Le
9 octobre est une date : cela fait vingt ans que la peine de mort a été
abolie dans ce pays. Vingt ans, et le 9 octobre est le type même
de représentation publicitaire de la nouvelle religion dEtat.
Un culte dont nos sociétés aiment à célébrer
chaque messe, chaque ave jusquau dernier soupir de félicité.
Dans les mimétismes ad nauseam, il faut consacrer la gloire sans
mémoire :
Oublier que cette «France des Lumières», se décidant
à en finir enfin avec la suprême violence dEtat, était
le dernier pays dEurope occidentale à renoncer à la
vengeance publique ?
Et ceux qui brodent cet acte sublime au Te deum dun président
défunt, sont-ils à ce point amnésiques ?
Comment gommer les pouvoirs spéciaux, luvre de cet
ancien ministre de la Justice et le crime de dizaines de prisonniers politiques
algériens et français ? La mémoire se découpe-t-elle
suivant les pointillés comme les corps des suppliciés ?
Mais précisément, le rôle des célébrations
nest-il pas celui den finir avec le passé pour lisser
un présent de mille ans, un temps suspendu aboutissant au non-sens
de la seule marchandise et des dividendes ?
Amputé du passé, le présent consacré se dissimule
sous le masque, il se conjugue aux mensonges domestiques et aux nouvelles
tyrannies.
Nous, prisonniers qui vivons dans le ventre de la bête carcérale,
nous adressons cette supplique à ceux qui, réunis, fêteront
lanniversaire.
La mort a-t-elle quitté le monde de la punition ?
Non ! Il nest jamais mort autant de prisonniers depuis le temps
des malarias de Cayenne !
Non ! Les prisons actuelles sont des mouroirs où le mortifère
est élevé sur des autels aux fleurs incompressibles. «
Prison-hôpital », « prison-asile », « prison-hospice
», suicides, automutilations, folie, mort lente, violences des surveillants
et dautres prisonniers, arbitraires
Ainsi la mort est en bonne place sur les bons de cantine et, dans ce pays,
labolition de la peine capitale inaugura banalement la grande mutation
de lEtat pénal et de son royaume de damnations.
En octobre 81, nous étions 31 551 prisonniers, nous sommes plus
de 50 000 aujourdhui. On entasse. On construit dans lurgence
des cités du châtiment comme hier ils bâtissaient les
barres des périphéries. On prépare de nouvelles maisons
de correction pour les enfants, des prisons spécialisées
pour les détenus grabataires, dautres pour les malades mentaux
(près dun tiers de la population pénale est atteinte
de troubles psychiques graves), des prisons souterraines pour les détenus
dangereux
En vingt ans, la durée moyenne des peines a cru de 71%. Quant à
lalourdissement des peines prononcées, il ne peut plus être
contesté, sans parler de la mise en place des peines de sûreté,
18, 22 puis 30 ans, incompressibles. Cest linflation de labsurde
sécuritaire jusquà la perpétuité réelle
! Et aujourdhui des milliers de longue-peine et plus de 600 perpétuités
étouffent lentement dans les nouvelles tours de béton et
dacier du tout-prison.
Cest la réalité de lexplosion carcérale
!
Et cest également une guerre faite de mots que les adorateurs
médiatiques chantent à tue-tête.
On ne meurt plus en prison puisquil ny aurait plus de peine
de mort. Il ny aurait plus de fous puisquils ont décidé
dabroger larticle 64. Il ny aurait plus besoin de libération
médicale puisque les malades disparaissent simplement des statistiques
au cours de leur transport vers les hôpitaux civils les plus proches.
Il ny aurait plus de prisonniers politiques puisquil ny
a plus quune seule politique, celle du consensus des similaires
Dans cette pantomime, lEtat pénitence se décline au
clean livide de lordre idéologique !
Sous les sunlights, la mode est à la pub pour la « sécurité
républicaine » et la « tolérance zéro
» et ses slogans réactionnaires dessinent les contours de
la répression actuelle.
Car ce nest pas nimporte quelle « tolérance zéro
» et pas besoin daller chercher les exemples dans les hautes
sphères de leur politique. A Toulouse, au début septembre,
les juges ont condamné à une petite peine de sursis un flic
assassin et, quelques instants plus tard, ils expédiaient en prison
pour plusieurs mois un Algérien qui pour seul crime nétait
pas en possession dun titre de séjour régulièrement
visé par ladministration.
On fête labolition de la peine de mort dans une ambiance de
bureaucratie sécuritaire et pénitentiaire. Plus que jamais,
la prison est une arme de premier choix pour les nouveaux criminels (des
déviants et des fous), parce quelle s'élève
plus haut encore comme menace permanente pesant sur les populations les
plus pauvres, contre les jeunes prolétaires soumis au « marche
ou crève » de la précarité globale, contre
les étrangers sans papiers chassés de chez eux par les ravages
des inégalités croissantes
La prison ne frappe plus
les marges de nos sociétés mais elle sinsinue au cur
de ces principales logiques dexploitation et doppression.
Bien sûr, parfois, ils sémeuvent encore des dégâts
de leur gestion, ils pondent dans la contrition trois ou quatre rapports
puant le remords et le consensuel. Ils pleurnichent sur les plateaux de
télévision. Ils évoquent de grandes réformes
humanistes. Puis, minés par les lobbies et tous ceux qui se gavent
sous les mamelles de la vache à lait pénitentiaire (nouveaux
industriels des prisons privées, hauts fonctionnaires, cadres ou
corporations duniformes qui vivent de formes légalisées
ou occultes de bénéfices tirés à ce monde
des ténèbres), ils reculent. Face à cette mafia factieuse,
ils négocient des petits aménagements et ainsi l«
humiliation de la république » accouche dune souris
apeurée.
Ces derniers mois, tant les réformes de lapplication des
peines que le projet de loi pénitentiaire en sont la plus claire
des démonstrations : ils rafraîchissent les peintures comme
ils réhabilitent Fleury ou humanisent Fresnes.
Sinistre comédie !
Jusquà quand ?
Dans ce pays, le pouvoir naccepte des réformes dans ses geôles
que sous la menace des émeutes et des luttes, face à la
résistance des prisonniers ! Ceux qui ignorent cette logique sont
promis à crever la gueule ouverte.
Cest pourquoi nous appelons à marquer chaque occasion de
notre présence collective et consciente. Et le 9 octobre, comme
le jour de lexamen de la loi pénitentiaire, nous devons faire
acte de présence par une journée de lutte, grève
de plateaux, grève des ateliers, blocages
Toutes les initiatives
sont à étudier sur les coursives.
Dans le même mouvement, nous appelons les personnes à lextérieur
à perturber les cérémonies de célébration
du vingtième anniversaire de labolition de la peine de mort.
Le 9 octobre doit être un jour de résistance contre la mort
lente
des perpétuités et des longue-peine.
Le 9 octobre doit être un jour de revendication
pour le rétablissement
des libérations médicales,
des libérations conditionnelles
et de toutes les mesures de lapplication des peines
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