Une fois de plus on se
sent violé dans nos droits les plus élémentaires.
Lunivers carcéral, cette pseudo-justice nous démontre,
si cela était nécessaire, quelle nest que violence
et arbitraire.
Tu es prévenu, donc, selon le droit, présumé innocent,
et depuis ton incarcération, fin août 2001, nous ne pouvons
que constater que tu dois faire face à des brimades multiples.
Je parle de toi parce que cest ta situation que je connais, mais
si cela est valable pour toi, sans nul doute cest valable pour nombre
de prisonniers.
Le
seul moyen que nous avons pour réagir, cest de raconter,
de dire ce que fait subir lAdministration pénitentiaire aux
détenus.
Mon frère est accusé davoir participé à
la tentative dévasion qui a eu lieu le jour de la fête
des mères, le 27 mai.
Tentative dévasion qui a mené à une prise dotages
par deux détenus et à un surveillant blessé.
Les tests dADN se sont révélés négatifs.
Il ny a aucun élément dans le dossier qui permette
de considérer mon frère comme coupable. Sa faute se résume
en deux points.
Tout dabord, Christophe, lun des deux hommes qui ont
tenté de sévader, est un ami denfance de mon
frère, et ils ont toujours conservé ce lien. Mon frère
a donc été présent auprès de la famille de
Christophe lorsque celui-ci a été incarcéré.
Comme me la dit le commandant de police de la BRB : « On na
pas à garder de contacts avec des truands sauf si on en est un.
»
Leur idée est simple, le monde est divisé entre les honnêtes
gens et les truands, les bons et les méchants.
Si vous êtes à un moment de votre vie ami avec « un
malhonnête », alors vous navez quune chose à
faire, vous éloigner.
Ceux qui ne respectent pas la loi sont des pestiférés, atteints
de « maladies transmissibles ».
Si vous êtes des « honnêtes hommes », une seule
façon dagir, les rejeter.
Mais voilà, le monde nest pas aussi manichéen quil
lest dans votre petite tête.
Certains hommes ont des valeurs que vous semblez ignorer. Lamitié
et lattachement entre êtres humains est, et restera à
jamais, quoi que vous fassiez ou disiez, une valeur humaniste qui nous
différencie de la bête.
Le deuxième élément quon lui reproche,
cest davoir commis des délits il y a dix ans. Délits
pour lesquels il a été condamné.
Eh bien non ! la dette nest jamais réglée. Toute sa
vie il portera cette trace comme une étoile jaune. Les comptes
ne sont pas remis à zéro.
Pendant les dix ans qui viennent de sécouler, il a subi une
formation professionnelle, passé des diplômes et travaille
comme entraîneur de boxe.
Il avait un travail, devrais-je dire, car son incarcération, depuis
août 2001, lui a fait perdre ses deux boulots.
Joli travail, monsieur le juge, pas déléments de culpabilité,
simplement un acharnement policier, et une peur des magistrats face à
la pression médiatique, et le tour est joué. Vous voilà
en prison.
Si je parle dacharnement policier, cest que la BRB la
dit de façon explicite. Je cite de mémoire ce quil
ma dit : « On la jamais coincé, ça fait
longtemps quon le veut. »
Pourquoi, parce quil a fait de la prison adolescent, parce que ses
amis restent des amis, quoi quil arrive.
Son incarcération a commencé par de lisolement. Vous
nêtes pas seulement privé de liberté, mais de
tout contact, seul, des heures durant à tourner tel un fauve. Non
pas parce que vous êtes un fauve, mais parce que lon vous
supprime tout ce qui fait de vous un être humain. La communication,
la relation, la chaleur humaine, alors là, qui que vous soyez avant,
vous navez que deux alternatives :
vous laisser mourir ;
tenter de maîtriser la colère que provoque cette ultime
violence en vous.
Mais cela ne touche pas simplement le détenu, cela touche toute
sa famille.
Par la suite, mon frère a été transféré
au bâtiment D1. Là, il a enfin pu, après de nombreuses
difficultés, surmontées par la volonté de sa femme,
voir, deux samedis, son fils âgé de dix-huit mois pendant
une heure trente.
Mais ça naura duré que deux samedis, car brusquement
le 21 décembre, lors de la prise de rendez-vous pour le parloir
suivant, on nous annonce quil va être transféré.
Où ? On ne sait pas. Quand ? On ne sait pas. Pourquoi ? On ne peut
rien nous dire.
Le silence, labsence, la violence que lui et nous subissons et surtout
labsence de réactions possibles ne font que faire monter
la colère, la rage, en moi.
Samedi, il était prévu que son fils le voit, eh bien tant
pis ! lAdministration pénitentiaire sen fout.
Vous pouvez parler de violence urbaine, mais moi je vous parle, je vous
parle de violences familiales. Abus de pouvoir.
La relation dun père et de son fils ne représente
rien, le lien dune femme et de son compagnon, lespoir, la
parole, vous en privez les détenus et leurs familles.
Vous faites de nous tous des êtres faits de rancunes et de violences.
Des victimes dun système. Et un système na rien
dhumain.
On condamne un homme parce quil a commis une faute, il a dérogé
aux règles sociales. Mais vos comportements, messieurs de lAdministration
pénitentiaire, nont rien à envier à ceux que
vous dominez dans vos prisons. La prison est un lieu où seul le
pouvoir du plus fort a la parole. Où largent est la seule
valeur reconnue. Où lon achète lunique confort
que lon peut trouver. Sans argent, en prison, il ny a plus
rien.
Vous exigez la soumission, vous lobtiendrez parfois, le temps de
lincarcération, pas plus, par impossibilité de faire
autrement.
Mais chez moi, et chez dautres, jen suis certaine, vous avez
semé les graines de la rage et de la révolte.
Le transfert brutal dun détenu prive les siens de soutien,
de parole, de regards, déchanges avec celui quils aiment.
Voilà comment vous faites de nous des victimes, qui, un jour, nen
doutez pas, obtiendront réparation.
À toi mon frère, même si ce transfert nous empêche
de nous voir aussi vite et autant que nous le souhaiterions, noublie
pas que nous sommes là et jamais vaincus.
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