Pour les modernes docteurs Knock, les malades potentiels sont innombrables et le mouvement de la faucheuse est réglé par la loterie génétique. Mais le hasard a bon dos et les dés sont pipés. Comme les facteurs pathogènes et mutagènes dans “la société du risque” se multiplient, nous avons toutes les chances de devenir malades pour de bon. Cohen le sait et annonce clairement la couleur : pas de remèdes à espérer avant “cinquante voire cent ans” pour l’immense majorité des maladies. La médecine prédictive n’a rien à nous proposer de neuf en termes de prévention. Nous avons affaire ici à du chantage en règle. Dans l’attente de jours meilleurs problématiques, nous sommes conviés à vivre avec l’épée de Damoclès de la “prédisposition” au-dessus de la tête et la peur au ventre. La peur de la maladie alimente la demande croissante de sécurité et de contrôle de la part des populations, contrôle d’esprit policier évidemment car, comme des terroristes réels ou supposés, les gènes pathogènes sont aussi omniprésents qu’in visibles. Au besoin, les généticiens inventent des gènes ad hoc, comme celui de l’obésité, de l’homosexualité, du suicide, du crime, ou du “goût pour la nouveauté”… La peur est le fond de commerce des mécanos de choc du Généthon. Ils nous invitent à nous faire tester pour déterminer ce qui est hors normes dans nos corps et dans nos esprits, et quelles précautions nous devons prendre au jour le jour en fonction de nos “prédispositions”, comme citoyens responsables de notre “capital santé” face à la société, grâce au “conseil génétique”. C’est bien la forme moderne du bunker et de la camisole de force que propose de fabriquer ladite médecine prédictive. Nous sommes donc invités à nous placer en permanence sous l’œil soupçonneux des généticiens, police en blouse blanche chargée de détecter nos “déviances”, en fonction du génome modèle qu’ils imaginent, et de signaler à l’Etat ceux qui s’écarteraient de la voie du “médicalement correct”. Déjà, le décryptage du génome a des applications considérables qui dépassen t le cadre de la santé. Grâce à lui, la Cour suprême de Californie a tranché en faveur de l’accès aux fichiers médicaux y compris génétiques par les compagnies d’assurances de façon à rayer de leurs listes des milliers de personnes “à risques”, jugées peu rentables par les fonds de pensions**. Manifestement, la médecine prédictive ne soigne que les individus en bonne santé ! Pour le reste, elle collabore avec la police : le fichage génétique devient obligatoire pour les prisonniers, et bientôt pour les simples suspects, comme le souhaite Sarkozy. Et déjà pour des populations entières comme en Islande***. La main qui soigne est aussi celle qui affame, bâillonne, emprisonne et tue.
L’Etat moderne a toujours fait appel à la médecine pour justifier la coercition qu’il exerce. Avec Pasteur, le contrôle social prit la forme socialement acceptable du contrôle sanitaire des épidémies. Les techniques pasteuriennes, de la vaccination obligatoire à la mise en quarantaine, appliquées en premier lieu au cheptel humain. Pour adapter les hommes aux cloaques urbains créés par la révolution industrielle, la santé est devenue affaire d’Etat. Les biotechnologies à usage médical poussent encore plus loin la “gestion” des hommes comme du bétail tout juste bon à être domestiqué puisque de l’aveu même de Daniel Cohen, c’est “notre cerveau qui est en dessous de l’évolution de la société”. Leur programme reprend celui de la génétique agricole, qui se propose avec les OGM d’adapter la plante à la surenchère des pesticides en intégrant dans son génome la résistance aux pesticides. Il s’agit à présent d’adapter les individus à l’environnement social devenu lui aussi invivable, quitte à manipuler leur génome. De rrière l’écran de fumée de la philanthropie, leur objectif apparaît clairement : c’est ce qu’il reste de capacité de résistance à la domination qu’elles veulent briser.
L’administration industrielle de la mort était déjà le privilège de la domination. Grâce au pouvoir que lui procure l’accession de la génétique au statut de technoscience, c’est désormais dans l’administration industrielle de la vie qu’elle fait d’énormes progrès, sous les dehors aimables du progrès médical et, ce, dès avant la naissance (FIV, DPI…). La dépossession des individus en est encore aggravée : ils deviennent encore plus étrangers à eux-mêmes.
La connaissance qu’ils peuvent acquérir d’eux-mêmes est plus que jamais traitée comme qualité négligeable face à la puissance prétendue sans limites des biotechnologies auxquelles ils devraient s’abandonner pour leur propre survie. Le monde qu’elles participent à mettre en place n’est pas celui d’individus et de communautés libres, capables d’affronter de façon aussi consciente et autonome que possible ce qu’il y a de douloureux dans l’existence humaine, à commencer par la maladie et la mort. C’est celui des tartuffes scientifiques qui annoncent sans rire le règne de la santé parfaite pour la fin du siècle… au milieu des décombres.
Cette guerre contre la vie et la liberté, comme toutes les guerres de notre époque, est menée au nom de l’humanitaire, par le biais de spectacles organisés autour de maladies précises, comme les myopathies. Le Téléthon donne bonne conscience aux citoyens modèles, pétris de bonnes intentions moralisatrices. Mais qui trouvent plus confortable aujourd’hui de croire que les maladies sont dans les gènes, comme ils ont cru hier qu’elles étaient dans les microbes, de verser quelques larmes de crocodile et de mettre la main au portefeuille sans plus se poser de questions.
Quant à nous, nous disons sans détour que c’est dans la confrontation avec une société qui créé et met en spectacle les délires de pouvoir des nouveaux docteurs Frankenstein que la question de la maladie, comme toutes les autres questions qui nous tourmentent, peut être réellement posée. C’est pourquoi nous sommes aux côtés de ceux qui, comme René Riesel, la combattent, par la plume et par d’autres moyens, sans hésiter à revendiquer les sabotages d’OGM, quitte à aller en prison.
Ce combat ne mène jamais au prix Nobel, mais parfois dans les geôles de la République. C’est pourtant le seul qui vaille la peine d’être tenté.
Quelques ennemis du meilleur des mondes
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Paris, décembre 2002