CONSTRUIRE UNE DEMARCHE COLLECTIVE

Je suis donc sorti du Quartier d’Isolement où je me trouvais depuis le 2 octobre. J’y aurais passé quinze jours, suffisant pour ressentir ce que les mots de Knobelpiess (QHS), Mesrine ou encore le livre de Jean-Marc Rouillan, décrivaient avec leurs mots terribles. D’ailleurs durant les quinze jours que j’y ai passé, un détenu de 73 ans qui y était s’est pendu dans la journée. Quant aux autres détenus, leur place est plus dans un hôpital psychiatrique que dans ce lieu où l’on est enfermé 22 heures sur 24. D’ailleurs j’ai récemment appris qu’un des détenus dont je te parle a été transféré en psychiatrie. Au final donc l’Administration Pénitentiaire ne m’aura infligé qu’une sanction somme toute légère. J’ai écopé de douze jours avec sursis de cellule disciplinaire (ou mitard), et l’on m’a retenu quatre jours de remise de peine sur les cinq mois auxquels j’avais droit. A cela il faut ajouter l’ajournement de la permission de dix jours dont je devais bénéficier en octobre. C’est une sanction pour la forme. Il faut dire que l’impact médiatique et la solidarité et le soutien qu’elle a généré, aussi bien des ami(e)s et des camarades que des gens inconnus qui se sont manifestés à cette occasion ont pesé sur cette décision.
A Paris, les copains sont allés manifester devant le ministère ainsi que devant le domicile de Papon.
Localement notre action aura porté ses fruits puisque les détenus dont nous signalions les cas ont vu, depuis, leurs dossiers s’accélérer. La libération médicale de deux d’entre eux est quasi certaine, quant à la conditionnelle familiale du troisième elle est en bonne voie. Le service social lui, est devenu plus accessible à nos demandes. Ce qui est important aussi, pour moi, c’est que nous avons su construire une démarche collective, ce qui est très difficile déjà à l’extérieur mais encore plus à l’intérieur, le monde carcéral et l’Administration Pénitentiaire jouant la division ou l’individualisme pour mieux affirmer son pouvoir. Que face à l’intérêt personnel, nous avons su développer l’intérêt collectif. Bien sur cela reste isolé sur l’ensemble de la détention en France (notre action aura suscité néanmoins d’autres initiatives du même style à Arles, Clairvaux, Lannemezan…) Mais j’espère que cet exemple aura démontré que la lutte reste possible, même entre quatre murs à partir du moment où il y a une volonté.
Quand il y a solidarité réelle, l’injustice recule, telle est la morale que nous devons garder de cette affaire.
En luttant pour leurs droits, les détenus luttent aussi pour ceux qui sont derrière les murs. Car au même titre que les centres de rétention, les camps pour les réfugiés, les zones d’attente pour les clandestins, la prison dessine l’état réel de notre monde, celui des ghettos où l’on enferme la misère et où on enterre la révolte. Ce sont les véritables usages de notre présent. Se solidariser avec les personnes en lutte est plus qu’un acte de soutien, c’est défendre sa propre liberté.
La lutte des prisonniers rejoint en cela celle plus totale qui est formulée contre le monde de la marchandise et la société qui la façonne. De la même façon que tout combat qui ne conçoit pas son rapport avec d’autres foyers de contestation court à sa mort, envisager la prison comme un domaine séparé des causes de son existence ne conduirait qu’à la faire perdurer.