Le
mardi 23 octobre à 19 h 45, sur France 3, pendant le journal
national et en la présence sur le plateau du ministre de la Justice,
une vidéo venue de la centrale dArles est diffusée.
A limage on peut voir trois prisonniers cagoulés, dans
une cellule maquillée par des draps. Chacun lisant une partie
du texte que nous avons reproduit ci-dessous. Cette diffusion en prime-time
ne montre pas lentièreté du document. Mais il montre
suffisamment pour comprendre quil sagit dun plaidoyer
contre les longues peines et les conditions de détention des
prisonniers. Mme Lebranchu, qui nétait pas prévenue
que des taulards, quelle croyait pourtant bien cachés derrière
les hauts murs des prisons, allaient lui voler la vedette, sest
retrouvée sans voix
Avant
de lire le communiqué qui suit, il nous faut préciser
que si nous nous présentons à vous encagoulés cest
pour éviter la personnalisation de laction en cours. Nous
ne sommes que des détenus longue-peine parmi dautres. Le
message que nous portons est celui de milliers dhommes et de femmes
« sans voix », enfermés dans les prisons de France.
Par ailleurs, nous tenons à indiquer que cest pour des
raisons de sécurité que nous portons des cagoules. Inutile
de préciser que les autorités pénitentiaires napprécieront
pas notre initiative, que la répression qui sabattra suite
à la diffusion publique de ce document sera importante. Les mesures
de sécurité que nous avons prises risquent dailleurs
de ne pas nous épargner les sanctions, cest pourquoi nous
demandons par avance aux associations et citoyens soucieux de la défense
des droits de lhomme de veiller sur la centrale dArles dans
les jours et semaines à venir. Cela évitera que ne se
produisent des violences et des abus divers, commis par des tenants
de la répression.
Bien évidemment, si le monde carcéral nétait
pas ce lieu de non-droit où le droit dexpression, dassociation,
étaient interdits aux détenus, nous naurions pas
été obligés de mener pareille action. Cest
la nature anti- démocratique de la prison qui nous amène
à agir de la sorte !
Enfin, nous tenons ici à préciser que le matériel
utilisé pour effectuer ce reportage a été pris
sans le consentement de quiconque, pour être plus précis,
nous avons détourné le matériel en question sans
que le détenu en charge de latelier vidéo de la
maison centrale ne le sache.
Lannée 2000 aura été, entre autres, lannée
de la révélation au grand public de lhorreur carcérale
en France. Une « honte pour la République » a-t-il
été dit par beaucoup. Nombre de problèmes ont été
soulevés, dénoncés. Des parlementaires à
lEglise, en passant par diverses associations, tous ont eu loccasion
de sexprimer sur le sujet dans une certaine unanimité.
Nous en prenons acte.
Mais comme toujours, la parole na pas été accordée
aux principaux intéressés, à ceux et celles pour
qui le quotidien est linfamie carcérale, cest-à-dire
les détenu(e)s eux-mêmes !
La parole ne nous est pas donnée. Jamais. Cest pourquoi
nous avons décidé de la prendre, ici et maintenant.
Cest particulièrement au nom des détenu(e)s «
longue-peine » que nous nous exprimons, nous, les laissés-pour-compte,
ceux pour qui lhorizon nest que désespoir et haine.
Nous sommes là, face à vous, pour exiger que nous soient
appliquées des mesures justes, équitables, qui nous permettent
de croire que nous navons pas été condamnés
à la mort lente, à des peines qui ne sont quun substitut
à la peine de mort.
Nous sommes là pour dire haut et fort que nul na intérêt
à ce que nous nous transformions en « bombes humaines »,
car viendra le jour où nous serons libérés, où
nous réintégrerons le corps social.
Quen sera-t-il si des années durant, le système
carcéral nous meurtrit, nous avilit, nous blesse jusquau
plus profond de notre être ? Il est temps que cette réalité
cesse, il est grandement temps que cette prison mangeuse dhommes
soit lobjet dune révolution culturelle qui lui permette
dentrer dans ce troisième millénaire de façon
plus digne.
Forts de notre expérience et au nom du respect de la dignité
humaine et des droits fondamentaux de la personne humaine, nous exigeons
que le gouvernement français prenne les mesures suivantes :
Premièrement : refonte de léchelle des peines
et alignement sur les pays aux conceptions pénales les moins
répressives. En clair, nous revendiquons labolition des
« longues peines », la fin des cumuls de peines
qui font que des hommes et femmes aient des décennies de prison
à purger, mais également abolition de linsupportable
peine de perpétuité. Il est reconnu par tous les spécialistes
en la matière que, passé un certain temps, la durée
de la peine na plus aucun sens, quelle nest quacharnement,
vengeance, destruction de lindividu.
Lan 2001 verra célébrer le vingtième anniversaire
de labolition de la peine de mort. Voici loccasion den
finir avec les longues peines qui ne sont rien dautre quun
substitut à la peine de mort.
Deuxièmement : libération immédiate de tous
les détenu(e)s atteints de maladies incurables. Mourir en prison
est le sort le plus infâme que puisse vivre un être humain.
Nous demandons que soit respecté le droit à mourir dignement,
parmi les siens, hors du contexte carcéral.
Troisièmement : abolition des quartiers disolement
et des mitards.
Cest la fermeture pure et simple de ces outils ultrarépressifs
que nous exigeons. Ces lieux où bien trop souvent le droit est
celui du plus fort, où le fonctionnaire devient bourreau, les
morts suspectes trop nombreuses. Il faut en finir !
Voilà pour les mesures à prendre qui tiennent de lurgence,
car chaque jour qui passe est un jour que nous vivons comme une vengeance
sociale qui nous serait appliquée et non pas comme une mesure
de justice.
Mais la réalité carcérale présente est composée
de bien dautres mesures que nous tenons à dénoncer
et voir changer dans les délais les plus brefs.
Il sagit par exemple de limpossibilité davoir
des relations sexuelles, davoir des enfants, ou tout simplement
davoir le droit à la tendresse. Autant déléments
qui sont constitutifs des droits élémentaires de la personne
humaine. Le projet extrêmement limité des Unités
de vie familiale (UVF) qui toucherait 3 établissements sur les
187 actuels est une insulte qui nous est faite. Sachant que nombre de
pays ont déjà doté leurs établissements
pénitentiaires de lieux de rencontre spécifiques pour
les rapports intimes, pourquoi la France ne se lance dans pareil projet
quà titre expérimental et donc limité ? Combien
de décennies nous faudra-t-il encore attendre pour que ces droits
élémentaires nous soient reconnus ? Combien de familles,
de couples, devront-ils se disloquer encore, avant que les décideurs
politiques et autres fonctionnaires agissent de façon responsable,
ou tout simplement humaine ?
Autre souci majeur : la transformation des maisons centrales en annexes
dasiles psychiatriques.
De plus en plus de détenus nont rien à faire en
prison. Leur état psychologique est incompatible avec la prison.
Nous demandons quils soient soignés dans des lieux adaptés.
Nous tenons également à dénoncer le scandale des
usages de produits de substitution dans le monde carcéral. Bien
trop souvent, la tranquillité en détention a pour prix
le maintien de détenus en état de dépendance à
des drogues de substitution. Certains détenus se transforment
même durant leur détention en drogués alors quils
ne létaient pas lors de leur incarcération. Que
penser dune institution qui maintient et encourage des hommes
et des femmes à la toxicomanie, avec les deniers de la nation
?
Nous exigeons également que lon en finisse avec les mesures
de censure. La violation permanente de notre courrier, de nos rencontres
avec nos proches, nos familles, nont quun objectif : nous
imposer une autocensure qui aboutie à laliénation
de la pensée et lanesthésie des sentiments, mais
également à terme à la disparition des liens familiaux.
A qui fera-t-on croire que lon veut nous réinsérer
alors que ladministration pénitentiaire na de cesse
que de nous couper de la famille en nous incarcérant à
des centaines de kilomètres du lieu dhabitation de nos
proches et que tout le fonctionnement de linstitution ne mène
quà linfantilisation et à la déresponsabilisation
du détenu.
Dans la rubrique des réalités scandaleuses, comment ne
pas évoquer le travail pénal ?
Pourquoi le droit du travail nest-il pas appliqué aux personnes
détenues ? Pourquoi le patronat français trouve-t-il parfois
plus dintérêt à donner du travail aux prisons
françaises plutôt que de délocaliser vers un pays
du tiers-monde ? La réponse est simple ; parce que le détenu
est corvéable à merci et que les conditions offertes par
ladministration pénitentiaire sont celles dont rêvent
tous les esclavagistes modernes. Est-ce dans de telles conditions que
lon voudrait nous inciter à nous réinsérer
dans la société par le travail ? Et que dire de ces salaires
misérables qui ne nous permettent pas de rembourser décemment
lesdites parties civiles. Les décisions de justice en la matière
sont sacrifiées sur lhôtel du profit.
Autre motif dexaspération, le désintérêt
que porte ladministration pénitentiaire à la culture,
à lart, à ces aliments de lesprit et des sens.
Comment peut-on se construire ou se reconstruire si nous est niée
cette part vitale de notre être, notre pouvoir de création,
notre sensibilité, si la culture et lart ne nous sont pas
accessibles ?
Nous tenons à dénoncer ici, avec force, Iactivité
nocive dune minorité extrêmement agissante du personnel
surveillant pour qui le détenu est lennemi à abattre.
Ces fonctionnaires refusant de respecter lesprit des lois, voire
souvent leur simple application, représentent un danger permanent
pour linstitution en général, mais plus prosaïquement,
pour la population pénale et pour leurs propres collègues.
Il est temps que ces gens soient neutralisés par ceux dont la
mission est la mise en application des textes et le suivi du bon fonctionnement
des établissements pénitentiaires.
Par ailleurs, nous tenons à attirer lattention sur la mise
en application de la nouvelle loi dite de la présomption dinnocence.
Nous craignons que là encore le corps des magistrats chargés
de lapplication des peines ne continue dans sa grosse majorité
à appliquer les textes de façon on ne peut plus restrictive.
Voilà des années que la politique menée en matière
dapplication des peines est un désastre. Il faut que cela
cesse. Il faut que cesse lacharnement dont les longue-peine sont
victimes de la part du secteur ultra-répressif de la magistrature
française. Nous refusons dêtre plus longtemps les
victimes de ces bourreaux assermentés.
Pour conclure cette liste non exhaustive, nous souhaitons dire combien
il nous semble nécessaire, vital, que les autorités pénitentiaires
sattachent à remplir leur mission daide à
la réinsertion des détenu(e)s. Force est de constater
que nous, détenu(e)s des maisons centrales de France, ne bénéficions
pas de mesures allant en ce sens. Manifestement, la volonté politique
nexiste pas, et les moyens mis en place sont quasi inexistants.
Il nous paraît clair que lon nous sacrifie, que lon
nous destine à la récidive systématique. Nous refusons
de servir de matière première à la politique sécuritaire
de lEtat.
Bien évidemment, nous saluons tous nos camarades qui se trouvent
présentement emmurés vivants dans les quartiers disolement,
ainsi que ceux et celles qui subissent linsupportable sanction
du mitard. Force, courage et détermination à toutes et
à tous.
Un salut empreint de solidarité également pour tous les
détenus se trouvant en maison darrêt. Les détestables
conditions de vie en maison darrêt sont aujourdhui
connues de tous. Les changements simposent et vite !
Enfin, nous souhaitons adresser un message à tous les jeunes
des cités, à tous les enfants du prolétariat et
du sous-prolétariat, à tous ceux et celles appartenant
à la classe des sacrifiés du système. Hier, vos
parents et grands-parents, nos parents et grands-parents, étaient
transformés en « chair à canon », envoyés
au front pour y crever en défendant des intérêts
qui nétaient pas les leurs. Aujourdhui, cest
le destin de « chair à prison » qui nous
est offert, qui vous est offert. Refusez cette tragédie, refusez
cette logique. Prenez conscience de tout cela avant quil ne soit
trop tard. Car les portes de prison se referment de plus en plus sur
vous et de plus en plus longtemps, alors que les véritables délinquants,
ceux qui vivent sur le dos de la misère, de notre misère,
de toute leur arrogance, se goinfrent en rigolant de nos malheurs, de
nos vies sacrifiées.