« Il est temps daller
se dénoncer en masse ! »
(in le Grain de sable, organe dinformation dAttac, du 11 octobre
2000)
Le samedi 9 septembre 2000,
la parcelle dessais de maïs transgénique située
à Longué, en Maine-et-Loire, est saccagée par des
inconnus. Les gendarmes affirment, après analyse de lADN,
avoir trouvé des gouttes de sang féminin sur lun des
épis arrachés. Ils convoquent huit femmes de la région,
connues pour leur hostilité aux OGM, et déjà photographiées
au cours dune réunion dinformation tenue en présence
de techniciens du semencier Biogemma (qui menait lexpérimentation),
de la Confédération paysanne et dAttac. Les gendarmes
exigent quelles crachent pour effectuer des tests ADN à partir
de leur salive. Deux acceptent. Les autres refusent. Lors dune assemblée
annuelle dAttac à Saint-Brieuc, le 29 octobre, son vice-président,
François Dufour, par ailleurs leader de la Confédération
paysanne, propose aux adhérentes daller en masse à
la gendarmerie pour « faire leur devoir » : cracher. Ce quune
centaine dentre elles ont accepté de faire ce jour-là.
Depuis, appel national, pétitions et convocations se succèdent
Le ministre de lIntérieur affirmait, il y a quelques mois
encore, que la prise dempreintes serait exceptionnelle. Vieux refrain.
Le pouvoir dÉtat prétend toujours que les nouvelles
armes répressives quil met en uvre sont provisoires
et indispensables pour protéger les citoyens contre les actes isolés
de quelques individus. Mais il les banalise et les emploie de façon
permanente, hors des conditions qui lui ont servi de prétexte pour
en faire la promotion. Les tests ADN ny font pas exception, comme
le montre lexemple du fichage islandais.
Le procureur de la République de Saumur chargé de lenquête,
Jean-Frédéric Lamouroux, nen fait pas mystère,
et justifie ainsi leur emploi : « La preuve scientifique est une
garantie pour les libertés. Elle permet de confondre les coupables,
mais aussi de disculper les innocents. » (Libération, 2 novembre
2000). Vigoureuse conception de la loi sur la présomption dinnocence
! Le progrès technologique est affaire de police : quoi de mieux
quun test génétique pour démasquer les opposants
à des manipulations génétiques ? Voici le message
hautement symbolique que délivre lautorité : le progrès
est inéluctable puisquil contient en lui-même les moyens
dempêcher toute opposition à son avancée.
La Confédération paysanne et Attac de Maine-et-Loire ont
été « choqués » par lutilisation
des test ADN dans la mesure où ils ont été employés
contre des syndicalistes et leurs épouses. Ils préfèrent
les réserver aux présumés criminels, selon la définition
quen donne lÉtat lui-même. Dailleurs ils
ne cachent pas leur hostilité envers les actes radicaux qui brisent
le consensus démocratique quils ont établi avec le
pouvoir dÉtat. Au lendemain du sabotage de Longué,
ils affirmèrent nêtre pour rien dans la destruction
de la parcelle et que « cette destruction non revendiquée
gêne dailleurs [leur] démarche visant à établir
la transparence et à modifier la réglementation [
]
»*
Dans la lutte contre les OGM, il est déjà arrivé
que des individus assument la responsabilité de leurs actes au
grand jour, comme à Nérac en janvier 1998 et au Cirad à
Montpellier en juin 1999. Les leaders dAttac et de la Confédération
paysanne en renversent aujourdhui le sens. Ils inaugurent une nouvelle
forme de délation : celle, volontaire, des citoyens respectueux
des lois de la République. Leur prétendue solidarité
citoyenne rejoint les accusations du procureur de la République.
Elle désigne en fait à lÉtat, comme coupables
en puissance, les individus qui refusent de se soumettre aux nouvelles
techniques de contrôle et de répression. Les citoyens modernes,
que représentent les leaders dAttac, sont ceux qui vont à
la rencontre des desiderata de lÉtat et qui acceptent comme
science indiscutable ce quil raconte. Rien détonnant
à ce quils acceptent le monde des biotechnologies, comme
la dailleurs déjà affirmé le conseil
scientifique dAttac, qui appelle à « la mise en place
dinstruments de contrôle démocratique afin de placer
le puissant outil de recherche des biotechnologies au service de la vie
»**. Comme si, depuis cinquante ans, les technologies quelles quelles
soient navaient pas asservi et empoisonné la vie.
Quant à nous, nous rejetons en bloc la bêtise récurrente
des citoyens militants qui croient possible de sopposer aux OGM
sans refuser de se soumettre aux tests génétiques. Nous
ne sommes pas solidaires des gens qui acceptent la fatalité du
développement technologique et qui en restent à des accès
dindignation morale contre les « dérives » quil
génère. Cest pour nous la même vision bornée
qui réclame plus de contrôle de la part de lautorité
que lon veut croire bienveillante contre toute évidence.
Les mêmes viendront ensuite se plaindre des atteintes à leurs
« libertés fondamentales » et réclameront que
les contrôleurs soient toujours mieux contrôlés. Les
citoyennistes se trompent donc de combat : la lutte à mener nest
pas la défense du dirigisme étatique contre le libéralisme
économique, mais bien plutôt la défense de la liberté
et de lautonomie humaine contre lassujettissement de chacun
à la machinerie industrielle et étatique du capitalisme.Saluons
celles et ceux qui sopposent avec conséquence aux différentes
applications des biotechnologies.
* Communiqué de presse de la Confédération paysanne
et dAttac, le 20 octobre 2000.
** Appel à lopinion et aux élus du conseil scientifique
dAttac, le 5 juin 1999.
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