Dans ce monde où les « habitants des quartiers » (avant on aurait dit « les prolétaires parqués dans les cités dortoirs ») n’ont comme perspective que la surexploitation dans des boulots précaires et sous-payés, la banalisation du racisme institutionnel, le matraquage publicitaire vantant la surconsommation, on aurait tort de s’offusquer du fait qu’une partie d’entre eux tentent d’échapper à la misérable survie par la mise en place d’une économie souterraine faite d’illégalité et de trafics en tous genres. Pourtant l’État, avec ses flics, son armée, ses médias, ses juges et ses « citoyens » (j’allais écrire les « bons citoyens », mais c’est un pléonasme, le terme citoyens ne désigne que les « bons ») proclament qu’aujourd’hui l’heure est venue de mettre hors d’état de nuire ces « monstres » qu’ils ont eux-mêmes créés, la racaille. Pour ce faire ils mettent en place un arsenal ultra-répressif qui n’a pas de précédent, même le gouvernement de Vichy ne possédait pas de tels dispositifs de contrôle et de coercition. Cela n’émeut qu’à peine nos braves gens de gauche, il est vrai qu’ils sont habitués à ce que l’assassinat par la police d’un prolétaire dans une cité-ghetto ne fasse, au mieux qu’un entrefilet dans leur quotidien favori. Étant persuadés que les révoltes de banlieue n’ont pas de causes discernables mais seraient le reflet d’un manque de civisme dû à un phénomène de mode ou à une mauvaise influence de la télévision, ils ne voient pas d’inconvénient à ce qu’un peu d’ordre soit remis là-dedans. Critiquant mollement tel ou tel aspect des mesures adoptées (sur la prostitution, les raves, etc.), ils ne voient pas que c’est une véritable machine de guerre qui se met en place. Machine de guerre qui va transformer durablement et en profondeur les fondements de l’organisation sociale, en supprimant les quelques garanties concédées au justiciable.
Le fait qu’avec la mise en place des G.I.R. ce n’est plus l’appareil judiciaire qui mènent les enquêtes mais l’exécutif (à travers les procureurs) et que les « coupables » soient pré-désignés avant même le commencement de l’enquête devrait pourtant les inquiéter.
Queske c’est les G.I.R. ?
Formé dans chaque département par le Préfet et le Procureur, le Groupe d’Intervention Régional comprend en son sein des forces de police, de gendarmerie, des douanes, des Renseignement généraux, de la Police de l’air et des frontières, de l’Inspection du travail et du Fisc. Ces « super brigades » effectuent un travail de police judiciaire sans pour autant être rattachées à un juge d’instruction. Possédant des moyens colossaux, digne des services secrets, elles auront pour tâche de faire tomber des individus ou des groupes qui lui seront pré-désignés par ses commanditaires, les pouvoirs politiques. Lunettes à infrarouge, micro-espion et mini-caméra placés au domicile ou dans les lieux publics, interconnexion de fichiers informatiques (grâce au fisc), infiltration de taupe, tout est bon. Nombreux et bien équipés, disant « travailler sur le long terme », on voit mal comment une personne placée sous le regard de ce Big Brother pourrait durablement échapper à la découverte du moindre délit à son encontre.
D’autant qu’il est clair que nombre des cas traités par les G.I.R. relèvent de la comparution immédiate (dorénavant étendue aux délits passibles de dix ans de prisons, et même de vingt ans en cas de récidive), les « désignés coupables » seront donc livrés directement au tribunal avec un dossier déjà ficelé et n’ayant aucunement pu faire jouer les « droits » de la défense durant l’instruction. À moins qu’ils décident de « plaider coupable » auquel cas ils pourront même faire des économies de frais d’avocat, en se passant de cette parodie de justice, puisque dans ce cas c’est le procureur qui leur infligera directement une peine. Et hop ! Directement du producteur au consommateur !