« Le système
dinformation Schengen a pour objet, conformément aux dispositions
de la présente Convention, de préserver lordre et
la sécurité publics, y compris la sûreté de
lÉtat, et lapplication des dispositions sur la circulation
des personnes de la présente Convention, sur les territoires des
parties contractantes à laide des informations transmises
par ce système.»
Convention dapplication de laccord de Schengen, § 93,
19 juin 1990
« Il sagit dans les faits de mettre à disposition des
services de police, de gendarmerie et de douane un outil devant faciliter
leurs recherches et optimiser leurs contrôles. Il devra aussi informer
les services compétents afin de les empêcher de délivrer
aux individus indésirables les autorisations nécessaires
pour pénétrer ou séjourner sur le territoire Schengen.
»
Vendelin Hreblay, commissaire principal à la Direction centrale
de la police judiciaire, responsable de la mise en uvre de la partie
nationale du SIS, la Libre Circulation des personnes, 1994
Description
Le SIS (système dinformation Schengen) est le système
de fichage attaché au territoire Schengen Allemagne, Autriche,
Belgique, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal. Il
contient à ce jour plus de 13 millions de signalements (de personnes,
dobjets et de véhicules). Il est composé dun
fichier central (le C-SIS) situé à Strasbourg, dans le quartier
de Neuhof. À partir de ce fichier central sont gérés
séparément les neuf fichiers nationaux correspondants (ou
N-SIS, N pour National), qui lui sont connectés. Le SIS a donc
une structure en étoile. En France, 15 000 terminaux ont accès
au SIS. Ils sont aux mains de la police, de la gendarmerie, des douanes,
des préfectures, des services des ministères de lIntérieur
et des Affaires étrangères. À chaque consultation
dun fichier particulier, le SIS est automatiquement consulté
en sus. Il est accessible de chacun des 6 000 terminaux mobiles de la
gendarmerie nationale. À elle seule, celle-ci consultait le SIS
près de 2 millions de fois par mois en 1998.
Chaque signalement de personne dans le SIS contient les éléments
suivants : nom, prénom, alias, signes physiques distinctifs, première
lettre du deuxième prénom, date et lieu de naissance, sexe,
nationalité, indication si la personne concernée est armée
ou non, indication si la personne concernée est « violente
» ou non, motif du signalement et conduite à tenir. En fait,
dans cette dernière rubrique sont intégrées, en plus
de la « conduite à tenir » stricte arrestation,
garde à vue, « contrôle spécifique » ou
« surveillance discrète », cest-à-dire
filature toutes les informations et appréciations détenues
par les flics sur les « personnes défavorablement connues
des services de police ». Toutes choses qui navaient jusque-là,
hors des « fiches de sommier », aucune existence officielle.
Dans chaque pays, un groupe Sirene (Supplement of Information Required
at the National Entry) a la responsabilité du contrôle et
de la gestion du N-SIS, occupe de ce fait la position de point de contact
entre celui-ci et les autres polices européennes. Le réseau
des Sirene nationaux est à ce jour lune des réalisations
les plus tangibles et les plus efficaces de la coopération policière
européenne. Chaque Sirene fonctionne 24 heures sur 24 et fournit
à toute patrouille qui le demande le « supplément
dinformation nécessaire à lapplication ou linterprétation
de la conduite à tenir », cest-à-dire toutes
les informations et instructions qui ne peuvent légalement figurer
sur un signalement. Les Sirene sont linfrastructure humaine du SIS.
Les Sirene sont tenus de répondre dans les cinq minutes à
toute interrogation, de même que tout signalement introduit dans
un N-SIS doit figurer sous cinq minutes dans tous les autres N-SIS. Le
Sirene français se trouve dans les locaux de la Direction centrale
de la police judiciaire, à Nanterre.
Les motifs officiels de signalement dans le SIS sont : personne recherchée
en vue darrestation, personne signalée aux fins de non-admission
sur le territoire Schengen, personne disparue ou « devant être
lobjet de mesures de sûreté », témoins
ou personnes citées à comparaître dans une affaire
pénale, personne à surveiller « pour la répression
dinfractions pénales » ou « pour la prévention
de menaces pour la sécurité publique ou dans le cadre de
la sûreté de lÉtat », les objets recherchés
aux fins de saisie ou de preuve dans une procédure pénale.
De même que chaque État est ainsi à peu près
libre dintroduire le signalement de quiconque dans le SIS, il lui
est aussi loisible de suspendre lapplication de la « conduite
à tenir » sur son territoire.
Historique
Les accords de Schengen sont signés le 14 juin 1985 dans le village
luxembourgeois du même nom. Il sagit de faire de la zone comprenant
lAllemagne, le Benelux, et la France ce que le Benelux est déjà
: un espace de libre-échange, où règnent «
le libre franchissement des frontières intérieures par tous
les ressortissants des États membres et [
] la libre circulation
des marchandises et des services ». Le SIS nest pas mentionné
dans les accords de Schengen, mais sa réalisation est posée
comme une condition sine qua non par les États. Des groupes de
travail ad hoc sont créés pour étudier la faisabilité
dun tel système. Cest en vue de donner une forme juridique
aux nécessités techniques qua fait apparaître
létude de faisabilité quest rédigée
puis signée, en juin 1990, dans le même village luxembourgeois,
la Convention dapplication des accords de Schengen. La réalisation
du système est confiée au consortium Bull-Sema-Siemens,
qui est opérationnel en 1995. Les accords de Schengen rentrent
alors progressivement en vigueur. À aucun moment lélaboration
de cet instrument de fichage naura fait lobjet de publicité,
celui-ci ne relevant ni du niveau communautaire ni du niveau national
parlementaire. Cette élaboration obéit à une logique
strictement administrative, pragmatique, technique. Et en effet, il nest
pas nécessaire davoir fait lobjet dune condamnation
pénale pour être signalé sur le SIS, comme lont
su à leurs dépens les Allemands qui, ayant été
arrêtés à Göteborg, se sont vu interdire, par
une pure mesure policière, de quitter le territoire allemand durant
le contre-sommet de Gênes.
Logique
Lintroduction du mandat darrêt européen et ladoption
dune politique commune de lutte contre le « terrorisme »
couronnent vingt-cinq ans dintensification continue de la coopération
policière en Europe. Des clubs informels des années 70 comme
le Trevi (Terrorisme radicalisme extrémisme violence internationale)
jusquau SIS et Europol, il ny a quun lent processus
dinstitutionnalisation qui aura tout fait pour demeurer dans lombre.
Cela fait plus de trente ans que les gouvernements américains successifs
font pression sur tous leurs alliés pour obtenir une définition
internationale du terrorisme. Dans son caractère vague, extensif
et arbitraire, la définition quen propose la Commission européenne
« infraction [
] commise intentionnellement par un individu
ou un groupe contre un ou plusieurs pays, leurs institutions ou leur population,
et visant à les menacer et à porter gravement atteinte ou
à détruire les structures politiques, économiques
ou sociales dun pays » nest pas sans rappeler
celle du FBI : « Le terrorisme est un usage illégal de la
force ou de la violence contre des personnes ou une propriété
en vue dintimider ou de contraindre un gouvernement ou des civils
.»
La logique de ce qui se présente à présent comme
lembryon dune « Europe de la liberté, de la justice
et de la sécurité » est celle de la constitution dun
continuum sécuritaire, ainsi que le théorisent ouvertement,
désormais, les gouvernements. Une telle inflation du contrôle
nest pas la négation, mais le présupposé de
ce qui se fait appeler « libéralisme ». Linédit,
dans le SIS, cest quil sagit de créer un champ
continu de sécurité intérieure. Dans ce concept de
« sécurité intérieure » sont connectées
puis rendues indistinctes les affaires de « drogue », de «
banditisme », d« immigration » et de « terrorisme
». Le SIS réunira ainsi les signalements détrangers
en situation irrégulière, danarchistes, de braqueurs
recherchés, de personnes jugées dangereuses pour lordre
public de tel ou tel pays
Par la multiplication des échanges
dofficiers de liaison, laccroissement de la coopération
entre toutes les polices, lextension à lUnion tout
entière du territoire de chaque police nationale, par la transnationalisation
des polices dun côté et de lautre par le décloisonnement,
dans chaque pays, des différents services de police, et lintensification
de leur coopération interne entre les douanes, la police
criminelle et la police politique, par exemple se crée un
continuum de la sécurité qui crée, par son existence
même, le continuum inverse de linsécurité, qui
le justifie. Cest en traitant avec le même instrument et les
mêmes services le contrôle des flux migratoires, les affaires
de « terrorisme » et de stupéfiants que lon fournit
les statistiques qui permettent daffirmer les liens entre eux. De
même lintensification de la coopération policière
européenne à partir de 1984 se donne-t-elle pour point de
départ la menace de l« euroterrorisme », quand
cest évidemment elle qui en avait créé le spectre
pour justifier ses propres initiatives. Le privilège de la police
est celui de créer le profil de ce qui fait peur : le profil de
la menace.
Dans limplosion générale du social dont il est synonyme,
ce qui menace le plus lEmpire, cest linvisibilité,
la réversibilité, linsaisissabilité des groupes
hostiles. Il est en butte à lopacité fondamentale
de la population. La solution retenue, cette fois, est celle de lethnicisation,
de la racialisation, de la biologisation de l« ennemi ».
Par la mise en scène dune guerre civile factice entre les
« jeunes étrangers » et les vieux Européens,
on tente de cerner« notre parti », de lui donner un visage
et de ly réduire. Lidéal impérial serait
de parvenir à une gestion différenciée de la population.
Une partie de celle-ci, citoyenne, serait absente des grands systèmes
de fichage, bénéficierait dune liberté de mouvement
et de divertissement accrue ; elle naurait pratiquement jamais affaire
à la police. Une autre, en revanche, serait considérée
comme essentiellement dangereuse et ferait lobjet de tous les contrôles,
de toutes les surveillances, dune assiduité policière
inlassable. Elle formerait une « cinquième colonne »
étrangère au sein de la civilisation, et non le produit
de sa trop flagrante décomposition. Cette population finirait par
se prendre sincèrement pour le terreau naturel du « terrorisme
» et des trafics en tout genre. Elle comprendrait indistinctement
les immigrés « non intégrés », les «
individus à risque » et tous ceux qui ne peuvent saccommoder
de la soumission au travail salarié ou aux normes sociales. Cest
cette fausse division quil nous faut sans cesse diviser. Car notre
force est celle-ci : nous sommes partout.
Loffensive contre la domination impériale passe par le brouillage
permanent des fausses divisions. Les grands systèmes de fichage
sont la mémoire des fausses divisions. Leur sabotage et leur destruction
sont autant despaces gagnés.
Cest également autour du SIS que sorganise
un campement à Strasbourg courant juillet. Pour participer à
son organisation ainsi quà une campagne contre les lois sécuritaire,
se renseigner auprès du CAE. (cf. liste collectifs p.23).
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