Le
projet de loi pénitentiaire
Le grand conseil des sages sest réuni : « Chargée
par le Premier ministre de lélaboration dun projet
de loi pénitentiaire, la garde des Sceaux, Marylise Lebranchu,
a souhaité que la préparation de ce texte soit loccasion
dune vaste consultation. Depuis le 21 mars, le COS (Conseil dorientation
stratégique) sest réuni à sept reprises et
clôturera ses travaux le 19 septembre. Au cours de ces rencontres,
ses membres ont délibéré et se sont concertés
sur les grands thèmes retenus par la loi : le sens de la peine
et son exécution, les droits et obligations des détenus,
lorganisation et les missions du service pénitentiaire et
de ses agents, le contrôle extérieur des établissements
pénitentiaires. »
En 1981, le premier gouvernement socialiste, derrière Badinter,
se targuait davoir eu le courage dabolir la peine de mort
en dépit dune opinion populaire encore favorable aux exécutions
capitales. Nous ne le dirons jamais assez, la réalité était
beaucoup moins glorieuse : non seulement la France devait prendre cette
décision pour ne pas être mise à lécart
de lEurope judiciaire, mais de plus les gouvernements successifs
avaient préparé les peines substitutives à la guillotine.
Depuis, on ne tue plus, on laisse mourir lentement.
En 2001, la France se targue de préparer une grande loi pénitentiaire
dont le but déclaré serait de dégager le monde carcéral
de lunivers du non-droit pour linscrire dans un cadre législatif.
Une fois de plus, la France est lun des derniers pays européens
à ne pas sêtre doté dune loi pénitentiaire
et ce retard est avoué dans lavant-projet de la loi en ce
qui concerne un point essentiel pour les prisonniers : le placement
au mitard (« Léchelle des sanctions, conformément
aux pratiques constatées dans la majeure partie des pays européens,
sera considérablement réduite, puisque la peine maximale
de punition en QD passe de quarante-cinq à vingt jours pour les
majeurs »).
Que lEtat français se fasse tirer les oreilles par lEurope,
cest une chose, quil arrive à expliquer aux contribuables
quil faut dépenser de largent pour remettre un peu
dordre et de propreté dans les prisons, cen est une
autre. Comme par hasard, fin 1999, le scandale carcéral éclatait
de façon très médiatisée : le livre du docteur
Vasseur débouchait sur les constitutions des commissions denquête
parlementaires. Les dirigeants, les intellectuels ont fait mine de prendre
conscience de létat du monde pénitentiaire, «
la honte de la République ». Pourtant, il y avait largement
de quoi sen rendre compte en se passant de la lecture de ce navet
voyeuriste : quelques mois auparavant, des associations, des familles
dénonçaient, par exemple, un dysfonctionnement ahurissant
dans la maison darrêt de Beauvais. Son directeur, quand il
ne samusait pas à frapper ou à insulter des prisonniers
souvent étrangers, se délassait en humiliant de façons
diverses son personnel féminin, et ce pendant plusieurs années.
Autre exemple récent quauraient pu retenir les parlementaires,
le CJD de Fleury avait été dénoncé par lensemble
des personnels intervenants qui conseillaient de le fermer purement et
simplement, constatant que maintenir en détention des jeunes dans
ces conditions de fonctionnement était finalement pire que de les
laisser en liberté. Le coup médiatique a fonctionné
: pendant lannée qui a suivi la parution du livre du médecin
chef à la Santé, il ne sest pas passé une semaine
sans quil y ait des reportages télévisés sur
tel ou tel sujet, dans telle ou telle prison, des interviews danciens
taulards, des mises en vedette de personnels pénitentiaires «
progressistes », des analyses de spécialistes médicaux,
psychiatres, sociologues, sur les comportements délinquants
Lopinion populaire alertée, sensibilisée, le Parlement
a pu voter un nouveau budget et annoncer la mise en chantier de la nouvelle
loi pénitentiaire chargée de régler lensemble
des problèmes dénoncés par les bonnes consciences
effarouchées.
Le discours central qui sous-tend cette loi est celle de lentrée
du droit dans le monde carcéral. « Cest au niveau législatif
quil sera rappelé que, même incarcérée,
la personne reste un citoyen seulement privé de sa liberté
daller et venir. Le détenu reste donc titulaire des droits
fondamentaux du citoyen (intégrité physique, liberté
dexpression, santé, formation, maintien des droits sociaux
),
limités par la loi en raison des contraintes inhérentes
à la détention. Cette avancée essentielle permet
de moderniser le mécanisme juridique relatif à la personne
détenue, jusqualors régi par des textes de nature
réglementaire. » La supercherie est double : à
la fois mensongère sur la définition fondamentale du droit,
comme sur les applications concrètes de cette notion toute bourgeoise
dans un univers comme celui de la prison, régi par la contrainte
et la terreur. Le droit nest pas un principe inaliénable
applicable à tous sans distinction, mais un traitement arbitraire
appliqué au cas par cas en fonction du contexte, des circonstances.
Quil ny ait pas de règles, cétait le règlement,
maintenant cest la loi. De surcroît, lélaboration
du projet a été confiée à des spécialistes
qui nont aucune conscience de la réalité de lenfermement
et qui vivent parfaitement séparés de ce qu'ils doivent
étudier, considérant les prisonniers comme des cobayes ou
des numéros.
Ce discours sur le droit vise surtout à maintenir dans les consciences
la confusion entre lidée du droit comme synonyme de justice
et de liberté pour tous et la réalité du droit comme
expression dun système législatif précis dont
lobjet est de pérenniser les rapports sociaux tels que nous
les connaissons, de légitimer toutes les exploitations, de garantir
la suprématie de lEtat. Le droit, cest la loi, et la
loi, cest toujours celle du plus fort. Exemple : on a le droit de
porter plainte contre les flics assassins ou tabasseurs, mais ça
sarrête là, car lEtat couvre les actes des dépositaires
de sa force. De fait, séparer théoriquement lidée
du droit de ses applications concrètes, sociales, économiques,
politiques, permet de transformer dun coup de baguette magique une
logique de conflit en une idée abstraite de bonheur. Cette idée
simpose comme telle : elle sautodéfinit comme
naturelle et intemporelle, comme ahistorique, comme ne pouvant pas être
remise en cause, réécrivant si nécessaire les expériences
qui pourraient laisser planer un doute sur sa validité, uniformisant
dans un vocabulaire réducteur tous les cas concrets qui surgissent
sans arrêt et qui démontrent pourtant linanité
mensongère de cette idéologie totalitaire qui naccepte
pas quon sy oppose : on na pas le droit de mettre
en doute le droit. La prison est un exemple simple, révélateur,
de la non-adéquation du discours des Lumières, humanitaire,
juridique et des réalités conflictuelles quil prétend
résoudre. « Le fait même de la prise violente exercée
sur un individu par lEtat, dont laboutissement est lemprisonnement,
reconditionne une personne humaine en corps esseulé et séparé.
Rien ne saurait abolir la fracture qui se produit avec ce passage dune
situation à une autre : aucun volontarisme humanitaire, aucune
réinjection des droits dans les espaces pénitentiaires ne
parviendront à réduire leffet de cette dégradation
dun statut juridico-politique à une condition dégradée,
celle dune personne devenue un corps simple » (Alain Brossat,
Pour en finir avec les prisons, 2001).
Ce mouvement tentaculaire du droit progresse chaque fois quil rencontre
une faille, à savoir tout ce quon appelle des « zones
de non-droit » : son uvre nest pas dorganiser
ou de socialiser des espaces mais de marquer de son sceau régalien
ces zones : « Zones de non-droit, je vous fais zones de droit !
», et le tour est joué. Le droit, cest du non-droit
légiféré. Exemple évocateur pour ce qui nous
concerne : le prétoire. Cest un espace de non-droit, une
parodie de jugement rendu par des fonctionnaires a priori non habilités
à le faire : pour rendre le tout légitime, il suffisait
de leur attribuer ipso facto les fonctions légales. Et voilà
le maton devenu un véritable juge dont le pouvoir ne peut plus
être contesté puisquil nest plus du domaine de
larbitraire : « La loi nouvelle instituerait une habilitation
au profit du chef du service pénitentiaire ou du premier surveillant
qui seraient chargés des fonctions denquête après
la constatation dune faute disciplinaire. Il ne serait pas prévu
daccorder une valeur probante renforcée au rapport de constatation,
ni aux actes de lenquête, conformément au droit commun
de la preuve. La loi permettrait à lagent chargé de
lenquête de procéder à la retenue de léventuel
objet ayant concouru à la commission des faits. »
Dune manière générale, les quelques réformes
législatives (45/78/81/2000) ont apporté très peu
de véritables améliorations des conditions de détention.
Elles ont surtout servi à moderniser, à adapter la prison
aux nouvelles données technologiques (cartes magnétiques,
vidéosurveillance
), à affiner les formes de pouvoir
afin de les rendre moins visiblement autoritaires, du coup plus difficilement
attaquables, mais toujours plus destructrices pour les prisonniers. Le
projet de loi pénitentiaire ne déroge pas à cette
coutume. Jamais dans le texte la question de la longueur des peines nest
évoquée. Au XIXe siècle, les parlementaires ne craignaient
pas de lier les problèmes de la prison avec ceux de la justice
et ne séparaient pas la question du prononcé des peines
et celle de leur gestion. Si, en 2000, quelques débats ont balbutié
de maigres propos sur la perpétuité, sur lexistence
de peines éliminatrices, sur lutilité de la peine
(LDH, AFC, Christine Boutin, commission justice du PCF, Thierry Lévy
),
il nest déjà plus question de tout ça et personne
parmi eux ne proteste. Ainsi le terme « sens de la peine »
nest pas une remise en cause de lexistence des peines, ni
même de leur longueur, mais juste une manière de chercher
la meilleure gestion possible pour protéger la prison de mouvements
qui pourraient remettre en cause le système carcéral en
le replaçant dans son cadre social et politique.
Finalement cela signifie que la conclusion de tout ce bla-bla médiatique
est la création de 8 600 places dans 35 nouvelles prisons dont
la mise en uvre devrait commencer au plus tard en 2004. Une «
création » qui détruit toujours davantage les liens
entre les prisonniers : déjà en 1986, les prisons dites
13 000, sous prétexte dune plus grande hygiène et
de moins de promiscuité, ouvraient leur gestion au secteur privé,
à la technologie sécuritaire et à des plus petites
unités de détention. Dans les années 2000, lisolement
est à lhonneur dans le cahier des charges des projets. Les
architectes ont dessiné des espaces de plus en plus cloisonnés,
réduisant au minimum les possibilités de contacts entre
prisonniers. Au contraire de labolition des quartiers disolement,
cette forme de torture blanche dénoncée depuis des dizaines
dannées par toutes les luttes de prisonniers, cest
lensemble de la détention qui tend à devenir un QI.
La loi pénitentiaire systématise encore plus cette tendance
en réinstaurant sous dautres termes les prétendument
défunts QHS. Les nouvelles prisons seront divisées en trois
types détablissements pour les condamnés :
« Le niveau 1. Cette catégorie détablissement
pénitentiaire regroupera les centres pour peines aménagées
et quelques-uns des actuels centres régionaux de détention
très ouverts. »
« Le niveau 2. Ces établissements recevront les condamnés
dont le reliquat de peine est supérieur à un an pour assurer
la prise en charge du quotidien dans des activités de formation,
de travail, de sport, de culture et de loisirs. »
« Le niveau 3 comprendra des établissements pour peine dans
lesquels seraient incarcérés les condamnés dont la
personnalité, appréciée selon des critères
objectifs légalement prédéterminés, justifieraient
un niveau de sécurité plus élevé. »
Pour les prévenus la loi maintiendra les maisons darrêt
départementales et prévoira « linstitution de
maisons darrêt régionales qui accueilleront les personnes
pour lesquelles il existe des risques importants pour lordre et
la sécurité des établissements, et ceux dont la personnalité
justifie un suivi particulier ».
Ce placement est décidé par le juge des libertés
et de la détention pour les prévenus, et par le juge dapplication
des peines pour les condamnés. Certains délits conduiront
doffice prévenus comme condamnés dans ces prisons
sécuritaires : terrorisme, trafic de stupéfiants, vol, proxénétisme,
en bande organisée, acte de torture ou de barbarie. La logique
dindividualisation de la peine est à lhonneur puisque
« la décision de classement dans une catégorie à
laquelle se réfère la nouvelle classification des établissements
sera fondée non plus sur le quantum de la peine, mais sur le profil
du condamné objectivement établi à partir de critères
légalement précisés ». Le profil, comme ils
disent, des prisonniers que lon retrouvera dans les prisons de type
3, nous le connaissons : ce sont les mêmes qui peuplent depuis toujours
les quartiers disolement ; ceux qui refusent de se plier à
larbitraire, ceux qui nacceptent pas leur destruction programmée
et qui le font savoir en utilisant tous les moyens possibles, pétitions,
refus de plateaux, textes collectifs, refus des pratiques humiliantes,
refus de remonter de promenade, mutineries, évasions. Cest
le comportement du prisonnier à lintérieur de la prison
qui déterminera ses conditions de détention. Toute marque
de désobéissance même face à un arbitraire
évident sera notifiée dans le dossier pénitentiaire
comme un refus de se plier à la sanction juridique et donc comme
une incapacité de se réinsérer. Ce dossier pénitentiaire
sera examiné à chaque requête que pourra formuler
un prisonnier : toute demande daménagement de peine sera
étudiée dans un cadre « juridique » et donnera
lieu à un nouveau procès qui réexaminera non seulement
les faits qui ont conduit la personne en prison, mais qui observera aussi
son comportement en détention, qui mesurera sa docilité,
les marques de son repentir (acceptation de suivi psychiatrique ou médical,
remboursement des parties civiles), sa capacité à construire
un projet individuel dinsertion ou projet dexécution
de la peine (PEP).
Parenthèse : qui, connaissant le monde du travail, peut penser
que les prisons puissent servir décole professionnelle :
les rares stages proposés sont sans rapport avec la réalité
économique, ou obsolètes (les ordinateurs qui sont utilisés
dans les cours ont limmense privilège dêtre des
objets de collection !). Quand on sait combien il est difficile de trouver
du boulot à lextérieur, on peut imaginer ce que cela
peut représenter pour une personne coupée du monde du travail
pendant de plus en plus longtemps, souvent isolée, nayant
plus aucun lien avec le monde extérieur, ceux-ci nayant pu
résister au temps, aux transferts incessants, à léloignement.
Lindividualisation de la peine, le PEP, lisolement sont autant
defforts pour faire accepter au prisonnier lidée quil
est le seul responsable de sa faute. Ainsi les crimes sont toujours des
crimes individuels déconnectés de toutes causes sociales
et collectives, et faisant même oublier lexistence des crimes
collectifs, ceux que les Etats peuvent perpétrer sans rencontrer
aucune résistance. A lextérieur toute expression politique,
hors du cadre des partis ou des syndicats, devient pour le pouvoir un
acte délictueux, voire « terroriste » : le simple fait
de discuter à plusieurs dans un hall dimmeuble devient pénalement
répréhensible, manifester sans autorisation est un acte
dangereux mettant en péril la sûreté de lEtat.
A lintérieur, le délinquant franchissant lenceinte
de la prison devient un malade ou un fou quil faut soigner ou éliminer
selon son degré de récupérabilité, selon quil
accepte de se résigner ou non
Le seul souci du ministère de la Justice et de lAdministration
pénitentiaire est de réduire au silence et à limpuissance
une population carcérale de plus en plus promise à la mort
lente.
En revanche, la loi pénitentiaire accorde une large place à
la revalorisation du statut et de la fonction du personnel pénitentiaire.
Pour asseoir son projet sécuritaire, lEtat doit se garantir
ladhésion de tous ses chiens de garde : comme à laccoutumée,
on leur accorde quelques avancées statutaires (retraite à
55 ans, augmentations de salaires, etc.), et on leur concède encore
plus de pouvoir, histoire de légitimer un peu plus larbitraire
dont ils sont coutumiers. Ils sont légalement protégés
contre toute hostilité de la part de prisonniers quils pourront
eux-mêmes juger comme dangereuse :
« Les menaces qui constituent une faute du 2e degré lorsquelles
visent un membre du personnel de létablissement deviennent
des fautes du 1er degré et encourent jusquà vingt
jours de mitard. »
« Le refus dobtempérer aux injonctions des membres
du personnel, qui est actuellement une faute du 3e degré, constituera
une faute du 2e degré afin de mieux assurer le pouvoir dinjonction
des agents de lAP et encourra jusquà dix jours de mitard. »
Face à cette force brute mais légale, le détenu aura
des droits
qui, dans le texte lui-même, se limitent pratiquement
à celui de connaître ses droits :
« Un droit dinformation et de réclamation des détenus
sera reconnu dans la loi qui énoncera que lors de son incarcération
chaque détenu est informé des dispositions relatives à
son régime de détention, à ses droits et obligations
et aux recours et requêtes quil peut formuler. » Quiconque
a fait un passage dans les geôles républicaines sait que
le moindre recours demande des délais inimaginables, des kilos
de paperasses, de largent, ne serait-ce que pour envoyer des lettres
recommandées, et enfin nécessite que lon sache écrire
en français, ce qui est loin dêtre évident pour
la majorité des prisonniers. Et quand bien même, lEtat
et ses sbires finissent, sauf exception, par avoir raison, cest
pour cela quils nhésitent pas à « taper
avant de discuter ». Selon eux, ce qui différencierait une
démocratie dune dictature, cest la possibilité
de pouvoir formuler un recours : quil aboutisse ou pas, cest
une autre question. « Nous navons rien à attendre dune
justice qui, même lorsquelle est mise en contradiction avec
ses propres lois, ne se gêne pas pour réprimer ceux et celles
qui combattent lordre établi. Quon prenne bien garde
de ne pas attribuer à la justice une place quelle noccupe
pas, elle est au service de lEtat et elle fera ce que lEtat
lui dit de faire. Or cet Etat ne cède pas face à des arguments
juridiques. Sil le faut, il préfère tout simplement
changer la loi. » (Kyou.)
En loccurrence le projet de loi naura pas besoin de modifier
quoi que ce soit, car à chaque fois quil examine un cas précis
il apporte les restrictions suffisantes pour laisser libre place à
un flou juridique qui donne toute légalité à larbitraire.
Sans passer en revue tous les points particuliers, voici quelques exemples
qui se passent de commentaires :
« Les conditions de détention ne doivent pas aggraver
les souffrances causées par lemprisonnement sauf si la ségrégation
ou le maintien de la discipline le justifie. »
Concernant les pratiques religieuses, on accepte « la liberté
de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement
en public ou en privé par le culte ou lenseignement, les
pratiques et laccomplissement de rites, toutefois elle peut faire
lobjet de restrictions nécessaires à la sécurité
publique, à la protection de lordre, de la santé,
ou de la morale publique, ou à la protection des droits ou libertés
dautrui. »
Idem pour le travail, « sagissant des minima sociaux
le projet de loi pourrait prévoir un aménagement plus large
du droit au maintien du RMI pour les personnes détenues, sous réserve
de laboutissement de la concertation avec le ministère de
lEmploi et de la Solidarité ».
La palme revient à la codification du traitement des «
cas relevant de la psychiatrie » : « Il reste à approfondir
le dispositif susceptible dêtre mis en place à légard
des détenus présentant des troubles mentaux. »
Enfin, cest sur la question des « moyens de contrainte
» que le texte ne laisse aucun doute sur les pouvoirs laissés
à la libre appréciation des matons : « Cest
une question quil est difficile denserrer dans une disposition
législative. En pratique, en cas dévasion, le chef
descorte est toujours considéré comme responsable
pour navoir pas pu empêcher et su évaluer le risque
dévasion. Pour éviter dêtre ultérieurement
recherché en responsabilité, tous les chefs descorte
ont une tendance naturelle à considérer a priori toute personne
dont ils ont la garde comme susceptible de sévader, et donc
de lui passer les menottes. » Entre autres, les prisonniers pourront
encore être entravés lors dopérations chirurgicales,
selon le bon vouloir du gradé responsable
Lensemble des dispositions qui jalonnent ce projet de loi énonce
sans dissimulation la nature du droit : la liberté, cest
la sécurité et la sécurité cest la restriction
des libertés, donc la liberté cest la restriction
des libertés. Ce coup peut fonctionner à la rigueur dehors,
chacun pouvant croire que la liberté cest de défendre
son petit quelque chose ; mais dans un univers de privation et danéantissement,
le bluff a du mal à passer : en prison, la liberté cest
de sortir, le droit et la sécurité cest de maintenir
enfermé à tout prix. Selon les circonstances et les individus,
ladministration se réserve le droit de contrôler les
correspondances, deffectuer des fouilles de cellules quand bon leur
chante, de pratiquer les fouilles intégrales alors que celles-ci
sont communément dénoncées comme inhumaines et humiliantes.
Quand les prisonniers parlent de droits, ils parlent de ce qui réduirait
concrètement et efficacement leur mise à lécart,
leur anéantissement, première étape qui permettrait
au moins denvisager la sanction comme autre chose quune vengeance
sociale éliminatrice, sans parler de labolition pure et simple
dun système qui choisit lenfermement comme unique réponse
aux problèmes de société quil engendre lui-même.
Quand les prisonniers parlent de droit, ils utilisent ce mot dans un sens
contraire à celui donné par les textes de loi, ils parlent
de plus de libertés. Et de fait, le projet de loi ne propose aucun
début de prise en compte des mots dordre énoncés
depuis les années 75 par les luttes de prisonniers, à savoir
la fermeture des quartiers disolement, la suppression du mitard
et du prétoire, la liberté dassociation, labolition
des longues peines et des peines de sûreté, la libération
des prisonniers malades, le rapprochement familial, politique et affinitaire,
lapplication des aménagements de peine (libération
conditionnelle, permissions
).
Le projet entérine la logique du tout-sécuritaire : en cela,
il est conforme à ce qui se dessine dans nos sociétés,
à savoir adapter le monde « libre » sur le modèle
de la prison et non le contraire, le but recherché nest pas
de rendre la prison plus libre mais la société plus carcérale
: « Le rapport citoyen à la puissance publique nest
pas différent dans la société carcérale et
dans la société libre. La personne détenue, quel
que soit le motif de sa détention doit se soumettre à la
loi et, à cette fin, à lautorité des agents
de surveillance de lAP, comme le citoyen doit obéissance
à lagent de la force publique qui lui fait injonction. »
La prison emprunte davantage aux « normes de vie » de la société
civile, jusquà mettre en avant la dernière trouvaille
de « détenu citoyen ». Sous couvert de considérations
humanitaires, les incarcérateurs entendent, en aménageant
les conditions de survie des incarcérés, raffiner les méthodes
de contrôle dans les établissements quils gèrent.
De nos jours, on ne peut plus lignorer, le silence des pantoufles
est un plus sûr garant du maintien de lordre que le bruit
des bottes
Si la prison peut parodier de plus en plus la société,
cest que, dans un inquiétant mouvement convergent, la société,
dans ses espaces publics comme dans ses lieux privés, ressemble
souvent à une vaste prison : magasins sous haute surveillance,
logements de type cellulaire, vidéosurveillance des rues, patrouilles
de sbires de tout acabit quadrillant les quartiers, espionnage sournois
ou affiché des « ressources humaines » par les gestionnaires
et plus généralement cette déshumanisation des conditions
dexistence qui a tant appris en perfectionnant les régimes
carcéraux. Linvention de la justice, de la police et de la
prison modernes au siècle des « Lumières » navait
pas pour seul motif la rationalisation du traitement des déviances
sociales. Leurs concepteurs, avec Bentham, entendaient désigner
un modèle despace-temps propre à la dictature démocratique
de léconomie tout en fournissant à lEtat une
arme puissante contre les réfractaires à ce paradis marchand
: le droit, cette médiation entre riches et pauvres qui pérennise
linégalité sociale. Il ne sagissait pas tant
pour les puissants de se faire redouter violemment que détablir
les structures dintégration des pauvres dans ce monde et
dessayer de sassurer leur soumission. La nouvelle mode du
citoyennisme tente encore une fois de faire croire que lon peut
améliorer un monde capitaliste, que la responsabilité dun
partage équitable appartient à tout un chacun. Comme si
les exclus, les précaires avaient quelque chose à espérer
dun système qui les enferme de plus en plus. Le triomphe
de « lEtat de droit » se résume tout entier dans
les chiffres de laugmentation vertigineuse du nombre de prisonniers
en Occident, léradication du paupérisme par une «
purification sociale » (à connotation fortement ethnique)
et dans le raffinement croissant des techniques demprisonnement.
Le projet de loi pénitentiaire sinscrit parfaitement dans
ce mouvement qui véhicule lidée que tout ce qui ne
se conforme pas aux règles de la société capitaliste
est tout juste bon à soigner ou à exclure : à la
manière de Giuliani, le maire de New York, promoteur de la «
tolérance zéro », le maire adjoint socialiste de Paris,
chargé de la sécurité, peut déclarer sans
provoquer aucun remous : « On sait que la délinquance na
aucune nature sociale et quelle relève de la responsabilité
individuelle de chacun. »
Sans commentaire.
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