Y’A DU BASTON DANS LES TAULES

 Non, il ne se passe pas rien dans les prisons françaises. Depuis le dernier numéro de l’Envolée d’octobre 2002, les prisonniers ont manifesté en maintes occasions leur résistance malgré un durcissement des conditions de détention : pour obtenir des parloirs avec leurs familles, à Clairvaux, à Bois d’Arcy, à Fleury et dans d’autres taules, pour protester contre l’acharnement judiciaire à l’encontre d’Abdel Hamid Hakkar à Clairvaux, à Salon, Clairvaux et Moulins pour exiger l’application de la jurisprudence Papon pour tous les prisonniers malades, et d’autres mouvements que nous ne connaissons pas, sans parler des résistances individuelles.

 Gardons le meilleur pour la fin : la mutinerie à la maison d’arrêt de Nîmes du 22 et 23 décembre 2002. Cet événement n’aura fait l’objet que de quelques brèves dans les médias nationaux et deux articles dans la presse locale. La parole y a été largement donnée aux représentants syndicaux, et aux cadres de la prison : « ils se sont mis à casser tout ce qu’ils pouvaient. Le grillage qui sépare les deux cours a été mis à terre, des portes ont été brisées. Ils s’en sont pris aux deux miradors. Heureusement pour les collègues, les vitres étaient blindées. Puis ils se sont dirigés vers l’atelier, mais là, ils ont été stoppés par les gardiens qui avaient sorti leur arme et ont tiré en l’air » (FO). Les CRS sont intervenus. Selon la police, « personne n’a été blessé, ni d’un côté, ni de l’autre, durant l’opération ».

 La raison invoquée par les médias et les associations qui prennent leurs informations auprès des institutions, est comme de bien entendu, la surpopulation carcérale : le procureur adjoint local l’a précisé, « il s’agit de la surpopulation, rien à voir avec un problème avec le juge d’application des peines ». La chanson n’a pas changé depuis 20 ans, l’administration se sert des mouvements pour demander plus d’effectifs, plus de moyens, plus de prisons.

 Dès que nous avons eu connaissance de ces événements, nous avons pu nous rendre le lendemain devant la prison de Nîmes pour en connaître les véritables causes, ne prêtant, comme à l’accoutumée, aucune confiance aux versions officielles. Le mardi 24 décembre, les familles attendaient pour des parloirs, souvent chargées d’un colis de Noël : nombreuses sont celles à qui l’on a annoncé le transfert de leur proche. Et pour cause, en deux jours il y a eu 70 transferts dans des mitards d’autres établissements lointains, ceux de la région étant déjà combles. Même s’il est vrai qu’à Nîmes comme partout, le nombre de prisonniers a considérablement augmenté depuis quelques mois, sécurité oblige, ce n’est pas ça qui a déclenché l’émeute. Les familles qui sortaient du parloir avaient une toute autre version des faits : depuis quelques temps, les surveillants exerçaient des pressions sur les prisonniers, certains d’entre eux ont été envoyés au mitard. Et c’est pour protester contre cela, pour demander que personne ne reste au cachot pendant la période de Noël, que 80 prisonniers se sont concertés pour déclencher le mouvement. Les ateliers ont été partiellement détruits, ainsi que les grilles qui séparent les deux cours de promenade : deux marques concrèt es de l’exploitation et de l’isolement. Les matons, craignant que les mutins n’atteignent le mur d’enceinte, ont tiré à balles plastiques, les maintenant en joue en attendant l’arrivée des CRS. Notons au passage que depuis le début de l’année 2002, grâce à la gauche plurielle, les matons peuvent être armés, ce qui change considérablement la donne en cas d’émeute. Le soir même, 30 taulards étaient transférés. Le lendemain, joli doublé : à nouveau une petite centaine de prisonniers a profité de la promenade pour ne pas remonter en cellule et continuer à exprimer leur révolte, s’en prenant cette fois de nouveau aux ateliers et à la salle de sport qui est en général réservée à quelques privilégiés. Cette fois-ci, les CRS ont complètement investi la prison, tabassant et gazant, remplaçant les matons jusqu’au lendemain. Le soir, il y avait de nouveau une quarantaine de transferts.

 C’est autour d’une expression de solidarité que tout cela s’est produit : et l’on comprend bien que l’administration pénitentiaire ait tout intérêt à taire cette vérité, qui, si elle était connue, pourrait déclencher d’autres mouvements de sympathie. Ces prisonniers ont pris des risques pour aider certains d’entre eux, pour exprimer concrètement leur révolte contre le système carcéral, ils ont tous forcément passé au moins 45 jours au mitard, peut-être iront-ils grossir le rang des isolés. Des procès auront certainement lieu : ils devraient être des moments où s’exprime notre solidarité, pour empêcher que tout se règle dans le silence, peut-être pour organiser une défense collective.