En ce jour mémorable,
écrire savère indispensable, donc je me lance, en
me disant que cette feuille de papier représente le territoire
à conquérir, que mon savoir est une arme, mon stylo un soldat
et les mots des munitions, alors à l assaut !!!
Je suis heureuse dapprendre que ma lettre vous est bien parvenue
Heureuse davoir enfin été écoutée ce
soir, et de vous avoir écoutés aussi évidemment !
Heureuse également davoir entendu des femmes fortes et déterminées
! Et je peux vous assurer que de ce côté (on était
quatre à écouter) nous nous sommes toutes levées
de nos lits et sommes restées debout durant toute lémission,
grâce au dynamisme de Laurence et de Leïla (collectif Familles
de détenus que nous saluons toutes au passage et encourageons à
continuer lcombat par la même occasion !).
En effet, la force et la détermination sont très communicatives
! Et de nos fenêtres on gueulait « la prison a fait son temps,
quelle crève ! » ainsi que la phrase préférée
de Laurence, « bougez votre cul dehors ! », car en effet nous
pensons comme elle quil est temps que les gens se mobilisent !
Voilà, sinon en ce qui concerne nos codétenues Julia et
Monica, elles ont été transférées sur Fleury
au bout de trois semaines de mitard pour lune et un mois pour lautre
(grosse dédicace à elles !), et, daprès ce
que lon sait, plus aucune femme basque ne restera à Fresnes,
sauf en transit (comme Idoia à qui jai un message à
passer : ton nom figure sur le rapport dincident que lon ma
mis lorsquon revenait de promenade, donc bravo, en 24 heures ici,
tu as eu lhonneur de te faire remarquer !), tout ça parce
quon parlait sur la coursive et que cest interdit
interdit
que lon transgresse chaque jour dailleurs, et jappelle
tou(te)s les détenu(e)s de Fresnes à faire de même
!
En effet, depuis lenvoi de ma lettre (lue à lantenne),
peu de choses ont changé pour nous(Mme Lebranchu ne ma pas
répondu), le directeur de Fresnes ne ma pas reçue
mais la bien lue, et a envoyé ses deux sbires féminins
(chefs de la MAF) qui mont écoutée pour une fois,
ainsi quune petite dizaine dautres détenues. Ils ont
donné suite à deux de nos revendications pour linstant
(laccès plus régulier, plus fréquent, à
la salle de muscu et la possibilité de se réunir pour jouer
aux cartes ou étudier ensemble), en nous promettant que les dispositions
seront prises dès le début de lété.
A suivre ! Pour le reste, la « chef » (celle du personnel,
pas la nôtre !) sest bornée à me citer les articles
du Code pénal, et la sacro-sainte raison de sécurité
ainsi que le manque de moyens, pour simplifier.
Alors que faire ?!
A part continuer à écrire, à demander des audiences,
à argumenter
Et surtout à mobiliser le plus de gens possible car nous ne sommes
pas assez nombreuses pour que nos arguments soient réellement pris
en considération, mais bon, avec de la patience, on y arrivera,
je pense !
Même si pour linstant nos esprits libertaires (et libres tout
court) se heurtent à des murs dindifférence, voire
de mépris et dincompréhension, des murs tout aussi
solides que des murs de béton
En ajoutant à cela lisolement plus ou moins pesant et la
sensation détouffement générée par la
claustration, il me semble que tout ça suffit largement à
nourrir un sentiment de révolte chez les plus dociles dentre
nous. Cela dit, heureusement quil existe des gens comme vous, qui
ouvrent des portes (et qui les ouvrent en grand !), sinon on étoufferait
vraiment ! Sincèrement.
Jen viens donc au problème du droit, heu
non, de labsence
de droit en prison, et vous envoie un texte que jai écrit
à ce sujet, suite à quelques incidents
En effet, puisque vous avez parlé de courriers qui narrivent
pas à destination ainsi que de censure, je vous fait part de quelques
faits du même ordre
Alors déjà, dans le sens de lenvoi, jai été
censurée plusieurs fois, bon à la rigueur, quand jécrivais
des trucs du genre « les matonnes me font chier à me harceler
», je peux comprendre
enfin non, mais disons que je laisse
passer !
Cela dit, il mest arrivé en retour de promenade de pousser
un coup dgueule face à une gradée et des matonnes,
« vous me faites vraiment chier avec vos fouilles ! » (puisquon
mavait désignée pour ce supplice quest la fouille
à corps), or je nai pas eu de problèmes (juste un
rapport dincident évidemment). Bref, tout se passe donc comme
si « faire chier » nétait pas un propos insultant
tant que cela restait entre ces murs, comme si elles avaient parfaitement
le droit de nous faire chier, et nous le devoir de nous taire et daccepter,
pourvu quà lexterieur les gens ne le sachent pas et
nadhèrent pas à notre point de vue !
Par ailleurs, il y a deux mois environ, ils ont refusé denvoyer
une de mes lettres à cause dune phrase banale que voici :
« Deux femmes basques sont actuellement au mitard, de leur plein
gré, cest ainsi quelles ont choisi de protester contre
le règlement militaire de Fresnes », je nai
pas ajouté de commentaire personnel, ensuite jai enchaîné
sur dautres formes de lutte. Bref, la chef des gradées ma
convoquée et ma dit : « Vous navez pas le droit
de relater des faits concernant la détention, à moins quils
ne vous concernent personnellement » (il paraît que cest
dans le Code pénal, mais je nai pas trouvé larticle
correspondant).
En fait, pour moi, cétait un prétexte pour ne pas
avouer quils ne voulaient pas que ce genre de faits soient connus
de lextérieur(le moins possible en tout cas), mais bon, après
une discussion où le ton est monté, jai fini par effacer
la fameuse phrase et reposter ma lettre. Pourtant, celle-ci nest
pas partie daprès ce que je sais et on ne ma pas informée
de cet acte de censure, donc jattendais en vain la réponse
! Je me demande quand même si le fait que cette lettre était
adressée à des connaissances anarchistes naurait pas
quelque chose à voir avec cette embrouille !
Quoi quil en soit, à présent je sais à quoi
men tenir et, surtout, me servir des trous qui existent dans leur
filet de censure ! Car chacun sait que les mailles ne sont pas si serrées
!
Dautre part, dans le sens de la réception cette fois (et
là, cest déjà beaucoup plus dur de passer à
travers les mailles du filet
), un courrier quune amie (anarchiste
encore une fois, jcrois que cest pas utile de le préciser
dailleurs !) ma envoyé a été censuré
et mis à ma fouille. Il sest avéré quil
sagissait de textes anarcho-révolutionnaires et la chef des
gradées me sort larticle du Code pénal suivant : «
la saisie du courrier peut être effectuée dans la mesure
où celui-ci constitue une menace pour la sécurité
des personnes et de létablissement » et « lappréciation
du danger est laissée au chef détablissement »,
ce que je déplore évidemment !
Donc, lors de notre entretien, je lui explique que jai reçu
à plusieurs reprises ce genre de textes, contenant les mêmes
idées, mais elle me répond que « cette fois, les propos
sont bien trop explicites, trop virulents à légard
du système pénitenciaire et surtout de la société
dans laquelle on vit, quil sagit carrément de «
bourrage de crâne ». Je lui réplique que de toute façon
je suis tout à fait capable de porter un regard objectif et quelle
pourrait tout de même me laisser exercer mon libre arbitre. Finalement,
elle répond quelle na pas confiance en mon esprit critique
et quétant donné que je suis encore considérée
comme « jeune majeure » (moins de 21 ans
pourtant on
ne mavait jamais précisé cela auparavant, à
croire quils utilisent cet argument seulement quand ça les
arrange !) je suis donc sous sa responsabilité, et elle ne veut
pas prendre de risques pour ma sécurité !!! Elle ajoute
que jai le droit davoir des idées militantes mais seulement
quand je ne serai plus là ; alors je réplique que jestime
être assez mûre pour me préoccuper moi-même de
ma « sécurité » morale, que je nai pas
à adhérer à la pensée unique sous prétexte
que je suis incarcérée. Jajoute également que,
puisque le pouvoir dappréciation lui est attribué,
elle peut aussi censurer toutes les idées qui ne lui plaisent pas,
tout discours anticonformiste et politiquement incorrect ; alors elle
me répond : « non, seulement les idées dangereuses
», et quen fait ce nest pas tellement pour ma sécurité
mais plus pour celle de létablissement (faudrait savoir !)
dans la mesure où il est à craindre que je propage mes idées
militantes, que dautres détenues y adhèrent et se
mettent à contester elles aussi
Voilà, je crois que lessentiel a été dit, et
si je vous raconte tout ça cest parce que je pense que ce
genre de discours en dit long sur létat desprit de
nos gardiens
Des « chefs », qui plus est ! Je me demande
si tout cela est bien légal
Ce serait bien que tous les détenu(e)s victimes de la censure et
de ses abus témoignent
P.-S. : on est aujourdhui le 29 mai, le calme est revenu à
Fresnes, mais les conditions de détention risquent de se durcir
dans les jours à venir ! Les matonnes ont la rage, même les
plus cool ont perdu leur sourire et ne disent plus bonjour ! Quand on
leur demande pourquoi, voici la réponse : « Avec ce qui sest
passé, deux collègues pris en otage et un gravement blessé,
on na pas du tout envie de sourire. »
Jimagine comment ça doit être grave chez les hommes
Enfin, on va dire que la Pénitentiaire est en état de choc
et ne se prendra pas la tête pour nous. Nempêche quon
est toutes déçues que cette affaire nait pas tourné
en émeute générale car franchement on nattendait
que ça ! Sinon, on nous a informées que la sécurité
allait être renforcée, pour commencer jai eu droit
à deux fouilles à corps ce matin (après les cours
et après la promenade). Ils ont décidé de reprendre
la règle suivante : fouiller « au hasard » (!!!) une
détenue après chaque activité
Ça commence
bien ! Pour linstant, on le prend avec le sourire car cest
sûrement la meilleure arme, mais on a du mal à comprendre
de quoi on est responsable ?!
Cette fois je vous laisse, saluts révolutionnaires ! Amitiés.
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