Des QHS aux QI :
Entre lété 1974 et lété 1975,
suite aux mutineries très importantes de 1974 (89 mouvements de
révolte, 11 établissements partiellement ou complètement
détruits), le gouvernement adopte une large réforme pénitentiaire
: tout en améliorant les conditions de détention (autorisation
de la presse, abandon du port du droguet, fin de la réglementation
sur la coupe des cheveux
) Comme dhabitude, lÉtat
prévoit un durcissement pour tous ceux qui seraient tentés
par des actes de révolte ou de résistance : le décret
du 26 mai 1975 institutionnalise les QHS (quartier de haute sécurité),
les QSR (quartier de sécurité renforcée) et les QPGS
(quartier de plus grande sécurité). Ce décret légalise
le régime de Mende et des autres QHS : locaux réduits, aucun
aménagement prévu pour le regroupement des prisonniers dans
la journée, aucun local collectif, les prisonniers sont isolés
de jour comme de nuit.
Toutes les mutineries depuis 1975 ont exigé la fermeture des QHS
; en février 1980 Taleb Hadjadj se suicide à Clairvaux après
avoir dénoncé maintes fois lexistence de la torture
blanche (« Tout ce que jécris est dépressif,
pensez-vous ? Mais non, je sais que cette terre est bourrée de
potentialités. Je sais que, libre, je pourrais construire, innover
et vivre heureux. Je sais que des gens vivent heureux, mais voilà
après 25 ans très, très pénibles, il
me reste encore 14 ou 16 années encore plus dures, faites
de cachot, disolement, de QHS. »). Roger Knobelspiess publie
un livre, QHS, dans lequel il rend compte dune déclaration
de Bertrand Bertrand lors de son procès, juste avant quil
ne mette fin à ses jours après avoir été condamné
à 20 ans : « Aujourdhui, je ne suis pas là pour
me battre pour mon procès, mais contre les QHS. Mon avocat ne plaidera
pas non plus. Il parlera de ces conditions de vie à lintérieur.
Jappelle, je hurle, je pleure, je mords, je deviens fou. Jespère
que cette goutte deau qui va quand même me coûter des
années pèsera dans la balance contre les QHS. » Les
quelques mois qui ont suivi larrivée de la gôche au
pouvoir ont connu aussi bon nombre de mouvements de prisonniers étonnés
de ne voir aucun changement (Fresnes, Fleury, la Santé, Dieppe,
Bois-dArcy). Finalement le 26 février 1982 la circulaire
Badinter « abolit » les QHS. Tout comme labolition de
la guillotine na pas supprimé dans les faits la peine de
mort en France, celle des QHS sest avérée être
une réforme vide puisque les quartiers disolement sont venus
remplacer ceux de haute sécurité, légalisant ainsi
encore un peu plus la torture hygiénique.
Jean, Poissy, 1991 :
« Quand on me demande sil y a une différence entre
les QHS et les QI, je réponds ceci : ceux qui osent prétendre
à la différence en considérant les QI comme un privilège
sont tout simplement des hypocrites qui refusent de regarder la réalité
en face et de ce fait font le jeu de la pénitentiaire dans une
évolution factice, ce qui est extrêmement grave. Pour ma
part, je laisse très volontiers le soin à ces rêveurs
de rêver au bon vieux temps
Je refuse de me laisser dévorer
par mon téléviseur et digérer par la Pénitentiaire.
Je considère les tortures infligées aujourdhui dans
les prisons françaises très largement supérieures
à celles infligées dans le passé. Cest la seule
évolution quil ma été donné de
constater en 27 années de détention. Et les QI représentent
lune des principales tortures avec la longueur des peines, les peines
de sûreté
Cest le piège de lévolution
de la technique de la torture, dans lequel, hélas, se laisse prendre
un grand nombre de prisonniers et, à plus forte raison, le monde
extérieur. Pris dans lengrenage, la plupart des détenus
nont même plus conscience de la situation et ne forment plus
quun troupeau de vaches regardant passer le train de la vie et cest
là ce quil y a de plus pénible. Plongé dans
cette torpeur pire encore que la mort, la souffrance elle-même disparaît
et lindividu devient propriété perpétuelle
totalement dépendant de la « justice » et de la pénitentiaire.
Je ne puis tolérer une telle déchéance, ceux qui
nous gardent ne sont autres que des tortionnaires et parfois des assassins
et ceux dentre nous qui refusent de se battre sen font les
complices. Force et détermination. »
Thierry, la Santé,
1991
« Je suis au QI de la Santé, ancien QHS ou QGPS rebaptisé
pompeusement QI en 1981 avec larrivée de la gauche. Vous
dire quen la forme il ny a rien de changé, ni au niveau
des structures, ni de lencadrement et de lambiance, bien sûr
la même odeur de mort, de haine, de violence, la non-vie. Ce quil
faut savoir, cest que nimporte quel motif peut justifier un
placement au QI : la Pénitentiaire répond aux gestes même
pacifiques de protestation par une violence terrible, aveugle et sans
limites, mais aussi plus sournoise et insidueuse, saper ce quil
reste dénergie et de combativité. Tous les moyens
sont bons tant quils ne brisent pas physiquement. Et les QI, ces
mesures dites exceptionnelles, ne sont pas réservées aux
terroristes. Je ne suis pas le seul droit commun qui peuple
ces cul-de-basse-fosse, jen connais des dizaines. Alors mec, arrête
de te cacher derrière ton ombre. Tu es concerné au même
titre que tout le monde. Tu es dans cette galère et si demain tu
bouges, à toi aussi ils te réservent leur traitement de
choc. Oublie une seconde ta télé et ton petit confort minable.
La réalité, cest cette crasse, cette misère,
la gueule du maton au réveil, ces bruits de clés et de pas,
ces claquements de portes et de gueules, ce sont les barreaux et les murs,
cest aussi ton impuissance et ta rage, mais aussi tes peurs et tes
craintes. »
Les mouvements entre 1982 et 1991 ont presque toujours inscrit la fermeture
des quartiers disolement dans leur plate-forme de revendications
; la circulaire du 22 juillet 1991 tente de réglementer un peu
plus la mise à lisolement « les conditions dans lesquelles
les détenus sont placés, lisolement et la durée
parfois très longue de ces mesures sont régulièrement
sources de difficultés tant sur le plan réglementaire que
sur le plan humain ». Effet dannonce encore une fois, puisque
les mesures disolement, lorsquelles ne sont pas demandées
par les détenus, sont laissées à la libre appréciation
des directeurs de prison : « Ces mesures ne doivent être prises
que lorsque des raisons sérieuses et des éléments
objectifs concordants permettent de redouter des risques dincidents
graves de la part de certains détenus déterminés.
» Le directeur est simplement tenu den aviser son supérieur
hiérarchique (la direction régionale), davoir reçu
lavis du médecin. Il est aussi rappelé que le détenu
placé sous le régime de lisolement est soumis au régime
ordinaire de détention et que donc il doit bénéficier
de toutes les facilités que ce régime offre
sous réserve
que ce dernier nimplique pas de contact avec lensemble de
la détention ! Quand on connaît la lourdeur que représente
chaque petit déplacement en prison et le peu dactivités
offertes en détention normale surtout dans les maisons darrêt
qui comprennent toutes un quartier disolement, on peut affirmer
sans aucune réserve que les seules occupations dont peuvent bénéficier
les isolés sont la télévision, la radio et la cantine,
en cellule. Fin 1998, une nouvelle série de petites modifications
finit de légaliser ce qui est monnaie courante, histoire de se
conformer aux normes européennes : cest toujours le directeur
qui prononce la mise à lisolement mais il est tenu de motiver
sa décision par écrit et den informer le détenu,
grande victoire ! Au-delà dun an disolement, il tombe
sous la compétence du garde des Sceaux : cela na jamais empêché
des prisonniers de rester des années durant sous ce régime
puisque, dans les faits il est reconductible ad vitam. Enfin, le contrôle
du médecin, sil est plus fréquent, est devenu facultatif,
surtout depuis que le corps médical ne dépend plus du ministère
de la Justice ; de surcroît, quand un médecin devient trop
insistant sur les effets néfastes dune mise à lisolement,
il suffit de transférer le prisonnier
Toutefois, le prisonnier
pourra téléphoner, mesure dont sont privés les isolés
en maison darrêt, le directeur devra également aménager
une salle de sport, ainsi quautoriser les promenades à plusieurs.
Le dernier projet de loi pénitentiaire, encore à létude,
ne propose aucun changement par rapport aux dispositions de 1998.
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