Depuis la fin du franquisme
jusquau début des années 90, la détention cellulaire
nest pas généralisée dans les prisons espagnoles,
contrairement au reste de lEurope. Lisolement dans des prisons
spéciales comme celle dHerrera de la Mancha est une mesure
punitive appliquée aux prisonniers qui se sont rebellés
ou ont participé à des tentatives dévasion.
Le régime punitif se généralise dans les années
90. Les prisonniers sont systématiquement catalogués suivant
leur dangerosité. Des quartiers spéciaux sont aménagés
pour les enfermer. En 1994, cette politique de division par lisolement
est légalisée et officiellement adoptée.
Après la disparition de la Copel, au début des années
80, les révoltes ne se sont pas pour autant arrêtées
dans les prisons espagnoles : elles ont surtout été réduites
au silence par une répression féroce.
Dans la prison spéciale de Herrera de la Mancha cest la guardia
civil qui assure la gestion. Cette prison est construite selon les normes
établies par la réforme pénitentiaire de 1977, il
sagit là du premier quartier de haute sécurité
de la péninsule ibérique. À son arrivée, le
prisonnier est placé nu dans une cellule vide avec une feuille
blanche sur laquelle il doit dénoncer les autres prisonniers. La
répression est brutale pour ceux qui sy refusent. Il y est
placé pour une période dobservation de trois mois
à la suite de laquelle, sil na commis aucune infraction,
il sera placé dans une deuxième division où il aura
droit à un peu plus de promenades et ne sera plus totalement isolé.
Ce prototype de prison inspirera les différents degrés disolement
qui sont à la base des Fies.
À Madrid dans la prison dAlcala-Meco les prisonniers créent
lApre (Association de prisonniers en régime spécial).
Une petite partie des prisonniers mènent une lutte sans merci contre
les gardiens et les policiers, leur objectif : tuer, prendre les armes
et lutter jusquà la mort. La réaction violente de
lÉtat étouffe leurs actions.
Des actions plus collectives recommencent en 1989. Le 27 juin, une mutinerie
éclate à Porto de Santa, les mutins réclament lamélioration
des conditions de détention. Ils sont transférés
à la prison dHerrera où ils sont soumis à un
régime disolement.
Le 14 février 1990, les prisonniers dAlcala-Meco séquestrent
les matons, ils réclament la sortie de lisolement de Juan
Redondo Fernandez et de tous les isolés dHerrera de la Mancha.
La même année, une grève des matons à Daroca
provoque une mutinerie, elle sétend aux prisons de Nanclares
de al Oca, Caceres II, Alcala-Meco et Foncalent.
En octobre 1990, lApre (reconstituée) est créée.
Au moyen dune plate-forme de revendications les prisonniers réclament
une amélioration de la gestion des prisons. LApre (r) revendique
la mutinerie dHerrera le 18 mars 1991, cette révolte accompagnée
dune prise dotages a lieu dans le quartier disolement
; elle est suivie le lendemain par une autre émeute menée
cette fois par les prisonniers de la première division. Le 11 juillet
1991 une nouvelle rébellion à lieu à Herrera une
nouvelle fois revendiquée par lApre (r).
Par la suite les prisonniers ont rendu publique une plate-forme de lutte
en dix-huit points dans laquelle ils exigent entre autres la fin des tortures,
des provocations des matons, la libération des prisonniers malades
en phase terminale, la fin des différents degrés de punition
qui permettent de maintenir des taulards à lisolement strict.
Ils exigent de meilleures conditions de détention et que leur famille
soit traitée avec respect
(cf. Rebelles n° 22/23)
Rapidement lÉtat espagnol réagit en installant un
régime de punition qui prendra plus tard le nom de Fies (Fichier
interne de suivi spécial). Tout dabord, une cinquantaine
de soi-disant membres de lApre(r) sont transférés
dans les établissements de Valladolid, Badajoz et Seville. Ces
prisons expérimentent un programme de traitement individuel des
prisonniers considérés comme dangereux. Il sagit de
placer les prisonniers à lisolement strict, assorti de mauvais
traitements tant physiques que psychologiques. Ils doivent rester 22 heures
en cellule avec deux matons pour un seul prisonnier. Pendant un mois,
les isolés sont observés ! Sils font preuve dune
« bonne conduite », ils obtiennent un premier avantage. Au
bout de deux mois, ils ont droit à des parloirs intimes
Ces méthodes sinspirent du pénitencier de Marion dans
lIllinois.
Antonio Asuncion, directeur de lAdministration pénitentiaire
espagnole déclare que « lunique solution pour éradiquer
la révolte est de restreindre la liberté de mouvement de
certains prisonniers », il estime que « tous les prisonniers
sont récupérables, sauf un groupe bien précis dentre
eux quil sagit de tenir à lécart afin
dempêcher quil ne perturbe la vie des autres »
et cela « jusquà ce quils comprennent »
nhésitant pas à appliquer « le traitement psychologique
et psychiatrique nécessaire pour quils changent dattitude
».
Les modules Fies sont divisés en cinq degrés. Ce système
de prison dans la prison sinspire de la prison spéciale dHerrera
de la Mancha. Les prisonniers qui se retrouvent dans ses fichiers sont
catalogués suivant leur niveau de dangerosité. Ces divisions
permettent dassocier toujours aux privations et aux tortures la
possibilité de monter sur léchelle des améliorations
en restreignant toujours plus les possibilités de résistance.
À cette brutalité pure et simple sajoute un programme
scientifique dobservation du prisonnier dans ses mouvements à
travers ces différents degrés disolement.
Le niveau 1 regroupe les individus « particulièrement dangereux
», cest-à-dire ceux qui ont participé à
des révoltes, des tentatives dévasion ou encore ceux
qui ont mené des actions contre le système « ayant
mis en péril la vie ou lintégrité des institutions
de lautorité ».
Le niveau 2 renferme des personnes soupçonnées de trafic
de drogue et de blanchiment dargent. Certains, qui ont été
retrouvés en possession de quelques grammes de haschich, peuvent
également se retrouver dans ce module.
Le niveau 3 renferme les présumés appartenant et les membres
des organisations révolutionnaires comme les Grapo, lETA,
etc.
Le niveau 4 permet disoler les membres des forces de sécurité
de lÉtat pour garantir leur intégrité physique.
Le niveau 5 est réservé aux antimilitaristes, aux agitateurs,
en bref, à tous ceux qui dénoncent lordre établi.
À lintérieur de chaque niveau le traitement nest
pas le même et les prisonniers sont encore classés dans des
sous catégories.
Tous les prisonniers qui remplissent une des conditions susdites se sont
donc retrouvés transférés dans ces nouveaux modules.
De là, le contact avec le reste de la population carcérale
devient impossible.
À son arrivé dans un Fies, le prisonnier est dépouillé
de ses vêtements, ladministration fournit la nouvelle garde-robe.
Toute la correspondance est contrôlée et donc censurée,
le nombre de lettres est limité, les promenades sont refusées
de manière purement arbitraire, les matelas sont retirés
durant la journée. Lors des transferts, les prisonniers soumis
au régime des Fies sont dénudés, menottés,
escortés de plusieurs gardiens armés de barres de fer et
de gourdins. Durant le transport les prisonniers ne voient personne et
subissent, suivant lhumeur des matons, insultes ou tabassages. Ils
peuvent souvent être enchaînés aux barreaux.
Suite à de nombreuses luttes internes le régime des Fies
est parvenu à la connaissance du monde extérieur. Ne pouvant
pas déroger ouvertement aux réglement général
pénitentiaire et aux droits fondamentaux de la personne reconnus
par la Constitution, la Direction générale des institutions
pénitentiaires a dû se normaliser. Pour cela la DGIP a constitué
une infrastructure pseudo-juridique lui permettant de légitimer
les mauvais traitements et les tortures. Quelques changements ont été
apportés.
Aujourdhui, les prisonniers maintenus dans les Fies conservent leur
matelas, ils ont droit à un vestiaire personnel et, parfois, ils
peuvent aller en promenade avec les autres détenus
Un programme
de prévention des suicides à été mis en place
dans la prison de Soto del Real, il a consisté pour un prisonnier
qui, aux questions de ladministration a répondu : «
Même si je voulais quitter cette vie, je le ferais sans prévenir
aucun dentre vous ! », à être menotté
par les mains et les pieds la tête entravée vers le bas,
sous lordre du médecin, les matons pouvant ainsi le tabasser
en toute tranquillité.
Depuis 1991, un certain nombre de prisonniers sont morts dans les Fies,
suite aux mauvais traitements. Le bilan serait de onze morts. Pour lun
dentre eux, les matons installèrent une corde dans sa cellule
et le tabassèrent tous les jours jusquà ce quil
se pende.
Une majorité des prisonniers Fies sont enfermés dans ces
modules depuis une dizaine dannées. Actuellement, ils sont
plus de quatre-vingts dans le niveau 1. La plupart des Fies sont installés
dans les nouvelles prisons ou dans des quartiers spécialement aménagés
dans les établissements déjà existants.
Cette forme de contrôle et de répression adoptée par
lEspagne est loin dêtre un « délire »
local. En 1977, des membres de lInspection pénitentiaire
espagnole ,après plusieurs voyages en Allemagne fédérale,
mirent en place un système inspiré du modèle allemand
basé sur la division. La prison dHerrera de la Mancha en
est le premier exemple vivant.
Les gouvernements européens qui cherchent à homogénéiser
leur politique répressive, loin dêtre effrayés
par ce système disolement à plusieurs niveaux, sinspirent
des modules Fies. En Turquie lisolement et le régime cellulaire
sont les nouvelles priorités de lÉtat
En France
le projet de nouvelles prisons, 8 600 places dans 35 nouveaux établissements,
instaure un régime denfermement à trois niveaux ressemblant
aux régimes spéciaux espagnols. Ces prisons tombeaux (de
type 3) seront réservées aux individus dits « dangereux
», comme dans le degré 1 des Fies il sagit de réduire
au silence et à limpuissance tous ceux qui nacceptent
pas leur destruction programmée et qui le font savoir. Quand de
nouvelles prisons ne seront pas construites à cet effet, cest
à lintérieur des anciennes quun quartier spécial
sera aménagé, « les QHS sont morts, vive les QHS ».
Sources librement utilisées :
Rebelles n°22/23, juillet/août 1991.
Fies en lutte, fait par quelques agitateurs de Madrid fin novembre
1999
additionné de communiqués datant de mai 2000.
Aux mutinés de la prison sociale (Des anarchistes).
Pour en finir avec les Fies (recueils de textes sur une lutte de
prisonniers en Espagne).
Contact : Tout le monde dehors ! C/o TCP, 21 ter, rue Voltaire, 75011
Paris.
Mail : passemuraille@free. fr
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