SOMMAIRE
ENVOLÉE n°3 -octobre-novembre 2001-
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–COURRIER DE TONY. Libérable en 2034…

– EDITO n°3.

– EXTRAIT DE « L’UNIQUE ET SA PROPRIÉTÉ », de Max Stirner.

– POUR LE DROIT D’EXPRESSION DES DÉTENUS, texte d’Audrey.

– DROIT D’EXPRESSION QU’IL DISENT…+ FAC-SIMILÉ DU DÉPOT LÉGAL.

– À FRESNES RIEN DE NOUVEAU. Déclaration de Michel Ghellam

– CHÈRE FRANCE, lettre ouverte d’Audrey.

DOSSIER LONGUE-PEINE.
– TEXTE INTÉGRAL DU COMMUNIQUÉ CLANDESTIN DE DÉTENUS LONGUE-PEINE DE LA CENTRALE D’ARLES.
– ON ATTEND TOUJOURS UNE AUBE. Texte de Luigi.
– LA PEINE DE MORT EXISTE TOUJOURS ! Texte de Philippe.
- LA PEINE DE MORT EST TOUJOURS VIVANTE ! Texte de Fredéric.
–COURRIER D'ALI:  « Longues-peines ; à quel moment s’aperçoit-on qu’on est un longue-peine…
 -MIS À MORT. Poème de Lobo
– COMMÉMORATION DE L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT Commémorations perturbées à Paris…
– LE TEMPS C’EST COOL. Poème d’Ali.
-Commémorations perturbées à Montpellier…
-APPEL POUR UNE JOURNÉE DE RÉSISTANCE… du collectif des prisonniers de la centrale d’Arles.

– QUELLE GUERRE ?

– LA VILLE FUME. Poème de Désiré.

DE LA RÉPETITION À LA RÉCIDIVE.
– Lettre de Jacques
– Lettre de Boulou

– DU DÉTENU CITOYEN AU CITOYEN DÉTENU.
-LE PROJET DE LOI PÉNITENCIAIRE…
– LETTRE OUVERTE AU DIRECTEUR DE FLEURY.du collectif des détenus du bâtiment D5…
– LETTRE D’YVES.

– HAKAR, SUITE… ET FIN ?

– L’HEURE DE LA VENGEANCE A SONNÉ… Poème d’Audrey dédicacé à Raphaël Hamuda et à tous les suicidés…

TURQUIE :
– L’ETAT ASSASSINE LES PRISONNIERS EN LUTTE.
– TÉMOIGNAGES d’une prisonnière et de quatre ex-prisonniers militants du tkp (ML).
– CHRONOLOGIE NON EXHAUSTIVE DES LUTTES AUTOUR DES PRISONS EN TURQUIE.

– PRÉSOMPTION D’INNOCENCE = ILLUSION. Texte de Sonia.

 DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE. Texte de Jean-Marie.« À écouter les détenus d’ici, le problème n° 1 rencontré […] est l’absence de libération conditionnelle.

– LOFT FLEURY. Lettre d’Armand. "En ce qui concerne la présomption d’innocence, elle n’est pas du tout appliquée, à part pour les voyoucrates de l’Elysée…

– LE GÉNIE DU PLACARD Texte de Francine.

– PIRATAGE. « Un prisonnier du CD de Toul a piraté la ligne téléphonique de l’établissement et totalisé ainsi une facture de près de 4 000 francs… »

– MOULINS-YSEURE, MAISON CENTRALE « HYPERSÉCURITAIRE ». Courrier de Régis Schleicher.

– LES MATONS BOIVENT… LES PRISONNIERS TRINQUENT, QUI DÉGUEULE ? « Soûlographie de la matonnerie » pendant une nuit de garde à la maison centrale d’Arles.

– ÉVASION EN SUISSE. « Quatre détenus se sont évadés lundi 6 août, vers 3 h du matin… »

-COLLECTIF ANTI-EXPULTION.
– NI PRISONS NI RETENTION NI EXPULSIONS.
– NON A LA CONSTRUCTION D’UN CENTRE DE RETENTION A PALAISEAU.
– APPEL A REUNION.

– JAMAIS DEUX SANS TROIS.
« Petit bagnard sanguinolent, le cœur d’Alain Bendjelloul a cessé de battre sa révolution dans sa cage d’os le 30/ 09/ 2001 à la centrale de Lannemezan… »

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Collectif
anti-expulsion

Parce que nous considérons que la lutte contre la machine répressive qui sert à optimiser l’exploitation des sans-papiers est liée par bien des aspects à la lutte contre les prisons – et pas seulement parce que les prisons spéciales ou « normales » font partie du parcours des sans-papiers –, nous avons voulu présenter dans l’Envolée nos activités et prendre le temps de développer un peu nos points de vue. Les mots d’ordre particuliers du mouvement des sans-papiers comme la libération de tous ceux qui sont emprisonnés pour défaut de papiers, la fermeture des centres de rétention ou la fin de la double peine nous semblent devoir être posés non comme légitimant l’enfermement des supposés « vrais délinquants » mais comme participant d’une lutte contre tous les prétextes qui servent à enfermer ou à expulser.

Un peu d’histoire :
le 18 mars et ce qui s’est ensuivi


Ce qu’on appelle à l’heure actuelle le « mouvement des sans-papiers » commence le 18 mars 1996. Plusieurs centaines de sans-papiers, majoritairement d’origine malienne et issus des foyers de travailleurs immigrés de Montreuil, investissent une église en plein centre de Paris. Dès les premiers jours de l’occupation, des centaines d’autres sans-papiers sortent de la clandestinité et se présentent pour rejoindre l’occupation, ce qu’ils ne pourront pas faire puisque les occupants ont rapidement décidé la fermeture du collectif.
Les associations de l’immigration, au début (en gros jusqu’à ce qu’elles réussissent à reformuler les revendications globales des sans-papiers en termes de critères présentables grâce à la nomination du collège des médiateurs, groupe de « personnalités » constitué pour être reconnu par l’Etat pour négocier la régularisation des cas présentables des sans-papiers de Saint-Ambroise), sont obligées de suivre et se retrouvent dans l’impossibilité d’exiger la sélection des dossiers qu’elles avaient l’habitude de pratiquer.
Jusqu’alors, sauf exception, les rapports étaient établis ainsi : comme il est trop dangereux pour les sans-papiers de sortir de chez eux, surtout pour occuper ou manifester, des citoyens antiracistes, de gauche, ou des associations issues de l’immigration désormais bien intégrées et souvent subventionnées agissent pour leur bien. En restant dans la limite du raisonnable (« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », par exemple, ou « régularisations des parents d’enfants français et conjoints de Français » ; « régularisation d’une partie des sans-papiers selon les critères des médiateurs » ; « ceux qui en ont fait la demande ») ou en manifestant une fois par an contre le racisme et les discriminations, et en défendant au cas par cas les dossiers jugés défendables auprès des préfectures. Sans parcourir une fois de plus l’histoire d’une lutte déjà assez longue pour avoir eu de nombreux hauts et bas, on peut constater que toutes les tentatives de l’Etat – ou d’associations et de partis qui, se présentant comme soutiens, servaient en fait sa logique d’autant plus efficacement à partir du retour de la gauche au pouvoir – ont consisté à empêcher l’auto-organisation effective des sans-papiers, à les convaincre de rentrer chez eux en confiant leurs intérêts aux gentils Blancs qui les soutiennent, en bref, à renoncer à lutter pour l’abrogation des lois. Les parrainages, promus par des associations caritatives et par la gauche de la gauche gouvernementale, allaient tout à fait dans ce sens : les sans-papiers quittent les collectifs, ou sont dissuadés de les rejoindre, et rentrent chez eux, forts de la protection de leur parrain-français-citoyen-qui-a-une-bonne-situation (bravo à celui qui sera parrainé par un député). La dernière manœuvre en date a consisté à chercher à étouffer la revendication des papiers en lui substituant celle du droit de vote, présentée comme une radicalisation alors qu’elle concerne uniquement les immigrés pourvus d’une de ces désormais rarissimes cartes de 10 ans. Pirouette répugnante, qui nie le mouvement des sans-papiers comme lutte sur des conditions de vie et de travail en prétendant l’intégrer dans une aspiration à la citoyenneté qui lui est, de fait et nécessairement, étrangère, puisqu’elle ne concerne en aucun cas les premiers intéressés. Les sans-papiers se retrouvent utilisés comme chair à canon de la consolidation du consensus citoyen : on a pu voir des bonnes âmes sillonner les foyers pour expliquer aux sans-papiers qu’il fallait demander le droit de vote avant de demander des papiers. Sans commentaires.
Si ce changement est en effet fondamental, c’est parce que le fait de se mettre en lutte, de se réunir pour s’installer dans un lieu visible, c’est déjà un moyen de changer les conditions de vie de chacun des occupants. Les membres des collectifs de sans-papiers cessent de vivre dans la peur et trouvent collectivement la force de résister à un système qui les maintient dans l’isolement et dans la crainte pour mieux les exploiter. Arrestations et expulsions sont beaucoup plus difficiles quand elles concernent des membres de collectifs, qui s’organisent de façon relativement efficace pour réagir collectivement en manifestant ou en se rendant aux procès de leurs camarades. Pour ceux qui ont compris l’intérêt de s’auto-organiser (le plus souvent ceux que les associations considèrent comme indéfendables, et en particulier les célibataires, catégorie sociale perçue comme difficilement maîtrisable), plus question de laisser son dossier dans le bureau d’une association et de rentrer seul chez soi en continuant à subir, toujours aussi isolé, les contrôles policiers, les menaces des employeurs, les dénonciations des administrations, avec l’espoir qu’une bienveillance improbable des préfectures viendra changer ces conditions de vie. C’est avec ces pratiques alors bien installées qui ne font qu’entériner l’invisibilité des sans-papiers et reproduire des rapports paternalistes entre Français et immigrés – voire entre immigrés intégrés et sans-papiers – que nous avons décidé de rompre.
C’est donc dans la brèche ouverte par les sans-papiers que se sont engouffrés ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se sont organisés pour trouver leurs propres modes d’intervention. Très vite, nous nous sommes en effet rendu compte que la position de soutien était insuffisante, et nous nous sommes considérés comme des acteurs à part entière dans cette lutte. La lutte des sans-papiers est aussi la nôtre, pas seulement parce que les sans-papiers représentent la figure extrême d’une précarité qui pèse sur tous. Les mêmes outils répressifs servent aussi bien, par exemple, à nous empêcher de circuler librement qu’à arrêter les sans-papiers : les dispositifs de contrôle et de domestication de la main-d’œuvre pour nous rendre exploitables sont souvent les mêmes, sinon du même ordre. En s’opposant avec succès au contrôle bienveillant des associations, les collectifs autonomes de sans-papiers nous ouvrent une possibilité d’empêcher ces dispositifs de fonctionner, à nous de la saisir. Cette prise de conscience impliquait bien sûr de prendre en compte la différence de situation vis-à-vis de la répression entre ceux qui ont des papiers et ceux qui n’en ont pas. Nous avons donc cherché nos propres modes d’action dans cette lutte pour la régularisation de tous les sans-papiers en disant qu’elle était aussi celle de la liberté de circulation et d’installation pour tous.
Le collectif Des papiers pour tous, par exemple, a commencé à intervenir concrètement, le plus souvent par des occupations, contre tous les rouages du dispositif de contrôle des sans-papiers, en particulier dans tous les lieux où la délation permet des arrestations (administrations comme La Poste ou l’ANPE, direction des foyers immigrés) et dans les lieux où s’organise l’exploitation à moindre coût de la main-d’œuvre immigrée (par exemple la CAF, qui refusait de verser leurs prestations aux immigrés sauf quand les mieux informés intentaient des recours). Nous voulions que tout le monde puisse s’emparer de cette question en sortant de la relation immigré-soutien, sans la laisser ni aux « spécialistes de l’immigration » ni aux caritatifs. C’est dans cette optique qu’a commencé à l’automne 1996 un travail avec le 3e collectif de sans-papiers (né en août 1996, regroupant plus de 2 000 participants, ce collectif était composé essentiellement de Chinois et de Turcs) sur les perspectives globales de cette lutte. Le collectif Des papiers pour tous a aussi travaillé à ce que les sans-papiers eux-mêmes s’occupent des questions juridiques qui les concernent, en transmettant les formations théoriques qu’avaient reçues les militants. Nous avons aussi œuvré à lier la question des papiers avec celles du travail clandestin (cette question n’est apparue ouvertement qu’au moment où le collectif 2000 a organisé une grève des travailleurs clandestins avec manifestation dans le quartier même de leur exploitation, Marais-Sentier, le 7 décembre 1998).
Autre exemple, en novembre 1996 se crée le groupe 13 Actif, avec comme objectif la lutte contre toutes les discriminations dans un cadre local, celui du xiiie arrondissement de Paris. Il s’investira surtout dans la lutte des sans-papiers en s’efforçant de la lier avec celle des autres travailleurs. Son action la plus significative sera l’intervention le 18 février 1998 à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, appelée par les sans-papiers du 6e collectif, un syndicat des personnels de l’hôpital, 13 Actif et AC xiiie. Avec la participation d’un collectif de chômeurs et précaires, à un moment fort du mouvement des chômeurs, cette occupation imposera une discussion avec la direction administrative et médicale de l’établissement et obtiendra que tout le monde soit soigné gratuitement et sans passer par la consultation-précarité mais immédiatement dans les services médicaux sans devoir justifier d’une inscription à la Sécurité sociale, ni d’un titre de séjour. La question de la possibilité pour tous d’accéder aux soins nous concerne effectivement tous, avec ou sans papiers. Ce qui rapproche ces différents groupes, c’est qu’ils interviennent comme des acteurs de la lutte et non des soutiens, et qu’ils considèrent que la question des sans-papiers concerne la vie quotidienne de chacun, que chacun peut trouver les moyens d’y intervenir. Ce qui les rapproche aussi, c’est qu’ils sont déterminés à changer les rapports institués depuis la colonisation entre les blancs-qui-savent et les colonisés-qui-ne-savent-pas. C’est toujours difficile et, par exemple, c’est à la demande du 6e collectif que les militants de 13 Actif ont continué à constituer des dossiers de dépôt de régularisation. Le collectif de la MDE a maintenant cessé de déléguer aux associations spécialisées ou aux soutiens individuels le suivi de leur dossier et a collectivement pris en main l’ensemble des questions qui les concernent, y compris juridiques et administratives.

La lutte contre les expulsions
et la naissance du CAE


La question des expulsions est assez vite apparue comme un moment spécifique du processus de répression-soumission. Plusieurs petits groupes s’aventurent dans les aéroports sans encore y trouver de modes d’action efficaces. Pour susciter des prises de position des salariés d’Air France, une campagne d’information et de harcèlement de la compagnie Air France, qui participe aux expulsions, est engagée : à Paris comme en province des occupations ont lieu, des distributions de tracts et des collages, quelques agences sont saccagées et des vitrines brisées.
Le CAE est né en avril 1998, formalisant et organisant des interventions relativement spontanées et efficaces à l’aéroport de Roissy pour empêcher l’expulsion de sans-papiers arrêtés en masse suite aux occupations des églises du xviiie et du xiiiearrondissement. Cette répression très dure intervenait après le changement de majorité. La gauche plurielle est au pouvoir : les sans-papiers déboutés de la circulaire Chevènement se retrouvent seuls, abandonnés par la sphère associative para-institutionnelle. Le collectif est donc né d’une pratique : intervenir directement contre les expulsions en allant parler aux passagers des vols pour les informer de la présence d’expulsés et les inciter à refuser de voyager dans ces conditions. Les premiers résultats sont encourageants, beaucoup de sans-papiers redescendent des avions. Nous ressentons toutefois assez vite que ce travail au jour le jour doit être complété par des interventions contre l’ensemble du dispositif qui permet les expulsions (centres de rétention, entreprises publiques ou privées qui collaborent avec l’Etat, etc.). Par ailleurs nous sommes conscients que l’expulsion est plutôt à considérer comme menace pour maintenir sur le territoire un volant de main-d’œuvre exploitable à merci, nécessaire à des pans entiers de l’économie de nos démocraties avancées (BTP, confection, restauration). Ce que beaucoup appellent l’Europe-forteresse est bien plutôt une Europe-camp de travail où peuvent pénétrer tous ceux qui vont vivre sous la menace perpétuelle de l’expulsion. Si nous choisissons malgré cette analyse d’intervenir sur le moment de l’expulsion, c’est que c’est le moment le plus visible et aussi le plus fragile du parcours des sans-papiers interpellés : pour expulser, l’Etat a besoin de la complicité au moins passive du personnel de bord des avions et des passagers. Que quelques personnes manifestent leur désapprobation et cette machine fragile échoue : le sans-papiers est redescendu.

« Passagers debout,
pas d’expulsions du tout »


Nous avons donc décidé d’être présents aux embarquements des vols par lesquels ont lieu les expulsions pour susciter des débats parmi les passagers « réguliers » et les amener à intervenir pour empêcher l’expulsion. Nous allons donc régulièrement à Roissy, peu nombreux la plupart du temps (se déplacer à deux ou trois peut suffire) pour intervenir auprès des passagers, aux jours qui nous arrangent (il y a tous les jours 20 à 30 expulsions de Roissy). Nous y allons parfois pour quelqu’un en particulier, s’il nous a contacté et que nous sommes disponibles. Pour diffuser cette pratique, pour que tous ceux qui connaissent un sans-papiers arrêté cessent de penser que l’aéroport est un point de non-retour, nous avons écrit une brochure (Guide pratique d’intervention dans les aéroports) qui retrace le parcours à suivre, y compris quand l’expulsé est redescendu. Notre but est que ces interventions deviennent habituelles, que chaque expulsion devienne un problème, ce qui commence à mettre en échec l’ensemble du dispositif. Les avions sont presque les seuls lieux d’enfermement d’où il est possible de s’évader sur simple protestation des passagers.
Si nous sommes plus nombreux, nous diffusons des tracts et nous nous déplaçons en manifestation dans les aérogares. Nous avons organisé des manifestations plus exceptionnelles : manifestation dans la zone internationale le 15 octobre 1999, Journée internationale pour la liberté de circulation et d’installation, ou lancé de ballons à hélium avec des slogans suspendus. Nous intervenons aussi régulièrement auprès des personnels d’ADP (Aéroport de Paris, société de gestion des multiples secteurs d’activités des aéroports), ceux que nous rencontrons ou en allant les trouver dans leurs cantines. Il est clair que ces interventions fonctionnent plus ou moins bien selon les destinations des vols. Les passagers des vols touristiques ne nous accordent que peu d’attention (l’enjeu est grave : il ne faut pas être en retard quand on a loué trois nuits d’hôtel à Djerba). L’Algérie reste de toute façon une destination délicate : les embarquements sont toujours très contrôlés et les passagers eux-mêmes sont peu enclins à se solidariser avec un de leur compatriote. En revanche, les passagers des vols réguliers vers l’Afrique sont généralement des immigrés qui rentrent voir leur famille ou des commerçants, tous ont des proches qui ont des difficultés avec leurs papiers et ont bien souvent, eux-mêmes, connu des sans-papiers. Nous n’avons bien souvent besoin que d’attirer leur attention sur la question et ils se mettent à débattre de la meilleure façon d’intervenir. Par ailleurs, les structures communautaires très vivantes dans l’immigration africaine en France, en particulier dans les foyers de travailleurs immigrés, font que nos propositions sont relayées et discutées dans de larges parts de la communauté africaine et que, bien souvent, les passagers connaissent nos pratiques avant même que nous leur en parlions et nous racontent comment ils sont déjà intervenus d’eux-mêmes sur un vol précédent. Les flics sont assez déroutés par nos modes d’intervention : comment empêcher quelques personnes de discuter avec les passagers au moment de l’embarquement, dans la partie publique de l’aéroport ? Après diverses manœuvres d’intimidation (insultes, barrages, fausses alertes à la bombe pour nous évacuer), ils nous ont mis en procès au tribunal de police pour « exploitation non conforme d’une zone aéroportuaire ». Nous ne risquions que des amendes, mais c’était suffisant pour limiter la réappropriation par tous de ce mode d’intervention. Suite à une forte mobilisation, surtout de la part des sans-papiers, qui, pour une fois, ont eu l’occasion d’inverser les rôles et de venir nous soutenir, nous avons été relaxés et continuons nos promenades à Roissy.

Ni prisons, ni rétention

Nous avons assez vite décidé d’élargir notre travail à l’ensemble des rouages de la machine à expulser, à commencer par les lieux d’enfermement pour sans-papiers (centres de rétention, zones d’attente pour ceux qui sont bloqués à l’entrée sur le territoire, prisons, tout simplement, puisque le séjour illégal est un délit). Cette question est d’autant plus importante que la France est en effet en train d’appliquer les dispositifs européens prévus par Schengen en agrandissant son parc de prisons pour sans-papiers. Sous couvert d’amélioration des conditions de détention, il s’agit évidemment d’une amélioration des conditions de la répression. Comme en Belgique, on construit des prisons qui ont l’air dorées (avec des toboggans pour les enfants qu’on y enferme) pour pouvoir y enfermer pour de longues périodes les sans-papiers (les douze jours de la France vont passer, comme dans les autres pays d’Europe, à plusieurs mois, en général renouvelables à chaque refus d’embarquement). Ces nouveaux camps, construits et entretenus par des groupes privés, en particulier le groupe Accor, entrent dans le cadre du développement des infrastructures carcérales (construction des prisons de type 3 actuellement en projet). Toutes ces prisons neuves – pour sans-papiers, ou toute autre catégorisation qui sert à enfermer – ne doivent pas voir le jour.
Nous avons, entre autres, occupé une zone d’attente située gare du Nord dans des locaux fournis à la PAF (ex-Diccilec) par la SNCF en juin 1998, occupé la terrasse de l’hôtel Ibis de Roissy, dont le premier étage servait alors de zone d’attente (deux étages sont aujourd’hui réservés à cet effet…), manifesté devant le centre de rétention de Vincennes le 27 juin 1999. Nous avons occupé le toit de la nouvelle zone d’attente Zapi 3 à Roissy avant son ouverture. Par ailleurs, nous avons organisé, dès octobre 1998, une campagne de mobilisation à Choisy-le-Roi. Le commissariat, en centre-ville, est aussi un centre de rétention. Outre plusieurs rassemblements devant le centre et une manifestation dans la ville de Choisy, précédés de diffusions de tracts et de collages d’affiches, nous avons soutenu activement l’occupation par les sans-papiers du Val-de-Marne d’un local paroissial situé juste en face du commissariat-centre de rétention. C’est à cette occasion que nous sommes intervenus contre l’expulsion d’un sans-papiers tunisien, qui devaient être extraits du commissariat et conduit en voiture jusqu’au port de Marseille. Nous avons bloqué plusieurs heures la sortie de la voiture, jusqu’à ce que les renforts soient assez nombreux pour nous écarter. La voiture est partie en trombe et, à 2 heures du matin, notre rage nous a conduits au domicile du maire PC de la ville qui, surpris de cette visite, s’est vu obligé d’alerter en notre présence toutes les instances possibles à Paris comme à Marseille. Au matin, un médecin envoyé par la Cimade a pu monter sur le bateau et constater que le sans-papiers avait été copieusement tabassé pendant le trajet. Il a été débarqué et n’a fait l’objet d’aucune poursuite, ni pour rébellion, ni pour refus d’embarquement, ce qui ne peut s’expliquer que par la détermination de la mobilisation contre son expulsion.
Le centre de Choisy doit fermer au profit de l’ouverture de celui de Palaiseau, qui sera plus grand, plus moderne, apte à accueillir les interpellés de la région et les double-peine de Fleury et de Fresnes. Nous espérons bien empêcher sa construction, avec tous ceux qui refusent que leur quotidien soit envahi par l’univers carcéral. Nous avons donc décidé de nous rendre dans les meetings électoraux de la campagne législatives de mars 2000 afin de demander plus de précisions sur ces projets. Après avoir obtenu une confirmation gênée (le futur adjoint au maire est aussi chargé de l’immigration au PCF), nous avons lancé une campagne d’affichage dans la ville, alertant la population de ce futur projet. Des habitants nous ont joints et se sont fait le relais de cette contestation. Nous sommes également rentrés en contact avec les ouvriers de LU (une usine est dans cette ville), les sans-papiers de Massy… Pour informer et ouvrir des perspectives nouvelles nous avons organisé avec divers groupes locaux une réunion publique sur place le vendredi 12 octobre, dans le cadre de la Journée internationale d’action pour la liberté de circulation et d’installation. Une centaine de personnes y étaient présentes. Des sans-papiers ont témoigné de leurs conditions de vie, de leur lutte et pour certains de leur passage en rétention. Le maire PS et un de ses adjoints se sont sentis obligés de venir y déclarer qu’ils étaient contre la construction de ce centre, tout en prévenant prudemment qu’ils ne pouvaient y faire grand-chose (la gauche plurielle, au gouvernement, n’y est sans doute pour rien non plus…). Pour notre part, nous sommes effectivement beaucoup plus confiants dans l’efficacité de la mobilisation des habitants de Palaiseau, et appelons à un rassemblement devant la sous-préfecture le 10 novembre à 13 h 30. L’enjeu de cette lutte, au-delà du fait que ce centre ne puisse pas ouvrir, serait de rendre reproductible cette expérience. Nous sommes tous appelés à subir ou au moins à côtoyer (la différence est mince...) la généralisation de l’univers carcéral. Il est temps de trouver les moyens de mettre concrètement ces dispositifs en échec. Il est clair que pour nous, l’important est que partout où un projet de ce type se concrétise, tous ceux qui sont appelés à vivre à proximité des lieux d’enfermement refusent d’y être contraints.
La manifestation contre les prisons et pour soutenir les revendications des prisonniers du 4 novembre 2000 a été pour nous l’occasion de poser ces questions dans le cadre de la généralisation de l’univers carcéral qui nous menace tous, quelle que soit la catégorie particulière dans laquelle on choisit de nous ranger : à chacun sa prison spéciale… Pour continuer ce travail, nous participons depuis au collectif Pour en finir avec toutes les prisons. Nous refusons que la lutte contre l’enfermement des sans-papiers implique une catégorisation entre « bon détenus », qui n’auraient commis que des délits « légitimes », et « mauvais détenus » considérés comme vraiment coupables. Pour ces raisons, pour apporter la particularité de notre angle de vue, mais aussi pour l’articuler et l’imbriquer avec d’autres, notre participation à un collectif qui entend traiter de toutes les formes d’enfermement nous semble importante.

Pour toute initiative, ou toute information, vous pouvez nous contacter au numéro et à l’adresse suivants:
Collectif anti-expulsion
d’Ile-de-France :
21 ter rue Voltaire,
75011 Paris.
Répondeur-fax : 01.53.79.12.21
e-mail: cae-paris@wanadoo.fr