LE CONSENSUS

"L'ENVOLEE"

Si pendant les quelques mois de l’hiver 2000, au moment où les questions carcérales et judiciaires étaient à la mode, nous avions été dupes ou intéressés, nous aurions pu trouver une place dans la grande famille des associations qui occupent médiatiquement ou institutionnellement le terrain des prisons. Dupes, soit d’imaginer que l’Etat concède quelques miettes de légitimité ou quelques maigres subventions sans attendre en échange une allégeance sous peine de se voir supprimer ces avantages. Dupes d’imaginer que l’Etat pouvait ignorer la réalité de ses prisons et avait besoin d’observateurs, de conseillers pour engager des réformes : la publicité faite autour du livre de Vasseur était conçue et n’aura servi qu’à faire passer l’énorme budget de la construction des nouvelles prisons prévue depuis plusieurs années. Intéressés, si comme beaucoup d’autres collectifs nous avions accepté de cogérer avec l’Etat, sous couvert de réalisme pragmatique, en œuvrant pour une hypothétique humanisation des prisons, alors que le véritable pragmatisme montre clairement que depuis 20 ans derrière les murs lisses et propres, on emmure des condamnés à des peines de plus en plus longues. Quand l’hygiène est synonyme d’isolement destructeur systématisé, on ne peut pas parler de « progrès ».
A l’époque, la presse nationale soulignait avec éloge la naissance du journal L’Envolée. Nous étions conviés à des colloques de sociologues en quête de peines alternatives et à des réunions d’avocats se penchant sur le sens de la peine. Les sourires mondains auront été de courte durée, nos déplacements étaient pour nous (et sont toujours) des occasions de dire haut et fort ce que nous pensons, que cela plaise ou non. Ces beaux parleurs professionnels ne parviennent pas à nous faire oublier la réalité des choses ; monsieur Badinter a beau jouer les Victor Hugo, nous savons qu’il n’a pas aboli la peine de mort et qu’il a transformé la guillotine en agonie lente et administrative. La commission Justice du PCF peut s’indigner de la longueur des peines tout en collaborant au gouvernement qui les a prônées. Durant cette période, nous étions à leurs yeux les utopistes de service dont la critique radicale de l’enfermement pouvait apporter une note pittoresque à leurs débats insipides. Assez rapidement, nous sommes devenus des gêneurs à éviter. A présent nous sommes des extrémistes dangereux, proches de ce qu’ils appellent les terroristes qu’il ne s’agit plus seulement d’ignorer mais de supprimer. Ce qui n’est pas assimilable par l’Etat et ses partenaires est à rejeter, à criminaliser.
Pourtant nos propos n’ont pas changé, nos activités non plus. Notre volonté est toujours de rester indépendants de quelque autorité que ce soit, de comprendre et de construire des rapports de force avec les premiers concernés, c’est à dire les prisonniers et leurs proches et autres gibiers de potence, et de placer la prison dans la critique plus générale de la société qui la génère. Cette volonté exprime un refus du consensus ambiant qui au mieux prône l’amélioration des conditions de détention et qui voit comme solution, en accord avec l’Etat, la construction de nouvelles prisons.

Ce que nous voyons dans le domaine précis de la prison se manifeste dans l’expression de toutes les critiques sociales. Ce ne sont pas les exemples qui manquent…