De la répétition à la récidive

Selon les sources du service national pour l’enfance maltraitée, sur une moyenne de 531 appels par jour, 67 % des appelants dénoncent un membre de leur famille proche (père, mère, frère, sœur, beau-père, belle-mère, grands-parents). Le reste des appels désignant un membre de la famille plus éloignée (9,92 %), un ami de la famille (3,17 %), un professionnel (sic) (3,08 %), un camarade (2,76 %), un voisin (2,30 %), un gardien (0,37 %). Seuls un peu plus de 6 % des appels désignent un inconnu.
Il est à noter qu’en 1995 les prisonniers condamnés pour viol et attentat aux mœurs représentaient 12,5 %, alors que vingt ans plus tôt ils ne représentaient que 4,9 % des détenus condamnés.


Je me suis permis de vous adresser ce courrier non pour raconter ma vie mais pour que les gens comprennent bien qu’on ne vient pas au monde « violeur » ou « pédophile ».
Je vous en remercie à l’avance et remercie toute l’équipe qui anime cette émission et qui nous envoie un petit rayon de soleil dans nos cœurs car maintenant je sais que nous ne sommes pas seuls. Et vous pouvez me croire, j’ai honte de vous parler de ce qui m’est arrivé et de ce que j’ai fait.
J’écoute votre émission de radio pour la deuxième fois. J’ai 34 ans et je suis récidiviste, cette fois j’ai pris douze ans. Ce que je vais vous dire n’est pas une excuse pour ce que j’ai fait. Mais souvent, on ne pense pas à ce qui nous a amenés à ces actes.
J’ai emménagé à La Courneuve en 1978, c’est là que mon enfance s’est arrêtée à 10 ans. J’ai subi des actes qu’on ne pourrait même pas imaginer par mon frère. Tout a commencé lorsque, comme tous les gosses font, j’ai volé un paquet de bonbons. Je me suis fait prendre par le surveillant du magasin, qui m’a demandé de le suivre dans son bureau et, arrivé là, il a fermé la porte et les stores. Il a commencé à me faire peur en me disant qu’il allait appeler les flics et mes parents ou de baisser mon pantalon, chose que j’ai faite malgré que j’étais apeuré. Il m’a tripoté tout en faisant pareil, ça a duré près d’un quart d’heure. Quand il a eu fini, il m’a laissé partir. Mon frère m’attendait à l’extérieur et m’a demandé ce que je foutais, je lui ai expliqué toute l’histoire et il m’a répondu de ne rien dire à ma mère, sinon elle nous tuerait. Je n’ai donc rien dit de peur de prendre une raclée. Quelques semaines plus tard, mon frère est venu dans ma chambre en pleine nuit se coucher à côté de moi, en enlevant son slip et il m’a fait de même ; j’ai demandé ce qu’il faisait et il m’a répondu « ferme ta gueule, je ne te ferai pas mal ». J’ai dit non et il m’a mis un coup de poing, il a frotté son sexe sur le mien ; moi, j’étais en larmes, il n’arrêtait pas de dire ferme ta gueule et comme il était plus âgé que moi de cinq ans, je n’avais aucun moyen de me défendre, seulement de pleurer. ça a duré des heures en entendant son souffle sur mon visage, quand je me suis rendu compte que j’étais mouillé, je lui ai dit « tu m’a pissé dessus », il a ri et il m’a dit que c’était du sperme. Il s’est levé, s’est essuyé, en repartant il m’a dit : « Si tu le dis à maman, on sera tous placés à la Dass et ce sera de ta faute. » Comme derrière moi il y avait des petits frères et sœurs, j’ai fermé ma gueule comme il disait. Il s’est passé près d’un mois avant qu’il ne remette ça, mais, cette fois-là, il m’a sodomisé ; la douleur que je ressentais à ce moment-là n’était pas explicable mais bel et bien douloureuse. C’était toujours long et comme je pleurais, il me plaquais la tête sur l’oreiller pour étouffer les bruits.
Plus les jours et les mois passaient et plus ça devenait de pire en pire, il fallait que je lui touche le sexe et que je le suce, il lui arrivait des fois avec sa main de me serrer les joues pour que j’ouvre la bouche pour qu’il puisse éjaculer dedans. Les jours où il n’y avait pas école, il envoyait mes frères et sœurs jouer dehors et il remettait ça de plus belle, mais toujours des sodomisations, je crois que c’est ce qui lui plaisait le plus. Il y avait des jours où cela pouvait se faire deux fois dans la même journée. J’ai fait des fugues, des vols, je n’allais plus à l’école pour essayer de faire comprendre à ma mère qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Tout ce que je récoltais, c’était le martinet ou des coups de fil électrique. Il faut savoir que ma mère travaillait toute la semaine de 6 heures du matin à 21 heures dans un foyer pour mineurs en difficulté. Elle avait un week-end sur deux de repos, à ce moment-là j’étais si on peut dire « heureux ». Je tiens à préciser qu’il n’y avait pas d’homme chez nous et qu’on habitait un cinq pièces et que la chambre de ma mère était au bout du couloir. Je me suis toujours demandé si elle n’était pas au courant de ce qui se passait à la maison, au plus profond de mon cœur et, surtout maintenant, j’en suis sûr.
Avec mon frère, mon calvaire a duré un an et demi jusqu’au jour où, à l’âge de 13 ans, j’ai tenté de mettre fin à mes jours, ma mère a cru que je me droguais.
Aujourd’hui, j’ai 34 ans et cela fait vingt-quatre ans que je garde ça au fond de mon cœur. Il y a des périodes où, quand je repense à tout ça, mes pulsions suicidaires reprennent le dessus et mon désir d’en finir avec la vie persiste. La dernière en date est du 2 août, et je ne sais pas si je veux vraiment mourir ou tout simplement me punir moi-même pour ce que j’ai fait à d’autres enfants, car je m’étais juré de ne jamais lui ressembler et voilà où ça m’a mené depuis l’âge de 27 ans. J’ai déjà fait de la prison pour attouchements et fait un an. A ma sortie, ma mère m’a proposé de venir vivre chez elle et j’ai accepté. Entre-temps, j’ai appris qu’elle s’était remise en ménage avec un type depuis six ans. Les premiers jours se sont bien passés, j’ai accepté de prendre de l’Androcure pour atténuer mes pulsions sexuelles et cela marchait bien, malgré les réticences de ma mère. Mais plus tard, j’ai appris que ce type violait ma sœur âgée alors de 16 ans. Je l’ai dit à ma mère et elle m’a répondu de me mêler de mes affaires et que de toute façon j’étais un violeur aussi. Je me suis donc engueulé avec elle et elle m’a mis à la porte. C’est à cette période que j’ai récidivé et que je me suis retrouvé en prison et là, l’enfer a commencé à peine arrivé à mon quartier. Les autres détenus savaient pourquoi j’étais là. Je suis resté quatre ans sans mettre les pieds en promenade, pas de douche, je me lavais au lavabo ; je suis sorti de la cellule deux fois : une fois pour le tribunal et l’autre pour mon transfert à Fresnes.
Je n’ai pas de parloir, pas de courrier et aucune nouvelles de la famille, les amis que j’ai sont les murs de ma cellule. Sinon, l’UPH est comme Jacques vous l’a décrit, l’avantage pour moi c’est que depuis que j’ai accepté de faire cette thérapie, je peux descendre en promenade. Je tiens à vous rappeler que tout ce que j’ai vécu n’excuse en rien ce que j’ai fait, car je suis devenu la pourriture que j’ai toujours détestée chez mon frère. Et personnellement, je serais pour la peine de prison avec soins obligatoires, même après la libération.

Boulou