SOMMAIRE
ENVOLÉE n°3 -octobre-novembre 2001-
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–COURRIER DE TONY. Libérable en 2034…

– EDITO n°3.

– EXTRAIT DE « L’UNIQUE ET SA PROPRIÉTÉ », de Max Stirner.

– POUR LE DROIT D’EXPRESSION DES DÉTENUS, texte d’Audrey.

– DROIT D’EXPRESSION QU’IL DISENT…+ FAC-SIMILÉ DU DÉPOT LÉGAL.

– À FRESNES RIEN DE NOUVEAU. Déclaration de Michel Ghellam

– CHÈRE FRANCE, lettre ouverte d’Audrey.

DOSSIER LONGUE-PEINE.
– TEXTE INTÉGRAL DU COMMUNIQUÉ CLANDESTIN DE DÉTENUS LONGUE-PEINE DE LA CENTRALE D’ARLES.
– ON ATTEND TOUJOURS UNE AUBE. Texte de Luigi.
– LA PEINE DE MORT EXISTE TOUJOURS ! Texte de Philippe.
- LA PEINE DE MORT EST TOUJOURS VIVANTE ! Texte de Fredéric.
–COURRIER D'ALI:  « Longues-peines ; à quel moment s’aperçoit-on qu’on est un longue-peine…
 -MIS À MORT. Poème de Lobo
– COMMÉMORATION DE L’ABOLITION DE LA PEINE DE MORT Commémorations perturbées à Paris…
– LE TEMPS C’EST COOL. Poème d’Ali.
-Commémorations perturbées à Montpellier…
-APPEL POUR UNE JOURNÉE DE RÉSISTANCE… du collectif des prisonniers de la centrale d’Arles.

– QUELLE GUERRE ?

– LA VILLE FUME. Poème de Désiré.

DE LA RÉPETITION À LA RÉCIDIVE.
– Lettre de Jacques
– Lettre de Boulou

– DU DÉTENU CITOYEN AU CITOYEN DÉTENU.
-LE PROJET DE LOI PÉNITENCIAIRE…
– LETTRE OUVERTE AU DIRECTEUR DE FLEURY.du collectif des détenus du bâtiment D5…
– LETTRE D’YVES.

– HAKAR, SUITE… ET FIN ?

– L’HEURE DE LA VENGEANCE A SONNÉ… Poème d’Audrey dédicacé à Raphaël Hamuda et à tous les suicidés…

TURQUIE :
– L’ETAT ASSASSINE LES PRISONNIERS EN LUTTE.
– TÉMOIGNAGES d’une prisonnière et de quatre ex-prisonniers militants du tkp (ML).
– CHRONOLOGIE NON EXHAUSTIVE DES LUTTES AUTOUR DES PRISONS EN TURQUIE.

– PRÉSOMPTION D’INNOCENCE = ILLUSION. Texte de Sonia.

 DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE. Texte de Jean-Marie.« À écouter les détenus d’ici, le problème n° 1 rencontré […] est l’absence de libération conditionnelle.

– LOFT FLEURY. Lettre d’Armand. "En ce qui concerne la présomption d’innocence, elle n’est pas du tout appliquée, à part pour les voyoucrates de l’Elysée…

– LE GÉNIE DU PLACARD Texte de Francine.

– PIRATAGE. « Un prisonnier du CD de Toul a piraté la ligne téléphonique de l’établissement et totalisé ainsi une facture de près de 4 000 francs… »

– MOULINS-YSEURE, MAISON CENTRALE « HYPERSÉCURITAIRE ». Courrier de Régis Schleicher.

– LES MATONS BOIVENT… LES PRISONNIERS TRINQUENT, QUI DÉGUEULE ? « Soûlographie de la matonnerie » pendant une nuit de garde à la maison centrale d’Arles.

– ÉVASION EN SUISSE. « Quatre détenus se sont évadés lundi 6 août, vers 3 h du matin… »

-COLLECTIF ANTI-EXPULTION.
– NI PRISONS NI RETENTION NI EXPULSIONS.
– NON A LA CONSTRUCTION D’UN CENTRE DE RETENTION A PALAISEAU.
– APPEL A REUNION.

– JAMAIS DEUX SANS TROIS.
« Petit bagnard sanguinolent, le cœur d’Alain Bendjelloul a cessé de battre sa révolution dans sa cage d’os le 30/ 09/ 2001 à la centrale de Lannemezan… »

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Turquie (suite)

Début juillet 2001, le gouvernement turc a relâché environ deux cents prisonniers en jeûne à mort, leur état de santé nécessitait des soins médicaux importants, certains d’entre eux ont été brûlés à la suite de l’opération du 19 décembre.

 

Ce premier témoignage provient d’une prisonnière qui était en jeûne à mort pendant plus de 180 jours.
Elle a été relâchée en juillet et a cessé depuis sa grève.


«Je pense qu’il est important de parler de l’opération du 19 décembre, de dénoncer un gouvernement qui se permet d’agir de cette manière.
Le 19 décembre, entre 4 h et 4 h 30 du matin, nous avons été réveillées par des coups de feu. Les gardiens avaient été évacués. Il y avait des policiers partout et ils braquaient leurs armes sur nous. Il y avait également de nombreux soldats qui sont arrivés avec beaucoup de matériel. Ils ont percé des trous dans les murs et ont jeté des grenades lacrymogènes en criant qu’ils étaient venus pour sauver les grévistes. Les doses de gaz étaient beaucoup trop fortes, on étouffait.
J’étais avec des détenues qui avaient été torturées et d’autres qui, ayant fait la grève de 1996, en avaient gardé de graves séquelles. Malgré cette situation les policiers et les militaires n’ont pas hésité à jeter des grenades (de gaz lacrymogène et de gaz inervant) jusqu’à midi. Après nous avoir gazées, ils ont mis le feu à toutes les issues dans le but de nous pousser vers la cour intérieure. Nous étions coincées et eux nous tiraient dessus, on étouffait. Des détenues criaient qu’elles étaient en train de brûler. Petite annecdote, lorsqu’une pièce en préfabriqué a pris feu, les pompiers sont intervenus tout de suite, mais juste pour éteindre cette pièce.
On est restées trois ou quatre heures dans cette cours intérieure, c’était en plein hiver et ils nous aspergeaient avec de l’eau. Certaines détenues sont mortes brûlées vives mais aucune femme ne s’est immolée dans la prison où j’étais (Gazi Osman Pasa).
Parmi les blessées, des grandes brûlées ont été transportées à l’hôpital, c’était l’armée qui faisait le tri. Les soldats étaient lourdement armés, ils nous ont maltraitées (coups et matraquages). Nous n’avions jamais pensé auparavant que l’État aurait pu se permettre d’agir ainsi. Nous savions que c’était un État fasciste mais on imaginait pas qu’il pouvait se montrer capable de ça.
Avant l’opération du 19 décembre, je n’étais pas favorable au « jeûne jusqu’à la mort », je pensais qu’il y avait d’autres possibilités d’action pour combattre les prisons de type F. Néanmoins il m’était arrivé de participer de temps en temps au mouvement de grève de la faim. Après l’opération, je ne voyais plus d’autres moyens, j’ai donc choisi le « jeûne jusqu’à la mort » même si je pensais que cela était au-dessus de mes forces. Je ne conseillerai à personne ce type d’action car je me voyais mourir à petit feu.
Quand je suis sortie, il y a deux mois, je ne pouvais plus marcher. Maintenant, j’arrive un peu mieux à me déplacer, je suis plus autonome grâce aux soins que j’ai reçus en sortant. Je récupère mais j’ai des séquelles : des problèmes de concentration, de mémoire, de parole. Quand j’ai été libérée, j’ai arrêté la grève car je n’estimais pas justifié de la continuer de l’extérieur. Maintenant, je suis en liberté provisoire pour six mois, je ne sais pas ce que le gouvernement compte faire mais pour la santé des prisonniers c’est inquiétant. Le gouvernement nous a libérés pour deux raisons : d’abord il voulait affaiblir notre mouvement, ensuite il ne voulait pas prendre en charge le coût des soins.
Au moment de l’opération du 19 décembre les prisons de type F n’étaient pas encore prêtes pour les femmes, mais nous avons été tout de même transférées dans une autre prison avec des cellules individuelles (une ou deux personnes). Nous n’avions pas le droit à la radio, aux journaux dits « de gauche ». Le courrier était contrôlé : si on écrivait une lettre reflétant nos idées, cela était considéré comme une faute diciplinaire. Nous n’avions droit qu’à une visite d’une demi-heure par semaine et seulement pour la famille proche. En ce qui concerne les parloirs avec la famille éloignée, il faut un certificat de parenté mais personne ne connaît les démarches pour l’obtenir.
Nous sommes opposés à ces nouvelles prisons. La société turque n’est pas individualiste et donc le système européen n’est pas possible car on sait que ce système est fait pour briser les gens.
Le gouvernement nous a fait des propositions : si vous acceptez d’entrer dans les nouvelles prisons, on vous donnera des avantages. Pour accéder a ces avantages il faut se repentir (c’est la loi dite « de traitement »). Si ce gouvernement était réellement « démocratique » alors pourquoi m’interdirait-il à moi, opposante, d’avoir le droit de parler, d’écrire. Le sens du mot «traitement» n’est-il pas d’ « aller mieux », de « soigner » ?. Il faudrait me faire subir un «traitement» parce que j’ai une identité diverse, parce que j’ai mes idées, que je pense différemment? L’idée de vouloir me «soigner» est étrange. Je ne vois pas ce que l’on peut traiter chez moi.
Comme je vous le disais, le choix du « jeûne à mort» est un choix difficile. Nous voulions réveiller la conscience de l’État mais nous avons échoué, en revanche, nous avons suscité un soutien extérieur important.
Maintenant, je suis en liberté provisoire, j’essaie de me soigner mais ils peuvent me remettre en prison si ils veulent. On continue à vouloir faire quelque chose mais notre marge de manœuvre est limitée. Si je retourne en prison, je ne sais pas si je reprendrai la grève. Les conditions à l’intérieur n’ont pas changé...»

Ce deuxième témoignage provient de Sabri, Aydin, Telkin et Murat,
quatre ex-prisonniers militants du TKP(ML) qui continuent le jeûne à l’extérieur.


J’étais à la prison d’Ümraniye (Istanbul) lors de l’opération du 19 décembre. Vers 4 h/4 h 30 du matin, la guerre a commencé : ils sont arrivés avec des machines de chantier pour casser les murs, ils ont jeté des bombes, tout a été organisé pour provoquer un massacre et non pas pour « sauver des vies ». On a été bombardés mais on ne savait pas par quoi. On voulait se protéger alors on a dressé des barricades et on s’est enfuis vers d’autres grandes cellules. Ils ont ouvert le feu et cinq personnes ont été blessées par balles. Heureusement, on avait un infirmier avec nous qui a pu nous apporter des soins minimum (du sérum), sinon on aurait été tous massacrés. On a été harcelés pendant les quatre jours qu’a duré l’assaut. Au bout de ces quatre jours nous étions dans un très mauvais état. Pour nous faire sortir, ils ont fait une «haie d’honneur» et on devait traverser les rangs des militaires qui nous matraquaient.
Dans les fourgons les tortures ont cessé. Ils nous ont transférés vers les prisons de type F. Une fois arrivés là-bas, ils nous ont pris individuellement et nous ont matraqués. Il y a eu des viols et ils nous ont jetés nus en cellule pendant une semaine. La première semaine, je n’ai pas eu de visite, puis ma famille a pu m’apporter des vêtements. Toutes les personnes ont été transférées dans ces conditions.
Maintenant, les parloirs se font avec hygiaphone, tout est écouté : quand on parle de la grève la ligne est interrompue, donc aucune possibilité de parler librement. Nous devons payer la facture d’électricité de notre cellule. Au niveau général, les besoins de santé et de nourriture ne sont pas remplis. Avant, comme l’État ne nous procurait rien, les familles avaient le droit d’apporter de la nourriture, des livres, des vêtements et on partageait tout. Maintenant, l’État nous interdit de faire rentrer quoi que ce soit. »

Une mère de détenu intervient : « On apporte des livres, des vêtements qu’ils sélectionnent, tout est sous contrôle. J’ai voulu donner des chaussettes et une serviette à mon fils, ils ont refusé en disant qu’il en avait déjà par l’administration. Ce sont des serpillières leurs serviettes ! Il n’y a plus de possibilité de donner quelque chose. J’ai vu des détenus pieds nus à l’audience. Quand on les emmène au procès, on ne peut plus donner à manger à nos enfants. Les nouvelles prisons sont très loin. Le mieux est de louer une voiture à plusieurs mais si cela n’est pas possible, je dois me lever à trois heures du matin et payer minimum 30 millions [le salaire d’un ouvrier est entre 150 et 200 millions de livres turques] le transport pour voir mon fils une demi-heure.»

Les avocats ont aussi des difficultés pour se rendre dans ces nouvelles prisons. Il y a aussi des changement dans la procédure : maintenant les avocats doivent remettre leur plaidoirie une semaine avant le procès. Les détenus ne sont plus placés à côté de leurs défenseurs durant le procès et donc ne peuvent plus communiquer entre eux.
Les démocrates bourgeois en Europe veulent qu’on s’adapte à leur système, ils nous mettent au pied du mur. La situation ici est différente : on ne sort pas en promenade, on est seul en cellule, je suis resté six mois seul en cellule, je ne voyais plus les autres, mes visites étaient restreintes. Il y a un terrain de sport mais il n’est pas accessible. Si tu acceptes la loi du « traitement », si tu deviens un repenti, tu peux accéder aux promenades, au terrain de sport, c’est-à-dire avoir une vie sociale. Tu dois te comporter comme à l’armée et faire le salut militaire. Je suis un être humain, j’ai le droit de vivre. Les prisons de type F sont faites pour enlever son humanité à un être humain et pour le traiter comme un animal.
L’État a décidé d’intervenir dans les prisons pour dissoudre le mouvement, de casser la résistance où elle est. La technique utilisée par l’État est de rassembler les gens et de les massacrer comme il l’a fait dans la prison d’Urcan : douze personnes ont été rassemblées dans le hammam de la prison et c’est là qu’elles ont été massacrées. Avec l’opération du 19 décembre, l’État voulait reprendre le contrôle sur les prisons. Anéantir la lutte et produire des êtres qui n’ont ni histoire ni passé, parce qu’un peuple qui connaît son passé peut construire son futur, et l’État en a bien conscience. L’histoire des prisons en Turquie est marquée par des massacres perpétrés par l’État. Depuis 1994, des dizaines de personnes sont mortes dans les prisons. Nous nous opposons à cette politique étatique, aux prisons de type F, à l’agression contre nous qui est une agression contre toute la société. D’un point de vue architectural, les nouvelles prisons sont mieux, mais ce n’est pas cet aspect qui intéresse le gouvernement turc. D’abord l’État veut qu’on s’adapte, veut changer notre manière de penser, il veut nous soumettre, nous détruire. Avant, dans nos cellules-dortoirs, on avait la possibilité de s’organiser pour lutter contre ça, c’est pour cette raison que nous tenons à rester ensemble.
Nous avons des revendications et nous voulons que l’État les accepte. C’est pour toutes ces raisons que nous avons choisi le jeûne jusqu’à la mort. Et même en liberté provisoire nous refusons de l’arrêter, car l’État n’a pas réussi à briser notre mouvement : des centaines de détenus sont toujours en grève, les familles nous soutiennent toujours… »