Bonjour à toute
léquipe de lEnvolée, je mappelle Armand,
jai vingt-quatre ans et suis actuellement détenu à
Fleury au D 3 (encore !). Jai été condamné
à cinq ans, jattends mon transfert en CD, voilà pour
ma situation pénale. Je vous remercie déjà pour ce
que vous faites à lextérieur et davoir donné
la parole, par exemple, à Roger que jai rencontré
brièvement au D 3. Je vous écris donc car jai remarqué
que les courriers qui vous étaient adressés venaient souvent
de détenus assez âgés ayant un assez lourd parcours
derrière eux et aussi à venir. Je voulais donc donner lavis
dun jeune sur la détention et réagir à votre
émission de la semaine dernière.
En
ce qui concerne la présomption dinnocence, elle nest
pas du tout appliquée, à part pour les voyoucrates de lElysée
; pour nous cest un vieux jeu de mots, car présumé
coupable, innocent, cest pareil ; si on y réfléchit,
ça veut dire dans les deux cas quon est peut-être innocent
ou coupable, mais pour nous les jeunes, en général issus
des quartiers, ça aboutit à lincarcération
direct. Alors que cest le juge qui devrait prouver notre culpabilité
pour justifier lincarcération, cest à nous de
prouver notre innocence. Ainsi des juges pourront abuser de leur pouvoir
pour mettre en mandat de dépôt des personnes ayant des rôles
mineurs dans des affaires afin quils donnent les principaux accusés
en leur faisant miroiter une provisoire, ne se gênant pas de mettre
père, mère, femme, etc. Ainsi la famille se retrouvera otage
pour que le fils, conjoint, mari passe à table. Quel rapport avec
présomption dinnocence? On en est loin
Je ne vais pas méterniser sur ces problèmes, je vais
vous donner vite fait lavis dun jeune sur la MA. En vérité,
les jeunes ne sont pas vraiment étonnés de la manière
dont fonctionne une MA comme Fleury, par exemple, pour les travailleurs.
En effet, la France, ancien pays colonialiste, pratique encore lesclavagisme
dans ses prisons. Ils soffusquent devant le travail des mineurs
en Asie, alors que eux, en revanche, trouvent normal que des personnes
qui exécutent le même travail, voire plus, quun ouvrier
de lextérieur touchent 1 200 francs cantinables. Des personnes
incarcérées pour des problèmes de papiers ne peuvent
bosser quau noir dehors, mais lorsquelles se font incarcérer
et reconduire à la frontière à la sortie, la MA les
fait travailler pour ce salaire de misère dans le respect du droit.
La prison est un lieu de non-droit, non pas à cause des détenus,
mais à cause de la bêtise de ladministration ; cest
lendroit où nous sommes censés expier nos fautes et
nous voyons lEtat escroquer grossièrement. Après tout,
ils doivent se dire quon a volé et que cest un juste
retour des choses si on nous vole à notre tour. Certains surveillants
trouvent que cest une chance de travailler, au moindre problème
ils nous jettent. Encore une fois, les valeurs démocratiques, de
liberté, etc., ou, mieux, les droits de lhomme sont bafoués
lamentablement.
Si tas pas dargent au placard, tu crèves la dalle,
la gamelle est dégueu, encore aujourdhui jai vu de
la viande dans la gamelle quil mest impossible didentifier,
lhygiène des cuisines et la gueule des gameleurs qui font
la bouffe font peur (cest pas de leur faute à eux pour leurs
gueules). Donc les détenus non assistés et nayant
pas un codétenu assisté vont travailler car il faut bien
manger à sa faim et aussi se payer la location de la télé,
les produits dentretien de la cellule. Pareil pour la télé,
ils font du bénéfice. En effet, un détenu qui aurait
cantiné la télé et qui est seul en cellule a, au
bout de dix mois à raison de 220 francs par mois (soit 2 200 francs),
cumulé deux fois le prix de cette petite télé ; et
sil lui reste 54 francs sur son pécule au lieu de 55 francs
pour payer la semaine, on lui retirera, alors quelle devrait lui
appartenir car il la largement payée. Pour les douches, il
arrive souvent quand nous rentrons du sport quelles nous soient
refusées. Le surveillant acceptera de loctroyer selon son
libre arbitre, son humeur ou même quil apprécie plus
ou moins le détenu, pareil pour le coiffeur et bien dautres
choses. Les porte-clefs font pire, dès quon entend le sifflet,
on sait que celui qui a causé le coup de sifflet du surveillant
va se faire défoncer par vingt surveillants, et si il est trop
récalcitrant, on le suicidera
Pour conclure, car jaime pas trop écrire, certains jeune
le savent, dautres croient encore que ce sont des légendes,
en tout cas rien ne bouge.
Sil ny a pas de mouvement, cest que les jeunes ne sétonnent
plus de rien. Dehors nous sommes des prisonniers en sursis, nous subissons
le système depuis toujours, nous lavons vu sacharner
sur nos parents qui pourtant étaient honnêtes ; plus rien
ne nous étonne. Il y en a qui diront que, du temps des anciens,
la prison était beaucoup plus dure et quils se la faisaient
quand même. Oui, mais faut pas oublier queux ont bougé
pour que cela change, et depuis pas grand-chose. Je pense comme pas mal
de gens quil faut que la prison évolue en même temps
que la société. Je ne pense pas pour linstant que
des mouvements auront lieu à Fleury en raison de la différence
des peines entre une MA et une centrale et aussi du mental : les jeunes
à lintérieur comme à lextérieur,
même si ils sont en groupe, sont individualistes, cest chacun
pour sa peau et pour sa poche, et seuls des petits groupes se forment.
De plus, nous navons pas de conscience politique, pour la plupart
nous ne sommes pas en marge par esprit révolutionnaire mais par
esprit capitaliste, cest loseille qui nous intéresse.
Si ça doit bouger, je pense que vu la situation actuelle, il ny
a que les médias et lopinion publique qui peuvent un peu
changer les condition de vie en MA (mis à part le plan 13 000 qui
est quand même mieux). Par exemple, en 1999, Giguou passe à
la télé : on lui parle des deux douches par semaine, cinq
jours après on en avait trois.
Pour ma part, ayant les yeux à peu près ouverts, ma réinsertion
et celle dautres sont plus quincertaines car la fatalité
dun avenir à lusine nest pas du tout envisageable.
Reste léternel choix des hommes de toute génération,
cette fois de tout pays : mourir debout ou vivre à genoux.
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