Petit
bagnard sanguinolent, le cur dAlain Bendjelloul à cessé
de battre sa révolution dans sa cage dos le 30/09/2001 à
la centrale de Lannemezan, en revenant du parloir. Il sest écroulé
pour mourir, tant certains hommes ou femmes sont incassables
mais destructibles. La prison a détruit Alain Bendjelloul tout
debout. Je plie mais ne romps pas, dit le roseau ! Jespère
quen sécroulant de tout son long, le chêne a
eu le temps de dire en écrabouillant les roseaux alentours : «
Je romps et vous emmerde ! »
Mais qui est donc cet homme de 52 ans mort dans lanonymat médiatique
après avoir defrayé la chronique judiciaire en première
page dans les années 70 ? Un grand sportif ? Un acteur célèbre
? Un intellectuel nobélisé ? Un homme politique changeant
la société ou le monde ? Rien de tout ça et pourtant
tout à la fois ! Sportif de la survie après son évasion
de la prison de Lyon en 72 puis du centre dorientation du bagne
de Fresnes en 1975, deux fois médaille dor dirait de lui
André Pauly lorsque saluant les cavales il considérait le
haut du mur denceinte comme un podium à une seule place.
Une seule place car il ny a ni bronze ni argent lorsquon sévade
! Cest soit la médaille dor, soit la médaille
de plomb.
Un acteur célèbre ? Aussi, puisque, par deux fois, les cours
dassises dAix-en-Provence en 71 et des Bouches-du-Rhône
en 78 voulaient sa tête dans ce théâtre grand-guignolesque
de la justice où le rideau sabattait sur la scène
en coupant la tête de lacteur principal. Un intellectuel ?
Idem, intellectuel du verbe, de la parole, la vraie, celle qui épouse
les actes, celle qui le tient debout face à des juges et des jurés
dont le QI de poisson rouge croit voir loin du seul fait de la transparence
de leur bocal. Pas besoin dun guéridon pour la lui redonner,
cette parole, nul besoin dévoquer les esprits. Alain est
là, dans la page du Libé doctobre 78 et il parle,
nous parle, et cette voix-là dit ce qui se dit depuis la nuit des
temps : la vérité.
Cette vérité quon a fait taire de civilisation en
civilisation ; le bonheur dêtre tout simplement un homme.
« Le destin, la vie dun homme, ce nest souvent quun
bon ou un mauvais déclic à un moment, un petit rien aux
conséquences énormes. Je ne mets pas en cause la société,
cest trop facile. Vous devez, vous allez me juger. Alors, vous devez
savoir qui jétais ou ce que je suis. En dix ans de prison,
je nai jamais voulu parler, aujourdhui, je vais vous expliquer
comment on prend quelquun et comment on en fait un épouvantail.
Mon père est arabe, jen suis fier, ma mère, elle,
est française, ils se sont connus en 44 et depuis trente-trois
ans ils sont ensemble, ils saiment incroyablement. Ma mère
est une femme aux grands principes, mon père une brute de travail.
Au retour dAlgérie, des parents très riches ont donné
à ces deux-là, pour tout domicile, un garage en terre battue.
Un garage au bougnoule et à la petite dévergondée
qui a épousé le bougnoule. Chez moi, jai connu la
misère, misère damour où lon ne montre
pas la misère car lon est trop fier pour ladmettre.
Mon bonheur ce fut de rencontrer mon grand-père, jétais
tout gosse, là-bas au douar dorigine. Mon grand-père,
cétait lancien, le sage du village, un pays où
lenfant est un enfant, pas un enfant dArabe. La guerre dAlgérie,
je lai vécue à Marseille, moitié français
moitié arabe. Toute la famille, les oncles, les grands-oncles,
les cousins qui sétaient battus pour la France en Allemagne,
au maquis, en 14-18 ou à Monte Cassino, se sont battus avec leurs
frères. Moi, à lécole, jai vécu
lécartèlement : Ils sont cruels, les mômes,
ils avaient leurs morts, moi javais les miens. Jai connu la
première fois la prison à 17 ans. Un incident stupide, un
incident dArabe
A cause de mon oncle, lArabe, que jétais
venu attendre au port. Je savais ce que sont les CRS, les agents de la
police air-frontière. Une réflexion, un coup, jai
cogné. Là, tout sest effondré, palais de justice,
geôle à lÉvêché, outrage à
agent, vingt et un jours de prison en préventive et les Baumettes
ou des hommes aboyaient. Un mois de prison avec sursis et 21 jours pour
rien. [
]. Pour le hold-up de Retts, jai été
arrêté le 16 mars 71, javais 22 ans. Linstruction
de laffaire dura dix-sept jours, en avril, le dossier était
clos. Cinq mois plus tard, jétais en cour dassises.
Réquisitoire : PEINE DE MORT. On ma fait cadeau de la vie,
jai été condamné à perpétuité.
Aujourdhui, jai compris
pour se battre dans la vie,
il ne faut pas compter sur les rituels, les conventions sociales. La société
ne se les applique jamais à elle-même, les rituels sont affaire
de classes sociales et la justice est une histoire de rapport de forces.
Dites-moi, que serait-il arrivé à Alain Bendjelloul si,
comme le prince Emmanuel de Savoie, il avait tiré sur un touriste
allemand ? Lui est resté deux mois en prison. Quarriverait-il
à un jeune Arabe possesseur dun morceau de haschich ? Christina
von Opel : un mois de prison pour une tonne de hasch. Pour moi, ce soir-là,
à la cour dassises, on ma fait cadeau de la vie, savez-vous.
A la prison des Baumettes, ladministration pénitentiaire
avait préparé une cellule au quartier des condamnés
à mort. Seule humanité dans le car de police : un gendarme
a donné une cigarette au môme qui venait de prendre un grand
coup de bâton dans la gueule. »
En lisant ceci, comment ne pas penser à Abdelhamid HAKKAR ? Aux
frères KHIDER, Cyrille et Christophe ? A Karim Khalki et à
tant dautres ? Lorsquun policier meurt dans lexercice
de ses fonctions avec sa carte dimpunité dans une poche et
sa fiche de paie dans lautre, sa corporation manifeste, mais quand
un homme meurt dans une prison ou assassiné par une police exécutant
officiellement dans le droit et la loi un contrat que lEtat
lui a passé officieusement, comme pour Jacques Mesrine. Quen
est-il ? Alain Bendjelloul est mort dedans, dans les murs. Quest-ce
que la peine de mort si ce nest pas aussi mourir en prison ? Lexécution
? Alain a été exécuté à petit feu puisque
sa conditionnelle même a été repoussée à
trois mois alors que, malade deux fois opéré à
cur ouvert , lAP (et certainement la médecine
pénitentiaire) le savait en fin de vie. Pourquoi ne lont-ils
pas libéré ? PARCE QUE ! PARCE QUE QUOI ? Parce quil
navait pas répondu aux conditions dun nouveau dressage.
Déjà, dans le box des assises, il avait refusé le
susucre en disant : « Vous nous voulez carpettes, je nen serai
jamais une. » Il la prouvé durant ses années
de mort lente. Pour sortir en conditionnelle, Alain Bendjelloul devait
accepter de sortir une fois, deux fois, dix fois en permission ; comme
on jette la baballe à un chien et quon lui dit de rapporter.
Quon lui jette sa vie de lautre côté de la porte
et quil la rapporte
Voilà ce que lAP et la justice
attendaient dAlain Bendjelloul avant de lautoriser à
sen aller mourir dehors.
Pourquoi les hommes qui ont du cur et souvent sur la main
doivent-ils serrer aussi fort les poings
peut-être
pour nous éclabousser de leur amitié, de leur fraternité.
Lorsque le président, dans son réquisitoire de 78, assurait
: « Lémoussement moral de celui-ci crée la dangerosité.
Inadaptable, irrécupérable, cet irréductible est
à jamais irréductible. Le voilà lennemi public,
celui pour qui la prison ne peut plus rien, celui pour qui la prison nest
plus faite. Cet homme dédaigne les psychiatres et psychologues,
il se plaint de la détention, cet insoumis nest quindiscipline.
Tout en lui nest que maléfices, son unique force cest
de sauter les murs des prisons. Il faut le retrancher, éliminer
ce ferment chronique dagitation. Il nest plus quune
bombe à retardement. »
La seule bombe dont Alain Bendjelloul était porteur était
celle qui battait dans sa cage thoracique. Et une fois de plus, ses propos
le gravent dans lhéritage carcérale, le seul possible.
Quand un ami lègue sa parole à un autre. Quand lavocat
général lui demande de parler sommairement de ses évasions,
il répond :
« Sommairement ! Monsieur lavocat général, lamitié
nest jamais sommaire et surtout pas en prison. Jai connu lamitié
indestructible et ces amitiés carcérales sont aussi solides
que les haines. A Lyon, Martinez, évadé, mavait promis
de venir my rechercher. Avec des amis, et une benne à ordures
de la Communauté urbaine de Lyon, ils sont venus me chercher. Un
siège, Messieurs les jurés, pour me sortir de lenfer.
» Et encore : « On ne ma laissé que lamitié,
cest-à-dire un jardin où il faut être jardinier
chaque matin et soccuper de ses fleurs amoureusement. Cest
pour cela que je ne permets à personne de sourire à lamitié
des voyous en prison. On ne vous laisse quun seul droit : celui
de sévader et pour sévader, il faut les amis. »
A propos, même si ce nest pas le sujet, pourquoi ces peines
? Trois fois perpétuité ? Hold-ups et fusillades contre
des hommes armés ? Plusieurs évasions ? Deux règlements
de comptes avec des proxénètes et indicateurs de police
armés.
Cet homme-là, Alain Bendjelloul na commis en fait quun
seul crime, le pire pour la société, ÊTRE un ami et
AVOIR des amis. Cest peut-être pour cela, quun jour,
il se fera film, livre ou chanson :
« Mes amis ne sont pas
Ceux qui mangent à ma vie
Mais les rares qui partagent ma mort. »
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