islamistes et autres
agitateurs ; cest-à-dire les classes dangereuses. À
quand le fichage génétique généralisé
de lensemble de la population ? Déjà, les avancées
technologiques ont permis la réalisation du vieux rêve totalitaire,
le fichage massif de lensemble de la population au quotidien (les
papiers didentité, la Sécu, les Assedic, les impôts,
les banques, les bureaux de pub, les services consommateur de la grande
distribution
). Loriginalité et limprévu
sont supprimés au bénéfice de la normalité
généralisée. Dans le cas du fichage génétique,
on touche à la constitution même de lêtre humain
; sera-t-on jamais tenté de remettre au goût du jour les
thèses de Lombroso*** permettant de trouver le gène du crime
ou déliminer socialement tous les porteurs de « tares
» génétiques ?
Toutes les citations sont tirées :
du Code de procédure pénale (version 2002), art.
706-47 à 706-54 ;
de la circulaire Crim 00-8 F1 du 10 octobre 2000 ;
de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à
la sécurité quotidienne (parue au Journal officiel du 16.11.2001)
;
du décret n° 2000-413 du 18 mai 2000 modifiant le Code
de procédure pénale.
* « Non codants », cest-à-dire
quils ne définissent aucun caractère physique ni aucune
maladie, ce seraient de simples liants chimiques. Mais en fait, cest
simplement que lon ne sait pas encore au juste ce quils codent.
** Lamélogénine, elle, est un gène codant.
Comme tous les gènes, il code pour une protéine. Nous navons
trouvé aucun renseignement à son sujet. Mais une protéine
peut servir soit en tant que telle, pour produire de lénergie,
soit, couplée avec dautres, pour la production dune
hormone ou dun autre fluide corporel (la lymphe, le sang, les anticorps
).
Une modification sur un tel gène peut provoquer des dérèglements
ou des déficiences entraînant des maladies graves.
*** Cesare Lombroso (1836 - 1909) lance ses théories, selon lesquelles
on peut reconnaître un criminel à sa morphologie et à
la forme de son crâne, dans lHomme criminel, paru en 1875.
Le criminel étant par essence un être mauvais, il est forcément
dune laideur repoussante et affublé des pires tares. Après
un franc succès auprès de toutes les polices dEurope,
qui se mirent à mesurer les suspects sous toutes les coutures,
cette théorie fit un épouvantable flop quand on découvrit
sous les traits de gracieux jeunes gens (comme Bresci) de dangereux anarchistes
lanceurs de bombes. On voit que, aussi éphémères
quelles aient pu être, ces thèses ont bien laissé
des traces dans lesprit de ceux qui rendent la justice. Il est à
noter que Bertillon, linventeur de la fiche anthropométrique,
était un de ses nombreux disciples.
« Il conviendra toutefois quen pratique les
éventuels refus de prélèvement qui pourraient être
opposés par des condamnés détenus et qui permettent
légitimement de sinterroger sur les gages de réadaptation
de la personne soient portés à la connaissance du
JAP par le procureur, afin quil en apprécie les conséquences
quant à loctroi de mesures daménagements de
peines. » Ces punitions sajoutent à celles prévues
par larticle 706-56 du CPP. Des peines plus lourdes pour ceux qui
refusent de collaborer et un sous-entendu douteux insinuant que quand
on utilise les droits octroyés par lÉtat on est inapte
à la vie en société.
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