EXTRAIT

En 1995, j’étais à Fresnes au deuxième Nord où l’on met les détenus en attente de transfert. Un matin, mon codétenu a été transféré. J’ai donc été voir le chef pour être seul jusqu’au transfert, il m’a dit : « C’est d’accord. » Je remonte en cellule et, même pas dix minutes plus tard, la porte s’ouvre et y rentre un détenu balafré de partout. J’étais en train de boire un café lorsqu’il m’a dit : « Qu’est-ce que tu as fais ? Moi, j’ai pris perpète pour meurtre, j’ai fait treize ans. Je suis ici car ils m’ont viré en disciplinaire pour avoir foutu sur la gueule du chef de détention et l’avoir menacé de mort lui et sa famille. »
J’étais comme la tortue qui rentre sa tête quand elle se sent agressée. Tout de suite, je lui ai dit le motif qui m’a amené en zonzon, je me suis senti soulagé. Il s’est approché et m’a serré la main, il m’a alors dit : « Tu es un enculé mais je te serre la main pour le courage que tu as eu en me disant la vérité. Toi, tu ne peux pas sortir mais moi je vais sortir, je l’aurais appris et en remontant je te plantais dans la cellule, je ne suis pas à un meurtre près. »
Après, il a ouvert la fenêtre et a appelé ses deux copains pour leur demander s’il y avait encore de la place car ils l’avaient mis avec un pointeur. Les autres lui ont dit : « Marave-lui la gueule », il a dit qu’il ne se salissait pas les mains avec des ordures de mon espèce. Comme il ne savait pas écrire, il n’a pas fait de lettre pour le changement de cellule. Il prenait ses repas sur le tabouret, assis sur le lit du bas, car il ne voulait pas manger à table avec moi. Au bout d’une semaine, j’ai craqué et lui ai dit :  « Si tu vois dans la boîte une lettre adressée au chef, ne crois pas que c’est pour te balancer, c’est pour changer de cellule car nous sommes tous les deux gênés [on ne se parlait pas]. » Il m’a dit : « Non, c’est à moi de changer de cellule, je suis arrivé le dernier. »
Je lui ai fait la lettre…
J’aurais d’autres exemples à donner mais j’arrête ici en disant à Boulou garde le courage et surtout relève la tête et arrête de vouloir mettre fin à ta vie, elle n’est pas très belle mais vaut le coup d’être vécue.

JACQUES