Novembre 2001, Abdelhamid
Hakkar est toujours en prison et moi, jécris encore dans
les pages de lEnvolée sans oser lui écrire directement.
Je cherche toujours la faille sans la trouver. Je crois que la faille
est chez les autres et donc en moi aussi. Quelle faille ? Limpuissance
! Sûrement. En écrivant à propos dAlain Bendjelloul,
les mots de ce dernier me faisaient un pont vers Hakkar. Je ne me pose
pas la question de savoir comment être lami dAbdelhamid
Hakkar, puisque la réponse est aussi simple que dangereuse pour
ma petite existence personnelle et égoïste mais juste comment
être un homme en face de la situation terrible et dramatique dun
autre homme, dun autre « je ». Parler ? Je parle ! Là
où je vais, reviennent des noms, de Joëlle Aubron à
Abdelhamid Hakkar, dIdoïa Lopez Riano à Hugues Contival
et dautres encore. Agir ? Jagis ! Je cours à droite
et à gauche pour lun ou lautre et je rentre plus dégoûté
quépuisé. Témoigner alors ? Juste témoigner
? Dénoncer en mettant laccent sur ce qui à moi «
me » paraît essentiel? Ce putain de saloperie de faux en écriture,
mon dégoût vient de là, de ce faux qui devrait à
lui seul être un laissez-passer pour la liberté dHakkar.
même le mot liberté, je nose plus lemployer dans
cette histoire, jai juste envie de parler de vie.
Jai fait un appel lors du dernier article sur Hakkar, un appel à
la manifestation et jai donné des coordonnées pour
recevoir des réponses afin de mobiliser. Résultat ?
Rien.
Ça me donne des envies de violence, et cette violence-là
qui ma déjà fait faire des années de prison
mexclut un peu plus de lidée que la politique est la
solution pour changer ce monde. Alors que faire ? Sinon réclamer,
exiger sa libération avec la même force, la même haine,
la même mauvaise foi que ceux qui le détiennent en prison
depuis plus de dix-sept ans.
A part un appel à leur faire une guerre dure, je ne vois pas ce
quil y a à faire. Aujourdhui, il y a la guerre en Afghanistan
et cest la grande période des réglements de comptes,
les Etats se bouffent en livrant les populations à lappétit
de leurs ennemis. Alors les surveillants, de Fleury-Mérogis à
Bois- dArcy, sen payent aussi une tranche en durcissant la
répression, sachant que personne ne regarde vers eux et que tout
le monde sen fout. La justice idem. En ces temps de patriotisme,
nest-il pas normal de foutre la paix aux institutions qui ont bien
dautres chats à fouetter que de soccuper dun
innocent alors que des milliers meurent chaque jour ? Il ny a pas
dautre choix face à la surdité de la justice et de
lEtat que de leur faire entendre raison par des bruits à
réveiller un mort... de peur ! Pour Hakkar et les autres, il ne
reste quà les terroriser à leur propre piège.
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Samedi
1er septembre. Lheure sonne et il est étrangement minuit.
Mais nous sommes à peine rentrés de Paris où nous
avons pu accorder à Abdelhamid un court instant de bonheur, une
entrevue où lon pourra lire sur son visage une souffrance
latente. Cette affaire monstrueuse, ce rude combat, cet isolement incessant,
cet acharnement ont signé son visage...
Et ce soir, je viens me joindre à vous puisque je vous sais attentifs,
présents et surtout sincèrement sensibles. Et puisque ce
soir jéprouve limmense besoin de crier tout haut toute
ma peine et ma rancoeur, jai décidé de témoigner.
Mais les mots nexistent malheureusement pas pour exprimer toute
notre souffrance ; nous tenterons tout de même de la caractériser.
Est-ce utile de vous rappeler la monstruosité de laffaire
de notre frère, cette procédure totalement bafouée
où lon se sent minuscules, impuissants, inexistants ?
Est-ce utile de vous rappeler son isolement total, cette geôle dans
laquelle on tente de l'épuiser, de l'éteindre à petit
feu, en clair de lanéantir ?
Je ne parlerai pas ici de la douleur de mon frère ; son rude combat
en donne un bref aperçu
En revanche, je peux vous illustrer
la souffrance de ma famille et plus particulièrement celle de notre
pauvre mère. Comme elle le dit si bien avec laccent du pays
wouldi hayetti, autrement dit « mon fils, ma vie », ou encore
« mon fils, ma bataille »... Limage dAbdelhamid
est omniprésente dans son esprit ; elle hante sa vie, aussi fort
que cela puisse paraître.
Abdelhamis, Nass, Azou... autant dappellations qui provoqueront
une bien triste lueur dans le regard de notre mère, et bientôt
des larmes perleront sur son visage aux traits accusés.
Et il nous arrive de méditer longuement, histoire de sévader
un court instant, histoire danalyser cet acharnement ou encore de
mieux cerner cet emprisonnement. Il est vrai que nos questionnements sont
incessants. Est-ce lengrenage dans lequel se trouve la justice française
qui pousse le gouvernement à faire la sourde oreille ?
Est-ce alors Abdelhammid qui correspondrait le mieux au profil type de
laccusé, ou encore ses origines ? Rappelons quil est
citoyen algérien !
Est-ce encore sa combativité qui dérange ? On dira plus
tard que cest sa personnalité
Javais toujours cru en une justice vraie et droite, en une justice
juste et raide.
Alfred Jarry disait : « Les balances de la justice trébuchent
et pourtant lon dit raide comme la justice. La justice serait-elle
ivre ? »
De mon côté, jose le croire.
Et jen terminerai avec les paroles de Voltaire (dans son ouvrage
Zadig) : « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner
un innocent. »
Merci pour votre sensibilité
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