Pour ne pas perdre la notion
du calendrier, il faut compter attentivement les jours, marquer chacun
dun trait. Un matin, on saperoit quil y a quarante-sept jours ou
cent vingt ou trois cent quarante-sept ! que cest, en arrire, un chemin
droit, sans le moindre accident, incolore, insipide, insens
é. Pas un point
de repre ne sy offre au regard. Des mois ont pass
é, identiques des
jours ; des jours passent identiques des minutes. Le temps pr
ésent est
lourd de torpeur. La minute est parfois merveilleusement ou atrocement
profonde. Cela d
épend dans une certaine mesure de soi-mme. Il y a des
heures rapides et de trs longues secondes. Le temps pass
é est nul. Aucune
chronologie de faits ne larrtant, la dur
ée ext
érieure nexiste plus.
Victor Serge, les Hommes dans la prison.
Longues
peines ; quel moment saperoit-on quon est un longue-peine. Bien avant
de passer devant un tribunal pour aller chercher laddition, le prisonnier
aura effectu
é quelques ann
ées. Oui, trois, quatre, cinq ans attendre,
tre conditionn
é comme une marchandise. Lorsque lon passe la caisse,
laddition nous assomme. 15, 20, 25, 30 perp
étuit
é. On perd connaissance,
mais on reste quand mme debout (pourquoi on ne tombe pas, on ne s
écroule
pas ?). 3, 4, 5 ans dattente, de conditionnement, on perd toute notion
du temps, on est dans un
état inconscient, on ne peut plus r
éagir sur
le moment. Il lui faudra quelques jours, quelques semaines ou des fois
quelques mois pour prendre conscience de sa peine (et cela dans tous les
sens du terme). Non, on ne passe pas devant un tribunal pour tre jug
é,
mais pour tre condamn
é. Et ce nest quaprs cette condamnation que lon
commence vous juger. Car, comme ils le disent, la peine sera afflictive
et infmante. Car la condamnation est un fait, mais qui ne d
étermine pas
dans labsolu le temps que lon fera. Ce nest que pendant cette incarc
ération
que lon passera son temps tre jug
é. Et ce ne sera quau vu de ces
jugements que lon vous accordera ou pas, une permission, une semi-libert
é,
une conditionnelle, des remises de peine
Oui, lorsque lon estlongue-peine on essaie de ne plus compter. On est
hors du temps, on nest plus. Alors je ne sais pas sil y a m
éditer
sur cette phrase (dEmmanuel Kant) : Lesprit humain nest conscient
dune progression dans le temps que parce-quil sait compter.
Il y a des moments o je me laisse aller des rveries. Le temps de ces
moments-l ne se compte plus, les jours, les semaines d
éfilent (je maperois
que le verbe d
éfiler a plusieurs sens, comme celui de la fuite). Fuir
dans un monde, un autre monde, un monde abstrait Mais pour le moment
je suis amen
é revenir la surface. Oui, surface dans un monde, dans
un temps o lon fait semblant. Le semblant dune vie qui nest que survie,
pour ne pas dire sous-vie ou sous vide.
Voil le pourquoi du plongeon dans labstrait.
Aprs avoir pris trente piges et fait cinq depuis, je me demande ce qui
me maintient encore debout
Le pire, ce nest pas ces trente piges, cest plutt de prendre conscience
de ces lieux et de tout ce qui gravite autour. Mme si lon est amen
é
occuper son temps (occuper son temps cest d
éj
égoste, il vaudrait
mieux le partager) des activit
és diverses, on ne construit rien ou alors
tout nest quillusion. Tout ce que fait le d
étenu, cest de se cr
éer
un espace pour un semblant dautonomie. Car cest un paradoxe de parler
dind
épendance dans un milieu coercitif tel que la prison. Dans une prison
dexclusion, de misre et de haine, il serait bon de se poser la question
de lavenir des personnes (hommes et femmes, jeunes et vieux quon y jette).
Bien sr quil faut en finir avec cette perp
étuit
é et cette
échelle des
peines. Mais lhistoire nous le rappelle, il faudra compter sur lEurope
pour que la France, pays des droits de lhomme, saligne, contrainte et
forc
ée
Je crois quil serait bon de voir ou de revoir la condamnation dune infraction
et sa peine. Il y a lieu de constater quil est souvent fait une diff
érence
entre un primaire et un r
écidiviste et que la peine est en fonction de
ce d
éterminisme. Alors pourquoi continuer faire cette diff
érence lors
des am
énagements de peine. Avec le primaire : mi-peine pour une permission,
une libert
é conditionnelle. Et le r
écidiviste, il faut quil effectue
les deux tiers de sa peine pour la mme chose.
Alors quՈ la base la peine est bien d
éfinie sur ces deux points.
d
éfaut que les tribunaux ne se remettent en question sur les peines
incommensurables quils infligent. Une proposition serait que tous les
d
étenus puissent sortir en fin de peine aprs avoir effectu
é les deux
tiers de celle-ci. Et une mi-peine pour tout am
énagement. Car on peut
constater lheure actuelle, pour prendre un exemple, quune personne
condamn
ée un an effectuera (si tout se passe bien) neuf mois. Il aura
fait plus des deux tiers puisque les deux tiers dun an font huit mois.
|